Alejandro Jodorowsky ! Du 27 au 31 janvier, le Festival de Gérardmer a célébré une figure mythique de la bande dessinée et du cinéma. L’auteur de L’Incal, des Technopères, de la Caste des Méta-barons, le cinéaste d’El Topo, de Santa Sangre et, récemment, de La danza de la realidad était l’un des deux grands noms du fantastique auquel le festival, cette année, a tenu à rendre hommage. Si Wes Craven — l’autre figure de prestige — s’est fait excuser pour cause de séjour prolongé dans l’au-delà, le spirituel « Jodo » était bien là en chair et en os, et il eût été tout naturel qu’il occupât le fauteuil de Président du Jury de cette édition 2016. Pour des raisons sans doute tout à fait valables, l’organisation a confié cette responsabilité à M. Claude Lelouch, personnalité renommée du cinéma français, à la carrière des plus estimables (n’oublions pas qu’il a fait tourner Belmondo, Brel, Ventura…) mais qui ne peut qu’envier l’éclat qu’un artiste comme Jodorowsky fait briller dans les yeux des amateurs de fantastique et de science-fiction. Quant aux films de la sélection (en compétition ou non), ils étaient nombreux à afficher une même ambition, revisiter les grandes figures classiques de l’épouvante. Morts-vivants, loups-garous, sauvages cannibales… même la créature de Frankenstein et Satan en personne ont répondu présent à l’appel. Quels monstres ont su séduire public et jury ? La réponse dans notre compte rendu de cette 23ème édition.

FRANKENSTEIN de Bernard Rose (États-Unis) — Compétition (film d’ouverture)

De nombreux films américains faisaient, cette année, partie de la sélection, à commencer par cette nouvelle adaptation de Frankenstein, projetée après la cérémonie d’ouverture. Déjà récompensé par le festival (dans sa période Avoriaz, en 1993, pour Candyman), Bernard Rose se détourne du 19ème siècle et du cadre suisse du roman de Mary Shelley pour livrer sa version modernisée de l’histoire. Nous sommes de nos jours en Californie et nous ne voyons pas grand-chose des expérimentations de Victor Frankenstein. Le film débute alors que le monstre, tout juste né, exhale son premier souffle.

Frankenstein s’exclame « He’s alive! » lorsque sa création esquisse ses premiers gestes. Une manière pour Bernard Rose de reconnaître — tout en se démarquant, le pronom « it » devenant « he » — l’héritage de la plus célèbre adaptation filmée du conte, celle de James Whale, en 1931. Le fil de l’histoire sera jalonné par la reprise d’autres séquences marquantes du diptyque de J. Whale (Frankenstein et La Fiancée de Frankenstein, 1933) : on retrouve l’épisode de la fillette jetée à l’eau, la scène de la foule vengeresse et le personnage de l’aveugle qui recueille avec bonté la créature pourchassée. Mais les comparaisons s’arrêtent là, Bernard Rose s’écartant des trésors produits jadis par Universal pour développer sa propre esthétique et sa propre thématique. Ici, point de château gothique ni de nuit orageuse zébrée d’éclairs, le film est éclairé par le soleil omniprésent de Californie, qui jette une lumière intense sur les cruautés du monde et la condition misérable de la créature, égarée parmi d’autres laissés-pour-compte (l’aveugle qui prend le monstre sous son aile est un clochard noir du nom d’Eddie).

« Le seul vrai monstre, c’est l’Homme », assène l’affiche américaine du film. Un slogan auquel on peut associer la fameuse maxime rabelaisienne, « la science sans conscience n’est que ruine de l’âme ». Une scène à elle seule peut illustrer cette double morale, lorsque les « parents » en blouses blanches (Victor F. et sa femme Elizabeth), ayant diagnostiqué une anomalie génétique chez leur « enfant », décident de l’euthanasier. Des instants d’une horreur implacable, bouleversante, qui en dit long sur le degré d’implication émotionnelle exigé chez le spectateur (le film, qui n’hésite pas à plonger dans la matière humaine, réserve d’autres passages éprouvants, il est extrêmement sanglant). Dernière originalité : l’innocent « Adam » (le prénom de la créature, tel que choisi par M. Shelley dans son roman) n’est pas joué par un sosie de Karloff mais par un beau gosse judicieusement choisi, au physique quasi virginal sans vis ni agrafes, Xavier Samuel (comédien australien vu en 2010 dans The Loved Ones). Danny Huston (qu’on voit très souvent depuis ses participations à American Horror Story) endosse le rôle de Victor, et Carrie-Anne Moss celui de « Maman ». Mention spéciale à l’immense Tony Todd, dans le rôle du clochard Eddie, qui retrouve B. Rose près d’un quart de siècle après Candyman. Oublié au soir du palmarès, Frankenstein méritera sa chance lorsque le film sortira officiellement chez nous, dans les salles ou en DVD.

BONE TOMAHAWK de S. Craig Zahler (États-Unis) — Compétition

Alors que nous sommes à peine rentrés des étendues enneigées du Wyoming (dans Les Huit Salopards de Tarantino, sorti début janvier), les programmateurs du festival sortent de leurs stetsons un autre western, avec par-dessus le marché Kurt Russel de retour en vedette et en shérif ! La perspective de retrouver l’acteur portant moustache, étoile sur le cœur et colt à la ceinture est des plus réjouissantes, et l’hypothèse d’un film de cowboys s’aventurant sur le terrain du fantastique — voire de l’horreur — a de quoi éperonner la curiosité.

Bright Hope, dans l’Ouest sauvage, est une petite communauté typique de pionniers avec sa rue principale, son saloon… Quelques malfrats passent à l’occasion, vite maîtrisés — d’une balle dans la jambe ! — par le bon shérif Franklin Hunt, qui veille au grain. Une nuit, la bourgade est visitée par de mystérieux Indiens venus s’emparer d’un hors-la-loi détenu dans la prison et qui leur a causé du tort. Ils enlèvent également le jeune shérif adjoint et la belle Samantha, la doctoresse de la ville. Une expédition part aussitôt, menée par le shérif…

Le canevas de la mission de sauvetage est typique du genre, mais ceux qui s’attendent à une course-poursuite à bride abattue en sont pour leur frais : avant même d’entamer le voyage, Hunt, vieux sage à barbe blanche, explique à ses trois coéquipiers que la route sera longue avant d’atteindre le repaire des ravisseurs (en fait des troglodytes s’abritant dans un réseau de cavernes), et que la lutte pour récupérer les prisonniers sera forcément âpre à mener. Il s’agit donc de ménager les hommes et les chevaux, faire des pauses régulières et passer de bonnes nuits au bivouac. Le mari de la femme enlevée, Arthur, fait partie du commando, mais il est éclopé (piètre bricoleur, il s’est blessé à la jambe en tombant de son toit !). Un maillon faible qui a pour effet d’entraver le bon fonctionnement du groupe. Lorsque des bandits mexicains profitent du sommeil des braves pour s’emparer de leurs chevaux, l’allure de l’équipée prend encore du plomb dans l’aile, et la mission doit s’achever pedibus !

On prend donc son temps dans Bone Tomahawk. Le métrage dépasse du reste les deux heures de projo (2h12 exactement, c’est le film le plus long de la sélection), mais l’odyssée à allure modérée laisse au réalisateur S. Craig Zahler le loisir d’installer une atmosphère étrange à souhait, cadrant en CinemaScope une contrée désertique en apparence dénuée de traces de vie mais où une rencontre funeste est toujours possible. En outre, la durée du voyage permet aux aventuriers de beaucoup discuter, et les dialogues sont brillantissimes, servis par un merveilleux quatuor d’acteurs (aux côtés de Kurt Russel, Patrick Wilson, Matthew Fox et Richard Jenkins, tous acteurs de la A-list hollywoodienne, ont revu leurs cachets habituels à la baisse pour participer au film, dont le budget n’atteignait pas deux millions de dollars). En plein milieu de nulle part, les types devisent de mille et une choses de la façon la plus courtoise malgré les rigueurs de l’environnement. Parfois émouvantes, souvent cocasses (les nombreuses touches d’humour sont à la fois subtiles et efficaces), leurs conversations fournissent une passionnante matière à portraits. Les palabres maintiennent l’intérêt jusqu’au bout, lorsqu’il va falloir s’arrêter de causer pour fatalement en découdre avec la fameuse tribu, abominables bipèdes mi-hommes, mi-bêtes, étrangers à toute notion de morale et capables de fendre un bonhomme en deux comme un bœuf à l’abattoir. La conclusion réserve un choc passionnant entre nature et culture, et, comme l’a fait The Green Inferno l’an dernier, le méchant dernier acte ravive nos souvenirs les plus sanglants des films italiens de cannibales ! Une expérience à (re)vivre bientôt chez soi puisque Bone Tomahawk ne sortira pas dans les salles en France mais directement en DVD, le 22 mai prochain.

COOTIES de Jonathan Millot et Cary Murnion (États-Unis) — Hors compétition

Écartons-nous un peu de la compétition avec Cooties. Déjà mise à l’index dans The Bay, en 2013, de Barry Levinson, l’industrie volaillère est ici la cible de nouvelles attaques cinématographiques. Les premières images nous plongent dans l’horreur alimentaire : déplumés, décapités, les poulets traversent la chaîne de production pour finir sous la forme d’une infâme pâte rosâtre bientôt roulée en boulettes panées — les nuggets ! Et tout ça se retrouve au menu d’une cantine scolaire de Fort Chicken (!), Illinois, où on soutient la production locale. En toute innocence, une blondinette croque dans la Franken-food, elle se couvre sans tarder de pustules et développe un appétit vorace de chair humaine, vite suivie par les autres préados.

On n’est pas devant un documentaire : Cooties est un divertissement enlevé bourré d’horreur et d’humour (un mélange très savoureux consommé en festival), et il est peu probable que l’ingestion de « pink slime » (ou « minerai de viande », comme le nomment avec poésie les pros de l’agroalimentaire) nous fasse un jour virer zombies. Mais le message passe, l’image de la gamine qui mord dans une « pépite » avariée s’avérant plus dégueulasse encore que les excès cannibales des bambins contaminés. Les gastronomes en culottes courtes, en quête d’horribles festins, montent le siège devant le bâtiment de l’école où s’est retranché le corps enseignant. Parmi les profs, Elijah Wood joue Clint, qui poursuit un rêve : fuir de l’école, certes, mais surtout s’évader du système éducatif en devenant un écrivain d’horreur à succès. Entre deux attaques des kids (les minots enrôlés dans le tournage ont dû bien rigoler), le dialogue prend la défense du statut social malmené des enseignants. Une belle initiative engagée de la part des auteurs du script, Leigh Wannell (Saw, Insidious) et Ian Brennan. Dommage, tout de même, que les camarades n’aient pas su trouver un dénouement convaincant à leur histoire (le générique de fin se met à défiler au détour d’une péripétie qui n’a rien de conclusif).

BURYING THE EX de Joe Dante (États-Unis) — Hors compétition

Même si son film est montré hors compétition, quel plaisir de lire l’infernal patronyme de Joe Dante inscrit au programme de Gérardmer ! Le réalisateur de Piranhas, Gremlins, Hurlements et de tant d’autres titres inoubliables a tourné il y a deux ans déjà ce Burying The Ex qui sort chez nous en 2016 directement en DVD (le 2 février, édité par Factoris Films). « Comment enterrer son ex » (traduisons-le comme ça) est une « zombedy » dans laquelle Max (Anton Yelchin) vit assez mal sa relation avec Evelyn (Ashley Greene), écolo d’obédience vegan qui voue aux gémonies tous les réfractaires au tofu. Une intégriste verte, par ailleurs très portée sur le sexe mais sinon invivable, et dont Max a décidé de se séparer. Le destin simplifie d’un coup les choses : heurtée par un bus, Evelyn meurt sur le bitume avant que son boyfriend ait eu le temps de la larguer. Pour des raisons qu’on ne va pas dévoiler ici, la miss revient d’entre les morts, quittant sa tombe du Forever Cemetery d’Hollywood pour reprendre sa vie commune avec Max…

Anton Yelchin n’est sans doute pas le comédien le plus charismatique de sa génération, mais le rusé Joe Dante (suivant le scénario d’Alan Trezza) parvient à susciter notre empathie pour son pauvre héros, handicapé par le poids d’une ex qui s’ignore et refuse de rester morte : Max tient une boutique d’articles pour Halloween, c’est un gentil fondu d’épouvante et les murs de son appart sont ornés d’affiches en version originale, preuves d’une cinéphilie éclairée (on identifie entre autres Terrore nello spazio de Mario Bava). La connivence entre Dante, son personnage et le public est d’autant plus grande que le cinéaste truffe son métrage de détails quasi subliminaux qui font tilter l’intellect du fantasticophile (par exemple, une entreprise de déménagement porte le nom de Romero) et de bien d’autres clins d’œil à des auteurs (Jacques Tourneur, Val Lewton…) passés à la postérité du genre. L’hommage le plus appuyé  — et en même temps la citation la plus pointue — tient dans le prénom de le fiancée-zombie, allusion à La notte che Evelyn uscì dalla tomba (« La Nuit où Evelyn sortit de sa tombe ») d’Emilio Miraglia, film « dell’orrore » de 1971, distribué en France sous l’alléchant titre L’Appel de la chair.

D’abord crispante avec ses obsessions végétaliennes (culotté, Dante place sur le même plan écolos radicaux et fondamentalistes religieux), Evelyn devient résolument flippante dès que, revenue d’outre-tombe, elle se rend compte que son chéri Max l’a déjà remplacée dans son cœur par Olivia, jolie propriétaire d’une non moins jolie échoppe de crèmes glacées. Or Olivia, c’est la fiancée idéale de tous les amateurs de cinoche de genre : elle affectionne l’épouvante, les séries B, la culture pop, elle aime les sucreries, les promenades au clair de lune dans les cimetières et… elle a les traits d’Alexandra Daddario, belle comme le jour, la plus ravissante créature terrestre que le cinéma US nous ait donné à contempler depuis des lustres. Joe Dante ne la dénude pas (malgré des dialogues souvent portés sur la chose, le film est, pour tout dire, aussi prude qu’un épisode de Desperate Housewives) mais il lui offre un magnifique gros plan où ses yeux bleus magnétiques et son sourire XXL illuminent le cadre. Avec son teint spectral et les mouches qui lui tournent autour, Evelyn n’a aucune chance, et le dernier acte pourrait bien être sanglant, même si Burying The Ex reste d’un bout à l’autre une comédie. Une bonne comédie fantastique qui, mine de rien, en dit long sur les relations de couple, et signée par un Joe Dante en pleine forme malgré ses 70 balais. Le réalisateur doit tourner bientôt The Man With the Kaleidoscope Eyes, biopic de Roger Corman qu’on attend de pied ferme et le cœur rempli d’espoir. Vas-y Joe, vas-y, fonce !

THE WITCH de Robert Eggers (Canada/États-Unis) — Compétition

Retour dans la compétition et dans l’Amérique sauvage avec The Witch, à l’action très antérieure à celle de Bone Tomahawk. Nous sommes au début du 17ème siècle, le continent n’est encore qu’un vaste territoire inexploré où survivent ici et là les peuplades de colons. Une famille de cinq enfants, rejetée par tout un village pour des motifs, semble-t-il, religieux, élit domicile dans une ferme isolée à la lisière d’une sombre forêt. Un jour, leur nouveau-né disparaît…

Jouée en « olde English », la tragédie qui se joue sous nos yeux apparaît comme une version funèbre de La Petite Maison dans la prairie : obnubilés par la foi chrétienne, les parents William et Katherine  voient leur raison peu à peu vaciller sous le poids écrasant des superstitions. La vie s’avère très dure dans le Nouveau Monde, la nature menaçante semble travailler contre eux (chasse et récoltes ne donnent rien, la famille a faim), à moins que des forces maléfiques, une sorcière peut-être, soient à l’œuvre dans la forêt mystérieuse, où les enfants reçoivent l’interdiction de se rendre.

Le Diable, le mauvais œil, la sorcellerie… Robert Eggers figure l’obscurantisme de la famille puritaine par une photographie aux couleurs désaturées, parfois sous-exposée (le chef-op’ éclaire les scènes d’intérieur à la bougie comme des tableaux de Georges de La Tour). Dans le fond comme dans la forme, The Witch est donc un film sombre, où l’effroi, comme dans Shining — une référence revendiquée —, naît de l’enracinement progressif de la suspicion et de la violence dans la cellule familiale. Le côté quasi bergmanien du traitement entraîne des longueurs qui ne sont pas du goût de tous les festivaliers (j’avoue avoir regardé ma montre une fois ou deux, mais contrairement à d’autres, je n’ai pas emprunté la sortie de secours !). Ceux qui tiennent bon et encaissent l’austérité du ton savourent la qualité de l’interprétation en costumes : tous les comédiens principaux (sept en tout) ont des personnages consistants à défendre. Ralph Ineson et Kate Dickie (vus tous deux dans Game of Thrones), aux visages émaciés, jouent les parents avec une extraordinaire présence ; les deux enfants les plus jeunes savent prendre des airs sournois de petits démons, et leur grand frère Caleb est campé par le très prometteur Harvey Scrimshaw (lequel brille entre autres dans une déchirante scène de délire christique). Reste enfin, dans le rôle de la fille aînée Thomassin, Anya Taylor Joy (élevée elle-même dans une fratrie de cinq enfants !), dont le regard insolite, presque extraterrestre, est à même de vous ensorceler au moindre plan. Face au marasme grandissant, on cherche à comprendre : au final, de quoi ces gens souffrent-ils ? Sont-ils la proie d’une folie mystique, qui leur a valu le bannissement de leur communauté, ou la cible d’une présence malveillante cachée dans la forêt ? Les séquences finales apportent une réponse, à prendre toutefois avec des pincettes car le film joue d’un bout à l’autre la carte d’une ambiguïté fantastique toute todorovienne.

THE DEVIL’S CANDY de Sean Byrne (États-Unis) — Compétition

Impossible de ne pas enchaîner avec The Devil’s Candy de Sean Byrne, de ton très différent mais à la thématique voisine : au Texas, Jesse, Astrid et leur fille collégienne Zooey acquièrent la maison de leurs rêves. L’emménagement s’effectue dans le bonheur mais très vite, il se passe des choses bizarres : Jesse, artiste peintre qui puise son énergie créative dans le heavy metal, est soudain investi d’une inspiration macabre, comme si le diable lui-même, muse obscène, lui susurrait des horreurs à l’oreille. Un soir vient frapper à la porte Ray Smilie, un gros type très louche, l’ancien occupant de la maison, assassin psychopathe de ses propres parents…

Ici encore, l’unité familiale se trouve en péril. Comme le père de famille incarné par Richard Dreyfuss dans Rencontres du troisième type, Jesse est hanté par une vision qu’il s’évertue à matérialiser, en l’occurrence sur sa toile de peintre. Une œuvre qui tourne à l’obsession, le prive de sommeil, lui fait négliger ses responsabilités paternelles. Le duo complice qu’il forme avec sa fille (convertie, à l’inverse de la maman, au heavy metal) se met à se disloquer. Le point de rupture semble atteint lorsque l’affreux Ray s’en prend à Zooey un soir où son père a raté la sortie de l’école.

La première moitié du film laisse entrevoir une évolution négative du personnage central de Jesse, poursuivi par ses démons (on en revient à Shining, on pense aussi naturellement à Amityville). Sean Byrne déjoue nos attentes : les démons en question ne sont pas ce qu’on croit, et le grand méchant loup sera surtout Ray le bourreau d’enfant, personnifié à l’écran par l’acteur Pruitt Taylor Vince, mélange flippant d’innocence infantile (la voix du diable dans sa tête le somme de faire de « vilaines choses ») et de détermination barbare. Face à lui, Jesse va lutter pour préserver sa famille, et le courant musical qui irrigue la bande-son (Metallica et Slayer sont de la partie) sonne comme un déferlement d’énergie positive prompte à contrer les assauts du démon. Une excellente initiative de la part de Sean Byrne, qui met les points sur les i à toutes les brebis égarées se figurant encore que les métalleux sont des graines de satanistes. The Devil’s Candy est un authentique film d’horreur rock’n’roll, imparfait (deux ou trois trous narratifs gênent quand même un peu aux entournures) mais qui fait peur autant qu’il charme les oreilles et les mirettes (photo en scope magnifique du dénommé Simon Chapman). Ajoutons enfin qu’on tient en la personne de Kiara Glasco, qui joue Zooey, une véritable « scream queen » en puissance. Âgée d’à peine 15 ans, la nénette a une sacrée présence (et une belle capacité à hurler), et on aimerait vite la retrouver aux génériques de bandes d’épouvante aussi pêchues que celle-ci.

LE COMPLEXE DE FRANKENSTEIN d’Alexandre Poncet et Gilles Penso (France) — Hors compétition

Non, le film n’est pas un autre remake de Frankenstein ! Le Complexe… est un documentaire tourné avec passion par deux journalistes de la presse papier fantastique, Alexandre Poncet (Mad Movies, ci-dessus, à droite) et Gilles Penso (L’Écran fantastique, à gauche). Concurrents dans les kiosques, Alex et Gilles ont étroitement collaboré pour consacrer ces presque deux heures de projo aux artistes en effets spéciaux de maquillage, aux grands noms de la stop-motion et de l’animatronique. Donc pas seulement des types capables de vous coller une balafre pour de faux ou une barbe postiche, non, de véritables créateurs de monstres qui défilent tous devant la caméra. Leurs noms sont bien connus des amateurs d’horreur en salles : Alec Gillis et Tom Woodruff, Phil Tippett (ci-dessous, avec ED-209), Dennis Muren, Steve Johnson (un mec hilarant !), Rick Baker… plus quelques réalisateurs : Guillermo del Toro, Christophe Gans, Joe Dante, John Landis (qui me fait lui aussi mourir de rire dès qu’il ouvre la bouche !).

Tous discourent avec une passion communicative de l’art de créer des monstres de latex, une discipline-phare, un savoir-faire indispensable dans le cinéma fantastique jusque dans les années 1990. Puis vint l’avènement des technologies numériques, reléguant au placard de nombreux effets « pratiques » réalisés sur le plateau. Certains ont encaissé le coup dur tant bien que mal, se sont adaptés, d’autres ont déserté les tournages, comme Rob Bottin, véritable rock-star de la profession dans les années 1980 (les garous de Hurlements, les effarantes créatures de The Thing, le démon Darkness de Legend, c’était lui) et dont plus personne n’a de nouvelles depuis le tournant du siècle… Le propos acquiert une profondeur parfois étonnante, comme lorsqu’une des personnalités interrogées s’aventure dans des considérations psychanalytiques, assimilant la création de monstres comme l’expérience masculine s’approchant le plus de l’enfantement (d’où le titre aux résonances freudiennes) ! Bref, tout cela est littéralement passionnant. On regrette juste le peu d’extraits de films (des œuvres citées, on voit surtout des photos de plateau) et le fait qu’à part Ch. Gans, aucun intervenant hors des USA n’ait été interrogé ou, en tout cas, inclus dans le montage (en France, Jean-Christophe Spadaccini, Jacques-Olivier Molon ou David Scherer auraient sans doute eu plein de choses à dire).

SWEET HOME de Rafa Martínez (Espagne/Pologne) — Hors compétition

Sweet Home commence par des stats : en Espagne, 85% des expulsions d’appartement se font dans le calme, 13% en employant la force… et 2% en usant d’autres méthodes. Pour déloger quelques résidents réticents à quitter leur « sweet home », un bailleur sans foi ni loi verse dans le crime et fait appel à des hommes de main. Une courtière en immobilier et son petit copain anglais, squatters d’une nuit dans un logement vide, doivent affronter un trio cagoulé venu liquider le dernier occupant de l’immeuble.

Un film de survie dans un vieux bâtiment barcelonais, qui ressemble comme deux gouttes d’eau à celui de [Rec] de Balaguero & Plaza. Mais la menace n’est cette fois pas surnaturelle, quoique… Pour suppléer à l’incompétence des trois « encapuchados », vite dépassés par la combattivité des héros, le commanditaire envoie un molosse monolithique et mutique, au visage dissimulé sous un masque à gaz (voir l’affiche ci-dessus). L’incarnation de la mort en marche… Court (1h22) et tendu, Sweet Home est de ces friandises qu’on découvre avec plaisir en marge de la compétition. Rafa Martínez s’appuie sur son décor labyrinthique et le look imparable de son « liquidateur » pour nous faire vivre un jeu de cache-cache nerveux, caviardé de trouvailles scénaristiques aussi macabres qu’amusantes (le monstre a sa technique pour faire disparaître les corps de ses victimes). Et l’interprétation intense d’Ingrid Garcia-Jonsson (dans le rôle de la courtière pourchassée) lui permet de transcender son personnage-cliché de chica combative en débardeur.

HOWL de Paul Hyett (Royaume-Uni) — Compétition

Le dernier train de la nuit… Il faut être fou pour y monter, mais les quelques Anglais héros de cette aventure n’en ont cure : tous ont quitté Londres et Waterloo Station pour rentrer chez eux. Quelques heures de transport ferroviaire les séparent du confort de leur lit douillet, et chacun tue le temps à sa manière pendant que Joe, le jeune contrôleur, traîne sa mine triste de voiture en voiture pour vérifier les billets. Joe n’a pas de chance : il vient de se faire recaler pour une promotion et la jolie blonde qui traverse la rame avec le chariot-repas ne s’intéresse pas à lui. Tout à coup, l’odyssée nocturne déraille, ou presque : le train heurte un cerf et doit s’arrêter le temps d’une réparation. Nous comprenons que l’animal traversait la voie en fuyant une menace sanguinaire qui va maintenant s’en prendre aux passagers de l’express…

Le parcours du gentil Joe « from zero to hero » (une victime du destin, atone et passive, qui va acquérir au fil des scènes une carrure de battant) est très intéressant à suivre, parallèlement à la montée du suspense dès lors qu’une créature monte le siège autour du train immobile. Le titre du film (howl, « le hurlement du loup ») et l’image de la pleine lune qui ouvre la projo ne ménagent guère de mystère quant à la nature du danger. Qu’importe : le film de Paul Hyett est une histoire bien racontée, dans laquelle les épisodes sanglants, quoiqu’un peu mécaniques (la bête met la patte sur les voyageurs, un à un), alternent sans ennui avec les portraits bien croqués (sans jeu de mot) des personnages d’âge, de sexe et de conditions différents. Une sorte d’échantillon représentatif de la population british ordinaire qui s’avère vite attachant. Quant au look effrayant du garou, dévoilé par petites touches, c’est une autre bonne surprise, et on a vite fait de pardonner au réalisateur quelques clichés de mise en scène et une ou deux libertés prises avec les codes et conventions de la mythologie lycanthrope. Dans le rôle de Joe, on retrouve le très bon comédien Ed Speleers (Poursuite mortelle), et dans celui de Kate, une passagère du train, Shauna Mcdonald, héroïne du terrifiant The Descent de Neil Marshall, en 2005.

FEBRUARY d’Osgood Perkins (États-Unis/Canada) — Compétition

Contrairement à Paul Hyett ci-dessus, venu présenter Howl au public de Gérardmer, Osgood « Oz » Perkins n’a pas pu faire le déplacement jusque dans les Vosges. Il a envoyé une vidéo de quelques secondes depuis le Canada pour introduire February, que la salle découvre avant le film. Le monsieur n’est pas souriant et on ne peut guère imputer ça à de la réserve ou de la timidité face à la caméra (Perkins est également comédien, il a débuté sa carrière en 1983 dans Psychose 2 où il jouait Norman Bates à l’âge de 9 ans). February s’annonce donc comme un film sérieux. Nous sommes entre les murs d’un lycée catholique pour jeunes filles à la veille des vacances d’hiver. Les élèves quittent l’établissement accompagnées de leurs parents, à l’exception de Rose et Kat, que bizarrement personne n’est venu chercher. Les deux adolescentes ont des profils très différents : Kat est une élève de seconde discrète en quête d’une figure paternelle de substitution (elle est fascinée par le proviseur en soutane), Rose est plus âgée et a l’habitude de faire le mur (elle pense même être enceinte). Toutes deux vont devoir passer une nuit supplémentaire à l’internat.

Les plans sur la nature hivernale figée et sur les couloirs vides du lycée installent une ambiance étrange dans laquelle semble flotter Kat, au regard semi-opaque et dont la coiffure composée d’un entrelacs de mèches figure une psychologie compliquée. On s’échappe par moments du bahut désert avec Rose, qui part en douce retrouver son petit copain, et en suivant en parallèle le trajet nocturne en voiture d’un couple de quinquagénaires semblant se diriger vers le lycée. En chemin, ils prennent à leur bord une autre jeune fille, paumée, qui dit s’appeler Joan et cherche visiblement à fuir quelque chose…

February est pensé à la manière d’un puzzle dont les pièces ne doivent s’assembler que dans le dernier acte. Une construction qui tient lieu ici d’enjeu narratif : mise à plat, une fois qu’on en a saisi tous les tenants et aboutissants, l’intrigue n’est vraiment pas folichonne et ne capte l’attention que parce qu’elle est relatée au moyen d’un montage en flash-back/flash-forward qui déstructure le récit. Le film d’Oz Perkins ne s’avère donc pas des plus passionnants, alors qu’il a pour vedettes un joli trio de comédiennes (Lucy Boynton, Kiernan Shipka, Emma Roberts) et pour cadre un lycée religieux fréquenté par des demoiselles en uniformes et jupettes. Pareils décor et personnages enflammeraient l’imagination de n’importe quel scénariste de giallo à la plume leste et trempée dans l’encre rouge. Oz Perkins n’en tire qu’un film d’ambiance dépressif. C’est péché !

SILENT NIGHT de Steven C. Miller (Canada/États-Unis) — Hors compétition

Il était assez curieux de trouver ce remake de Douce Nuit, Sanglante Nuit (1984) au sein de la sélection. D’abord parce que le film date déjà de 2012, ensuite parce qu’il n’a rien d’inédit, ayant été diffusé à la télévision française quelques semaines avant Gérardmer ! Mais bon, pour qui n’a pas vu l’original et passe peu de temps devant la télé (c’est mon cas), on peut aborder la projection l’esprit frais. Vu dans un Paradiso bondé (c’est la salle vintage du festival, avec plancher, fauteuils tape-cul et lustres aux ampoules grillées — en cabine, c’est le fantôme de Philippe Noiret qui lance le film), Silent Night et son intrigue hautement improbable — un tueur fou écume la ville un 24 décembre, impossible à repérer car habillé en Père Noël ! — font passer un moment agréable. Malcolm McDowell cabotine en vieux flicard incompétent, il est drôle ; les meurtres sanglants sont bien sanglants, et drôles aussi (mon préféré : une bimbo passe avec moult grand bruit dans une hacheuse à bois et repeint tout en rouge à 20 mètres alentour, en plein jour et sans témoins !). Parmi d’autres moments dignes d’heureuse souvenance, quelques scènes de nudité topless qui passent bien et la mise à mort sans scrupules d’une fillette infernale qui réclamait beaucoup trop de cadeaux au Père Noël. Hé hé…

SOUTHBOUND de Roxanne Benjamin, David Bruckner, Patrick Horvath et le collectif Radio Silence

(États-Unis) — Compétition

Les doigts d’une main ne suffisent pas à dénombrer les réalisateurs de Southbound : cette production est un film à sketches, qui ne déroge pas à la fameuse loi du genre (un lot d’histoires courtes de qualité inégale, certaines pas mal, d’autres décevantes). En revanche, la structure de l’ensemble vise à secouer la tradition, rapprochant le film d’autres succès récents du même type (tels que A Christmas Horror Story), en proposant non un simple bout-à-bout de sketches disparates mais un réseau d’histoires entrelacées, se déroulant à peu près simultanément dans les parages d’une « highway » traversant le désert (« direction le sud », le titre, qu’on peut aussi traduire par « voué à mal tourner »). Le road-movie macabre nous fait découvrir des esprits grimaçants aux allures de Faucheuse qui vous guettent sous le soleil, une petite communauté qui se consacre à des dévotions bizarres la nuit tombée… La mort rôde de part et d’autre de la bande de bitume, et le meilleur moment de la projo nous fait assister aux malheurs d’un conducteur désemparé, ayant sur les bras le corps inconscient de la jeune femme qu’il vient de renverser. Il dégotte un hôpital mystérieusement désert, où personne n’est là pour l’aider. Par chance, les voix qui lui répondent au 911 lui indiquent la marche à suivre au bloc opératoire… à moins que ces assistants à distance lui racontent n’importe quoi ! Méchant, saignant, grinçant, le mélange a plu aux lycéens du Jury Jeunes, qui ont décerné leur prix à Southbound au soir du palmarès.

JERUZALEM de Doron & Yoav Paz (Israël) — Compétition

Avec un Z qui veut dire… Zombie ? Pas exactement : le prélude nous projette en 1972 à Jérusalem, où nous découvrons des images tournées en super 8 par deux prêtres du Vatican. Une séquence digne de se retrouver enfouie dans les archives secrètes du Saint-Siège : on assiste à une tentative inefficace d’exorcisme menée conjointement par un curé, un imam et un rabbin. Impuissants à délivrer la femme possédée, les trois personnages en tenues de cérémonie sortent un petit revolver de leur boîte à malices… Une entrée en matière efficace, accompagnée d’une voix off qui nous explique, sacré nom d’un chien, qu’une des trois portes de l’enfer est cachée dans la ville sainte !

La sélection gérômoise 2016 a donc son film d’horreur sulpicienne, mais on n’assiste pas à une resucée de L’Exorciste. Les possessions, ici, seront fort nombreuses, spectaculaires, dès lors que, de nos jours, les démons sortiront de leur trou pour investir les corps et festoyer en pleine fête du Kippour ! Des événements que l’on vit, littéralement, dans les sandalettes de Sarah, jeune juive américaine venue passer du bon temps en Israël avec sa meilleure copine Rachel. La touriste est équipée de « smart glasses », d’où le filmage en « found footage » — eh oui, encore un ! — qui nous restitue en vision subjective toute l’expédition en terre sainte. Les frères Doron et Yoav Paz de Tel-Aviv apportent leur touche personnelle au genre grâce aux fameuses lunettes connectées, qui font apparaître à l’image une quantité non négligeable d’infos-bulles sur les personnages croisés et les lieux visités avant (et pendant) que l’épidémie démoniaque se déchaîne. Les messages affichés sont parfois amusants (« Fatal error ! » lorsque l’héroïne fait un choix aux conséquences brutales pour elle-même et les bésicles), ils aident en tout cas à faire passer la pilule de cet énième avatar de Blair Witch Project et de [Rec]. Bien sûr, rien dans la dramaturgie ne vient justifier que les deux héroïnes complémentaires (Sarah la sage, Rachel la chaudasse) soient américaines, excepté le fait que les Paz Brothers aient tenu à livrer un métrage tourné en anglais, aisément exportable. JeruZalem, dont l’action mouvementée cite ouvertement Cloverfield — et le titre, jusque dans sa graphie, World War Z ! —, devrait en toute logique taper dans l’œil de quelques producteurs hollywoodiens, sans doute la visée principale de l’entreprise. On peut quand même reconnaître aux frangins une vraie pugnacité puisqu’ils ont réussi à mettre dans la boîte un film d’infectés-possédés-démoniaques avec de bonnes rasades de gore tourné intégralement en plein centre historique de Jérusalem, un exploit pour le coup inédit et inattendu.

LOVEMILLA de Teemu Nikki (Finlande) — Hors compétition

Dans la catégorie film-que-vous-ne-verrez-nulle-part-ailleurs-qu’en-festival, voici Lovemilla, notre ultime incartade hors compétition pour cette édition 2016. Présenté dans le cadre de la « Nuit décalée » à l’Espace LAC, Lovemilla est un film qui s’amuse, joué par des comédiens rigolos aux physiques totalement non-hollywoodiens (vous croiserez les mêmes en faisant les courses à Leclerc ou Carrefour). Le spectacle est fun et crado, on y voit des diarrhéiques se chier dessus ou des bébés vomir des gerbes vertes comme chez William Friedkin. Lovemilla s’affranchit de tous les codes esthétiques, le film ne respecte aucune convention. C’est aussi une histoire de sentiments, il s’adresse à tous ceux qui veulent entendre parler d’amour et, en même temps, détourner le regard du mainstream et voir « autre chose ». Bref, Lovemilla, made in Finland, c’est la Liberté.

Nous sommes dans une version fantasmée du pays, dans un futur pas très lointain. Un univers de S.F. mi-sérieux, mi-pacotille, où l’on croise des super-héros version farces et attrapes, où on peut voyager dans le temps comme on partirait en croisière… Les personnages principaux sont Milla et son fiancé Aimo, ils tiennent un snack. Milla est bien gentille de tolérer son gros lourdaud de copain, sympa comme tout mais quand même assez bête et manquant de confiance en soi (il passe son temps libre à faire de la muscu). Le scénario, adaptation d’une série tv (trois saisons, 68 épisodes), fait le récit de leur relation amoureuse plus ou moins houleuse. En dehors du boulot, les tourtereaux se partagent entre les parents de Milla — des alcoolos en phase avancée de zombification sur leur canapé — et leurs amis tous plus loufoques les uns que les autres.

Malgré son foisonnement de silhouettes et de situations insolites, le film de Teemu Nikki est très bien écrit. La relation de couple au cœur du récit fait écho, dans la sélection, à Burying the Ex de Joe Dante. Dingue dans la forme, le film s’avère donc très posé dans le fond, et il aborde la tête sur les épaules la question des rapports amoureux protéiformes (gays et bi sont aussi de la fête) entre exaltation, doutes, espoirs et déceptions. Une ronde sans fin, comme vient en témoigner la scène-pirouette de conclusion, d’une jolie habileté scénaristique.

ÉVOLUTION de Lucile Hadzihalilovic (France/Belgique/Espagne) — Compétition

Attardons-nous encore un peu dans la marge avec Évolution, qu’on pourra voir ailleurs qu’en festival puisque le film de Lucile Hadzihalilovic sortira ce mois de mars dans les salles. La cinéaste française est une amie de longue date de Gaspar Noé, ils fondèrent ensemble la société de production Les Films de la Zone, à l’origine de Carne et Seul contre tous (tournés par Noé). Œuvrant dans le même esprit d’indépendance que son complice, Lucile a mis dix ans pour réunir le financement de ce second long métrage, écrit juste après le film qui l’a fait connaître, Innocence (avec Marion Cotillard et Hélène de Fougerolles, une métaphore du conditionnement féminin qui remporta le prix du meilleur film au NIFFF de Neuchâtel en 2005). Évolution est une œuvre aussi ambitieuse qu’Innocence, c’est un film-poème à la beauté formelle sidérante.

Sur une île vit un petit groupe d’enfants, tous des garçons âgés d’une dizaine d’années. Ils occupent avec leurs mères de petites maisons blanches non loin du rivage de sable noir. Les intérieurs sont dépouillés, l’ameublement minimal. Les mères, qui portent toutes la même robe beige, emmènent parfois leurs fils dans un ersatz d’hôpital où ils sont pris en charge par d’énigmatiques infirmières. Ils subissent des examens. Sont-ils malades ? Sont-ils les sujets d’expériences ?

On peut dire, histoire d’accrocher le film à une référence, qu’Évolution rappelle par certains côtés science-fictionnels l’intrigue de la série Lost, où les héros découvraient sur l’île de leur naufrage des installations scientifiques où furent menées des recherches clandestines sur des cobayes humains. Le personnel médical, ici, ambitionne d’accélérer l’évolution en conférant aux jeunes « patients » des fonctions physiologiques qui ne sont pas les leurs. L’étrangeté permanente du film, le déficit volontaire d’informations soulèvent une montagne de questions auxquelles la réalisatrice se garde jusqu’au bout d’apporter des réponses. Les tableaux — magnifiques — s’enchaînent, éclairés par Manuel Dacosse, chef-op’, également, des films d’Hélène Cattet et Bruno Forzani, Amer et L’Étrange Couleur des larmes de ton corps. Évolution s’inscrit dans la même démarche que ces deux titres. On assiste à un cinéma à la fois formaliste et symboliste, résolument à la marge de la production française (et internationale), un Septième Art des sens et de l’esprit qu’on accepte ou qu’on rejette, comme on peut se passionner ou rester de marbre devant la poésie de Mallarmé ou de Théophile Gautier.

WHAT WE BECOME (SORGENFRI) de Bo Mikkelsen (Danemark) — Compétition

« What We Become, c’est le premier film de zombies danois, et ça restera sans doute le seul ! », me déclarent en rigolant le réalisateur Bo Mikkelsen et le compositeur de la b.o. Martin Pedersen. Un sympathique duo croisé au Grand Hôtel de Gérardmer, qui me révèle en outre que la production cinématographique danoise se résume chaque année à une douzaine de films, pas plus ! On a donc de la chance d’y piocher en 2016 un film de morts-vivants qui respecte à la lettre la grande tradition du genre. Sauf que les événements racontés — et c’est la principale originalité — se déroulent au Danemark, à Sorgenfri, dans la communauté d’agglomération de Copenhague. Le toponyme donne au film son titre original, plutôt ironique (« sorgenfri » signifie « sans souci »). L’épidémie virale zombifiante se déclare dans une banlieue résidentielle aisée. Le gouvernement déclare l’état d’urgence, le quartier est placé en quarantaine. Mais on sait très bien aujourd’hui qu’il est impossible de contenir longtemps une population sans cesse croissante de « walking dead » affamés…

Dans la démarche, on peut rapprocher What We Become de JeruZalem, dans la mesure où dans l’un et l’autre cas, de jeunes réalisateurs font leurs gammes avec un premier long métrage de genre codifié. Celui-ci est beaucoup moins clinquant et raccoleur que Jeruzalem, on n’y suit pas les déambulations avec gadgets high-tech d’Américaines à la cuisse légère. Les héros de Sorgenfri sont une famille de quatre personnes que la situation dramatique oblige à vivre reclus dans leur pavillon. Gustav, étudiant, n’entend pas rester éternellement cloîtré avec ses parents et sa petite sœur. En face de chez lui a emménagé un peu avant la crise la jolie Sonja, avec laquelle il aimerait mettre les voiles.

Peu d’originalité dans les faits racontés, mais What We Become (« ce que nous devenons ») est traversé d’une belle énergie et, ponctuellement, de traits d’humour appréciables qui permettent de lâcher un peu de pression. Le cadre millimétré au cordeau fait du décor de pavillon bourgeois le théâtre d’un drame qu’on anticipe sanglant, car on se doute bien que malgré la loi martiale, le virus finira par entrer (la progression dramatique est très graduelle, et la menace qui pèse sur les héros reste longtemps hors-champ). Le film a bénéficié d’un important travail sur le son, avec des effets qui boostent le niveau de stress. C’est du bon boulot, carré, efficace. Également co-monteur du film, Bo Mikkelsen sait ce qu’il va devenir : il devrait tourner cette année au Danemark une série télé produite par les États-Unis.

AMERICAN HERO de Nick Love (États-Unis/Royaume-Uni) — Hors compétition (film de clôture)

Je vous dirais bien enfin deux mots de ce film projeté en clôture du festival et signé par un Anglais au patronyme aimable, Nick Love, mais il y a un hic : comme tous les autres plumitifs de mon espèce, passant d’une salle à l’autre une accréditation de presse autour du cou, j’ai dû signer une clause de confidentialité auprès du distributeur français Chrisalys, laquelle m’impose un black-out total sur le film jusqu’au 31 mars prochain ! Donc mon texte est bel et bien là, prêt pour la mise en ligne, au chaud dans le disque dur, mais pas moyen de l’inclure dans cette page à la place de ces quelques lignes… Mais pourquoi donc, vous entends-je déjà protester, quel mystère peut bien envelopper American Hero ? Qu’a donc pu voir sur l’écran le public de Gérardmer à l’issue de la cérémonie de remise des prix, alors que le jury était parti se repaître de raclette au munster géromé ? Pas question de voir débarquer un de ces jours à mon domicile un quarteron d’hommes de main résolus à me briser les doigts qui me servent à pianoter, je resterai pour l’heure muet comme une tombe, quand bien même American Hero a pour vedette Stephen Dorff (et j’aime bien Stephen Dorff), quand bien même l’histoire se passe à la Nouvelle Orléans (j’aime bien la Nouvelle Orléans, c’est un beau décor de cinéma) et a pour héros un type doué de télékinésie, comme Jean Grey dans X-Men (et j’aime aussi Jean Grey dans X-Men, je m’étais même follement épris d’elle lorsque, tout gamin, je lisais les aventures des super-héros mutants dans les pages de Spécial Strange). Le 1er avril aux douze coups de minuit, et ce n’est pas une blague, je vous donnerai le fond de ma pensée sur American Hero (dont la sortie dans les salles françaises est prévue pour le 25 mai 2016) !

LE PALMARÈS

Pour Monsieur le Président Claude Lelouch, les réalisateurs de JeruZalem ont l’étoffe de deux « futurs grands cinéastes ». La preuve que le « found footage » israëlien a fait son petit effet sur le cinéaste d’Un Homme et une femme et d’Itinéraire d’un enfant gâté. Claude l’expert a-t-il vu avant JeruZalem ne serait-ce qu’un seul autre titre du genre ? Il n’est pas interdit d’en douter. Quoiqu’il en soit, le jury a décerné son Prix Spécial au film des frères Doron et Yoav Paz, ex-aequo avec Évolution (une distinction méritée pour le travail cette fois très original de Lucile Hadzihalilovic). Le Grand Prix est attribué à Bone Tomahawk, une bonne surprise en ce qui me concerne. Des esprits beaucoup plus critiques que moi ont déploré cette décision, arguant du fait que le western de S. Craig Zahler n’est pas vraiment un film fantastique. Je dirais que le film a surtout le « tort » de mettre en vedette des héros droits dans leurs bottes, tous très polis et sympathiques (alors que Les Huit Salopards de Quentin Tarantino, le titre de référence de ce début d’année, a donné du Far West un son de cloche totalement différent avec sa cynique ribambelle de fumiers). Amis visiteurs, faites-vous votre opinion lors de la sortie du film en DVD, le 22 mai.

Évolution s’adjuge également le Prix de la Critique (bravo), The Devil’s Candy celui du Public (super !). Southbound décroche le Prix des lycéens composant le Jury Jeunes de la région Lorraine (devenu cette année le Jury Jeunes de la région Alsace-Champagne-Ardenne-Lorraine, ce qui est un peu plus long à formuler). Enfin le Prix du Jury SyFy (composé de spectateurs de la chaîne de tv) est allée à The Witch de Robert Eggers, qui méritait bien lui aussi de ne pas repartir bredouille. Au total, six films sur les dix inscrits dans la compète ont remporté un trophée. Quant au Grand Prix de la Compétition des Courts Métrages, il est allé au film Quenottes. Une récompense que nous avons saluée d’un sourire qui montre toutes les dents puisque Quenottes n’est autre que l’adaptation d’une nouvelle, 1,2, ne ferme pas les yeux, écrite par notre ex-collaborateur liégeois Christian Simon, responsable jusqu’en 2009 des pages Cinéma de Khimaira. Notre directeur de la publication Christian Lesourd a vu le film, il l’a trouvé particulièrement prenant, porté par des effets spéciaux très réussis et deux excellents acteurs (Lionel Abelanski et Mathieu Clement-Lescop). Il n’y a plus qu’à attendre un premier long métrage signé des réalisateurs Pascal Thiebaux et Gil Pinheiro, un cap qu’ils peuvent franchir sans aucun problème !

En plus des films chroniqués ci-dessus, la sélection de ce Festival de Gérardmer 2016 comptait également l’excellent We Are Still Here de Ted Geoghegan (déjà traité dans nos pages — cliquez ici !), le très moyen Pay the Ghost d’Uli Edel (ici !) ainsi que d’autres titres que nous n’avons pu voir : Freaks of Nature de Robbie Pickering et Sharknado 3 d’Anthony C. Ferrante (présentés, conjointement à Lovemilla, au cours de la « Nuit décalée ») ; Summer Camp d’Alberto Marini (dont Aurélie Lequeulx du festival Bloody Weekend m’a dit beaucoup de bien) ; The Shamer’s Daughter de Kenneth Kainz (l’autre film danois de la programmation) ; enfin, outre Le Complexe de Frankenstein, les festivaliers ont aussi pu découvrir deux autres documentaires : Lost Soul: The Doomed Journey of Richard Stanley’s Island of Dr. Moreau (de David Gregory, États-Unis) et La Rage du démon (de Fabien Delage, France). Et bien sûr, hommages obligent, trois films de Wes Craven — Les Griffes de la nuit, Le Sous-Sol de la peur, Scream — et trois d’Alejandro Jodorowsky — El Topo, Santa Sangre, La danza de la realidad — ont été projetés. Ouf, je crois que nous avons tout dit ! À l’année prochaine ?

Tous nos remerciements au Public Système Cinéma, à Anne-Sophie Trintignac, Anthony Humbertclaude, Sophie Gaulier et à tous les bénévoles du festival !

Retrouvez nos comptes rendus des précédentes éditions du festival :

Gérardmer 2015

Gérardmer 2014

Gérardmer 2013

Gérardmer 2012

Gérardmer 2011

Gérardmer 2010

Gérardmer 2009