Gérardmer et son lac pris dans les glaces. The place to be, la Terre promise pour tout ce que l’Hexagone compte de fous d’épouvante et de fantastique. Au menu de ce festin de janvier, du Clive Barker sur grand écran, un film de survie, un teen flick plutôt corsé, de l’animation, des grossesses à problèmes, un conte coréen, des monstres en plein Far West, et j’en passe ! Difficile de trouver programmation plus éclectique que la sélection 2009 de Fantastic’Arts. Un point commun, toutefois, à presque tous ces films : du sang en abondance au service d’une horreur crue, où l’être humain dépecé, dévoré, démembré, est férocement réduit à sa nature la plus organique.

Mercredi 28 janvier, 20h00
En course dans la compétition, le film d’ouverture The Burrowers (soit « les Enfouisseurs », mais le futur distributeur français saura trouver un meilleur titre) nous plonge dans un territoire cinéphilique peu fréquenté, le western d’épouvante.

L’entrée en matière est classique mais efficace : au dix-neuvième siècle, une famille du Far West est nuitamment assaillie par un ennemi que la réalisation laisse dans l’ombre et que l’on devine redoutable. Au matin, un jeune cow-boy vient frapper à la porte. Coffey (c’est son nom) a l’intention de demander au père de famille la main de sa fille Maryanne, mais, dans la ferme isolée, tout le monde a disparu. Flanqué de quelques acolytes, le jeune homme se lance à la recherche de sa bien-aimée…

Réalisé par l’Américain J.T. Petty, The Burrowers n’est pas présenté à Gérardmer sans raison : plutôt qu’une bande d’Indiens hostiles (comme ils le pensent à tort), les héros à cheval devront affronter une toute autre menace, et l’équipée sauvage va tourner au film de monstres. Un pitch excitant. Cependant, la fête tourne court car le scénario prend du plomb dans l’aile en s’éparpillant entre horreur façon série B et œuvre à message pro-Indien. Le propos est louable, mais The Burrowers n’est au final qu’un métrage hésitant, au rythme mou, relevé çà et là par quelques traits humoristiques pas malvenus et par une mise en scène exploitant joliment les décors naturels du Nouveau-Mexique. Présence remarquée de Clancy Brown dans un second rôle.

Jeudi 29 janvier, 11h00
Pendant longtemps, pour les Français, la Finlande a surtout été le pays des films de Mika et Aki, les frères Kaurismaki. Mais depuis quelques années, la contrée du Père Noël est une nation rock ‘n’ roll qui exporte du metal gothique. On y tourne aussi des histoires de fantômes, comme le prouve le deuxième film de la compétition, Sauna, réalisé par Antti-Jussi Annila.

Présent à la projection, le jeune cinéaste révèle au public la genèse de son film : « Après mon premier film Jade Warrior (néo-film de sabre au confluent des mythologies chinoise et scandinave — NdR), des producteurs sont venus me soumettre un scénario, Sauna. D’emblée, le titre m’a fait tiquer : il me faisait penser à une histoire d’étudiants et étudiantes dénudés enfermés avec un tueur fou dans un sauna. J’avais mis dans le mille, c’est exactement ce que ces producteurs souhaitaient ! Hors de question pour moi de tourner un film pareil. Alors ils m’ont donné carte blanche et un délai d’un an pour leur proposer un script plus conforme à mes ambitions ». Effectivement, le résultat n’a plus rien à voir avec le slasher envisagé au départ…

L’année 1595 voit s’achever la guerre entre Russie et Suède. Après la signature du traité de paix, des émissaires de l’un et l’autre camp forment une commission chargée de délimiter les nouvelles frontières entre les deux pays. Représentant la couronne de Suède, Knut et Erik Spore sont deux frères que tout oppose. Le premier est un cartographe discret et homosexuel ; le second, militaire endurci, a bâti sa réputation au fil de son épée, et il ne compte plus ses victimes. Ou plutôt si : 73, soit, curieusement, le nombre d’habitants d’une étrange bourgade perdue au milieu d’un marécage exploré par la commission…

« Mon intention première n’a jamais été de raconter une histoire d’horreur, mais plutôt de faire de Sauna un film sur le péché et le pardon », explique A.J. Annila. Le cinéaste fait donc le pari d’un métrage allégorique dans lequel les fantômes viennent réclamer aux protagonistes le prix du sang versé. Quid du sauna ? Un lieu-symbole au cœur du marécage où morts et vivants se rencontrent, où l’eau sert moins le confort du corps que celui de l’âme en aidant à laver les péchés.

Qu’on soit ou non sensible à cette thématique très judéo-chrétienne, on ne peut que s’incliner devant la beauté de l’œuvre (la photo en 2:35 est magnifique) et se laisser doucement envahir par le souffle glacial qui habite ce métrage hivernal. La lenteur du rythme (qualifions-le de « contemplatif ») est brisée par des apparitions spectrales cauchemardesques empruntées aux mises en scène des kwaidan eiga japonais.

14h00
Les lumières s’éteignent de nouveau à l’Espace LAC — la principale salle de projection —, mais Jaume Balagueró, Fabrice du Welz et les autres membres du Jury sont absents : à l’écran défilent les premières images de From Inside, présenté hors compétition.

Film d’animation, From Inside est l’adaptation d’un graphic novel éponyme publié en 1994 par Tundra (éditeur, également, de From Hell et The Crow, entre autres). L’auteur John Bergin a porté lui-même son œuvre à l’écran, sans rien à demander à personne puisqu’il a peiné seul chez lui, devant son Mac, pendant deux ans pour arriver à ce résultat ! Un véritable travail d’Hercule doublé d’une école de la patience (certains plans en 3D ont nécessité des jours, voire des semaines de calcul). Le produit fini est un prototype de « Dep-Fi », comme le définit Bergin, soit un métrage de science-fiction déprimante… Effectivement, rien ne prête à rire dans cette histoire où Cee, jeune veuve enceinte, traverse à bord d’un train de réfugiés un paysage post-apocalyptique ravagé par les inondations, la guerre, la famine. La vie qu’elle porte en elle sera-t-elle le symbole du renouveau de l’humanité ? Rien n’est moins sûr…

« J’ai tenu à ce que mon film propose une expérience équivalente à celle de la lecture du roman graphique », explique John Bergin dans le dossier de presse. Passionnant mélange d’images statiques et animées, de 2D et de 3D, From Inside s’impose comme une œuvre totalement atypique, hypnotique, parsemée d’images perturbantes et sans aucun dialogue, hormis le mélancolique monologue intérieur de l’héroïne. Des partis pris bien trop radicaux pour une vingtaine de festivaliers qui n’ont même pas attendu la fin des 70 minutes de projection pour quitter la salle… Sorry, Mr Bergin !

19h30
Il est musclé, tatoué, il porte un béret… Ce n’est pas SuperDupont mais l’Américain Paul Solet qui monte sur scène devant une salle comble pour présenter Grace, son premier long métrage. La projection fait écho à celle de From Inside puisqu’il y est à nouveau question d’une maternité compliquée. Paul Solet : « Le scénario de Grace est puisé dans mon vécu. À mes dix-huit ans, ma mère m’a révélé que j’avais eu une sœur jumelle morte in utero. Lorsqu’elle avait appris la perte du fœtus, chaque parcelle de son être s’était alors investie dans un unique objectif : protéger la santé de l’enfant restant. Dans ses mots transparaissait une volonté maternelle d’une force telle que le souvenir de ce moment ne m’a jamais quitté ».

Enceinte de huit mois, Madeline se prépare à son accouchement. Mais un terrible accident de la route prive la jeune femme de son mari, tout en mettant un terme à la vie de son bébé. Se refusant à avorter, Madeline mène sa grossesse à terme et accouche de l’enfant mort-né. Miraculeusement, la petite Grace revient à la vie…

Grace a beau être un récit intimiste, c’est sans conteste une des grosses claques de la sélection. Pour les spectateurs, c’est une expérience « littéralement pénible », ai-je même entendu commenter à la sortie de la séance. Paul Solet traite cette histoire de bébé étrange avec une froideur chirurgicale. En place dès les premières minutes, la tension psychologique ne faiblit jamais, créant un réel inconfort. Le malaise est à son comble lorsque le sang se met à couler, et l’horreur culminera dans les ultimes secondes. Pour le public tenu en respect une heure trente durant, le plan final tient… du coup de grâce !

Vendredi 30 janvier, 9h00
Malgré l’heure matinale, je m’empare illico de l’esquimau vanille-chocolat que me tend l’une des souriantes ouvreuses du festival. Je suis au paradis, où plutôt au Paradiso, la plus petite salle de Gérardmer. Les sièges en cuir rabattables accueillent les festivaliers encore un peu endormis, les pas font craquer les lattes patinées du vieux parquet de bois… On se croirait revenus quarante ans en arrière, à l’époque — que je n’ai pas connue, hé ! — des bons vieux cinémas de quartier. Ça tombe bien : à l’écran, on va nous jouer une histoire de voyage dans le temps.

Timecrimes (Los Cronocrimenes dans son idiome ibérique d’origine) a beau faire partie de la compétition des inédits vidéo, il est projeté en copie 35 mm. Voilà qui fait honneur à cette pellicula écrite et mise en scène par Nacho Vigalondo. Hectór, un sympathique quadra, y fait accidentellement un voyage dans le temps et se retrouve confronté à lui-même. En cherchant à réparer cette erreur, il va déclencher une série de catastrophes aux conséquences peut-être irréparables…

Quel dommage que cette merveille de S.F. minimaliste (deux décors, quatre personnages, une paire de jumelles, un vélo) ne doive connaître en France qu’une distribution en vidéo ! Timecrimes a fait le tour de pas mal de festivals avant d’atterrir à Gérardmer, et a glané à chaque fois des récompenses : Prix du Public à Austin, Texas ; Prix du Jury à Amsterdam ; Meilleur Film de S.F. à Trieste… sans oublier une projection de minuit à Sundance ! Le film de Vigalondo est un de ces petits bijoux inattendus, qu’on regarde d’un œil mi-fasciné mi-amusé, et sans jamais s’ennuyer, malgré une intrigue à base de boucle temporelle sans cesse répétée. Bref, les conditions idéales pour se dire au sortir de la salle, le sourire aux lèvres, que c’est vraiment chouette, le cinéma !

11h00
Là, on ne rigole plus : l’écran de l’Espace LAC s’habille intégralement de rouge sang. Six lettres géantes barrent l’image écarlate : ROVDYR. C’est du norvégien. À l’international, ce quatrième film de la compétition s’intitule Manhunt.

1974. Quatre amis embarquent à bord de leur mini-van VW pour un week-end dans les bois. Des chasseurs autochtones les attendent au tournant…

Voilà pour le scénario, il tient en deux lignes. Je reconnais être entré dans la salle avec un a priori négatif concernant ce premier long métrage du dénommé Patrik Syversen. De prime abord, rien d’autre qu’un énième survival où des locaux tarés font ravaler à une bande de jeunes leur arrogance de citadins. Et finalement, Manhunt tient la route ! Le montage serré (76 minutes à peine) est particulièrement efficace, et Syversen fait montre de son savoir-faire par des choix artistiques avisés (la photo naturaliste au grain prononcé donne au film un cachet de cinéma-vérité). Quant aux interprètes, ils donnent de l’épaisseur à leurs personnages à peine esquissés en ayant réellement l’air de lutter pour leur survie. L’acier déchire les chairs, fait craquer les os, et on a mal pour eux… Bien joué !



15h00
Gérardmer est un festival de cinéma, mais en marge des projections, on visite également une expo dédiée à la peinture et à la sculpture, une autre consacrée à la bédé… Et puis il y a le Grimoire, le salon littéraire du festival. Cette année, une vingtaine d’auteurs étaient présents, dont Henri Lœvenbruck. Le sémillant auteur de fantasy (entre autres genres) était sur la brèche en ce milieu d’après-midi pour prendre part à une table ronde. Face à lui, Fabrice du Welz faisait faux bond au Jury des Longs Métrages pour se livrer à une discussion sur la littérature et le 7ème Art. Au final, une heure d’échanges passionnants durant laquelle les deux artistes sont revenus sur leur parcours individuel tout en devisant sur les ponts existant entre leurs arts respectifs… Et Lœvenbruck a même presque réussi à tirer une larme à l’auditoire en évoquant les liens profonds qu’il a tissés avec certains de ses lecteurs !

Bien sûr, Gérardmer et ses salles obscures n’ont pas vocation à concurrencer le salon des Imaginales (chaque année en mai dans la ville voisine d’Épinal). Il est cela dit judicieux que ce festival ménage ce genre de « pauses » où le public a la chance de pouvoir rencontrer, écouter, questionner les auteurs.

19h30
Retour dans les salles. L’heure est venue de découvrir une des têtes d’affiche de cette édition 2009, The Midnight Meat Train. Rendez-vous compte : une adaptation de l’horrible nouvelle Le Train de l’abattoir de Clive Barker (parue dans le tome 1 des Livres de sang), signée qui plus est par le Japonais Ryûhei Kitamura. Je garderai toujours un souvenir fabuleux de cette soirée d’ouverture du NIFFF, à Neuchâtel, en 2005, où le cinéaste était venu en personne présenter Godzilla : Final Wars. L’ambiance festive était électrique, autant que celle de ce soir à Gérardmer. Kitamura-san n’est pas là, mais ses images magistralement filmées parlent pour lui…

Leon Kaufman a tapé dans l’œil d’une galeriste réputée de New York. Pour s’assurer la promesse d’une exposition, le photographe doit cependant proposer des images encore plus fortes et pousser plus avant sa quête des aspects les plus sombres de l’être humain. Au gré de ses errances nocturnes Leica au poing, il découvre les agissements d’un tueur en série mutique dans une rame de métro…

Au terme de la projection, les applaudissements du public résonnent dans tout l’Espace LAC, et The Midnight Meat Train semble bien parti pour décrocher, dimanche soir, le Prix du Public. À défaut de faire réellement peur (les personnages fonctionnels ne forcent guère l’empathie), le film de Kitamura est un ride jouissif dans les entrailles souterraines de la Grosse Pomme : à chaque virée à bord de la rame fatale, la caméra s’emballe dans une chorégraphie gore exubérante où, sous le marteau du Boucher, les passagers se transforment en tas de viande sanguinolente, le tout sous l’œil clandestin de Leon. Le train emporte le photographe voyeur (pléonasme ?) dans un voyage initiatique sans retour, au bout duquel il devra céder à sa part d’ombre. « Cool ! », conclurait Bart Simpson, les yeux ronds comme des billes, comme après un épisode bien sanglant d’Itchy et Scratchy

22h00

Pas question d’aller se coucher ! Aux abords du lac, la température est négative mais à l’intérieur, le mercure va grimper : les spectateurs s’alignent à nouveau à l’entrée de la salle pour découvrir Bad Biology, le dernier film de Frank Hennenlotter (hors compétition).

Depuis 1981, Hennenlotter se construit une filmographie délirante dominée par un thème central : la coexistence forcée avec un organisme envahissant et parasite. Le héros de la célèbre série des Basket Case doit trimballer dans un panier un être monstrueux, Belial, qui n’est autre que son frère siamois dégénéré, séparé à la naissance ; dans Elmer, le remue-méninges, un jeune type tombe sous l’emprise d’une bestiole dotée de la parole, pourvoyeuse d’une sécrétion aux vertus stupéfiantes… Batz, le héros de ce nouvel opus low budget (cinéaste de la marge, Hennenlotter n’est jamais sorti du circuit de la série Z), est équipé d’une quéquette génétiquement modifiée de dimension colossale. Autonome, la « bête » a des besoins énormes… Dans la ville circule également la blonde Jennifer, une mangeuse d’hommes dont le puits d’amour recèle sept clitoris ! Pas besoin de faire un dessin : les deux phénomènes devront fatalement se rencontrer !

Un vrai délire d’ado bourré de scènes de cul outrancières, tourné sans complexe en vidéo par M. Hennenlotter, qui fêtera tout de même ses 60 ans l’an prochain. L’imagination de Pervers Pépère est sans limite…



Samedi 31 janvier, 11h00
Co-réalisateur (avec Gadi Harel) de Deadgirl (encore un premier long métrage), Marcel Sarmiento est heureux comme tout d’être à Gérardmer. Le jeune cinéaste américain monte sur scène pour remercier chaleureusement le public venu en nombre assister à cette séance matinale (la salle de 700 places est pleine !). Pour immortaliser l’instant, il sort un appareil numérique et se fait photographier dos au public par David Rault, le présentateur-traducteur du festival. Et la projection débute alors que les orgasmes bruyants de Bad Biology résonnent encore dans nos oreilles. Il est encore question ici de pulsions sexuelles.

Rickie et JT sont deux lycéens paumés qui végètent sous le soleil d’une petite ville de Californie. Ils décident un jour de sécher les cours et vont vider des bières entre les murs d’un hôpital psychiatrique désaffecté. Dans les sous-sols, ils font une macabre découverte : une jeune femme nue enchaînée à une table et recouverte d’une bâche de plastique…

Ce teen movie pose un cas de conscience. Très bien réalisé et interprété (malgré des comédiens trop âgés pour leurs rôles d’ados, mais c’est une convention du cinéma US), avec à la fois une bonne dose d’humour et une tension que les auteurs savent maintenir jusqu’au bout… Seulement voilà : Deadgirl est une histoire sordide où une pauvre fille (Jenny Spain, première apparition au cinéma) exposée recto-verso pendant une heure trente se fait torturer par l’un des deux misfits susnommés, qui en fait son esclave sexuelle. Coups, strangulation, viols à répétition… Le film déploie un éventail obscène de sévices. Ok, comme le titre le révèle, la fille est un zombie, mais cet alibi surnaturel paraît quand même un peu léger pour justifier cette façon d’aborder le thème des « épreuves de la jeunesse et [de] la confusion liée à la croissance à cette période de la vie », dixeunt Sarmiento et Harel dans une note d’intention alambiquée jointe au dossier de presse. Bon, les cinéastes ont le droit de raconter et de montrer ce qu’ils veulent, mais au moins, si Deadgirl sort dans les salles, vous saurez à quoi vous en tenir en achetant votre ticket.

14h00
Une séance attendue et redoutée à la fois : la compétition des courts métrages. Attendue car on y trouve toujours quelques perles. Redoutée car la qualité des films projetés est souvent inégale. Heureuse surprise : ce cru 2009 est d’assez bonne tenue.

On attaque avec Persona Non Grata de Jean-Baptise Herment. Une nana s’introduit en douce dans l’appartement de son frère pour y récupérer un document. Elle tombe sur une autre fille, bâillonnée et ligotée sur un fauteuil… Un pur exercice de mise en scène qui satisfait sûrement bien plus l’auteur que les spectateurs.

Numéro 2 sur la playlist, Dix du collectif Bif est épatant. Un névrosé suit une analyse pour se débarrasser d’un toc encombrant : il a la phobie des lignes et ne peut se résoudre à poser le pied entre deux pavés ou deux lattes de parquet. Le processus mental induit par l’analyse psy est illustré par une mise en scène inventive où le héros se démène dans un milieu urbain changé en une sorte de Tetris tranchant. Attention aux orteils (et au reste) ! Un travail d’infographie impressionnant, au service de la narration.

Dans Redrum de Florent Schmidt, deux filles pénètrent de nuit par effraction dans le domicile d’un célibataire afin de l’observer dormir… Rien de très captivant dans ce suspense psychologique qui finit dans le sang. Gun au poing, la pauvre Sara Forestier n’est pas crédible une seconde, et le titre souligne des ambitions que le film est loin d’atteindre. Qu’en pense le fantôme de Stanley Kubrick ?

Next : Paris By Night Of The Living Dead de Grégory Morin. Le court que tout le monde est venu voir. En ce 31 janvier, la post-production n’est achevée que depuis huit jours (!), mais le buzz autour de ce film était tel que sa renommée s’est déjà faite par-delà la salle de montage. Le tout, maintenant, est de ne pas décevoir ! Deux jeunes mariés luttent pour survivre dans un Paris post-apocalyptique infesté de zombies… Visuellement, c’est efficace : le film n’a sûrement pas coûté 15 millions de dollars mais il donne le change. Les effets spéciaux sont réussis, la photo est belle, le montage et les comédiens dynamiques. Et Paris post-apo. vaut le coup d’œil. Pourtant, ce spectacle rigolo tourne quand même à vide et s’avère aussi prévisible que l’emploi du comédien Dominique Bettenfeld en curé hiératique.

Comme tout le monde dans sa famille, Tony Zoreil a des esgourdes aussi grandes que celles de Mickey, et il est sensible au moindre bruit. Pauvre Tony, contraint de se protéger des décibels et des regards sous un épais bonnet de grand-mère ! Sa vie amoureuse est un désert, jusqu’à ce que ses parents (et le réalisateur Valentin Potier) lui dégottent une fiancée dotée des mêmes attributs… Drôle et attachant, malgré une chute artificielle.

Last but not least, Next Floor. Ambiance de fin du monde dans le décor poussiéreux et baroque d’un vieux palace. Une tablée de convives sur leur trente et un engloutissent avec empressement des montagnes de bouffe servies par une batterie silencieuse de laquais… L’humanité privilégiée a trouvé, en se goinfrant, un raccourci direct pour l’enfer, nous suggère le Canadien Denis Villeneuve. Formidable direction artistique.

17h00
Retour au Paradiso pour une avant-première. En 1998, le cinéaste australien Jamie Blanks a surfé sur la vague de Scream en réalisant le fameux Urban Legend. Depuis, il a tourné trois films, Valentine (2001), Storm Warning (2007) et ce Long Weekend, présenté hors compétition.

Au bord de la rupture, Peter et Carla ont besoin de se retrouver. Le couple profite d’un week-end prolongé pour faire du camping sauvage. Mais leur intrusion sans gêne dans un coin de nature préservée excite la faune et la flore. Dame Nature sait comment leur faire sentir qu’ils ne sont pas les bienvenus…

Un curieux script qui n’est autre que la ré-écriture, par l’auteur lui-même (le scénariste Everett De Roche), du Long Weekend tourné par Colin Eggleston en 1978. Ce remake témoigne à sa façon des préoccupations actuelles en matière d’environnement en mettant en scène des citadins qui, les yeux rivés sur leur nombril, polluent à eux seuls tout un pan de rivage de l’Océan indien. Autour des sagouins et de leur 4×4 s’éparpillent très vite canettes, détritus… Mais hormis quelques scènes d’engueulade, il ne se passe hélas pas grand chose dans ce film monotone où les cris d’animaux plus ou moins énervés font planer une menace diffuse. Les paysages sont beaux, les scènes s’enchaînent sans réellement susciter l’ennui, mais le générique de fin arrive sans que la moindre petite péripétie n’ait pu soulever l’enthousiasme.

19h30
La réputation de Morse est à ce point flatteuse que certains, avant même de l’avoir vu, affirment qu’il remportera le Grand Prix ! Il faut dire que le film du Suédois Tomas Alfredson a fait le tour du monde avant d’arriver à Gérardmer. Sitges, Neuchâtel, FantAsia au Québec, Tribeca aux USA… Une vingtaine de festivals, dédiés ou non au fantastique, ont déjà programmé et récompensé Morse ! Le film s’est également vu décerner le Méliès d’Or 2008 du meilleur film fantastique européen.

Le rude hiver 1982. Oskar, 12 ans, est le souffre-douleur d’un trio de petites brutes dans la cour de son école. Traînant son mal de vivre dans une banlieue HLM de Stockholm, il fait un soir la connaissance d’Eli, une gamine qui vient d’emménager dans l’appartement voisin. « On ne peut pas être amis », le prévient-elle. Car Eli est une fillette particulière, elle ne sort que la nuit, elle a « 12 ans depuis longtemps »…

Les personnages d’enfants-vampires sont plutôt rares. Deux exemples viennent tout de suite à l’esprit : le jeune desperado Homer (joué par Joshua Josh Miller) dans Near Dark/Aux Frontières de l’aube (1987) de Kathryn Bigelow, et, bien sûr, la blondinette Claudia incarnée par Kirsten Dunst dans Entretien avec un vampire (Neil Jordan, 1994). Dans l’un et l’autre cas, les baby-vampires souffrent d’être coincés à jamais dans un corps pré-pubère, et l’argument de Morse semblait tout indiqué pour creuser cette thématique. Mais Tomas Alfredson ne se promène pas dans des territoires défrichés par d’autres, le sujet de son film est ailleurs. Solitaire, Oskar a besoin d’un allié, et un personnage tout-puissant de vampire apparaît comme le guide idéal pour l’aider à surmonter ses malheurs d’enfant et lui faire franchir le cap de l’adolescence.

Face à cet emploi du vampire, certains pourraient se figurer qu’Eli n’est qu’un alter-ego imaginaire, un fantasme d’Oskar. Ce niveau de lecture n’a rien d’absurde, mais plusieurs scènes où la fille apparaît sans le garçon — notamment celle où elle « chasse » pour se nourrir — permettent d’évacuer cette hypothèse. Respectueux de la mythologie qu’il aborde, Morse est bien un drame allégorique sur la fin de l’enfance, et c’est aussi un film de vampire. Une double identité qui confère à l’œuvre toute sa richesse et toute sa force.

22h00
Il y a quatre ans, le réalisateur David Morley a remporté dans ce même festival le Grand Prix de la compétition des courts métrages avec son film Organik, dans lequel un jeune homme, au moment d’affronter les nouvelles responsabilités de sa vie d’adulte, s’employait à liquider un lourd trauma remontant à l’enfance. Un excellent court qui laisse présager le meilleur quant au premier feature film de Morley, en l’occurrence Mutants, unique film français de cette sélection 2009 et bizarrement programmé hors compétition !



Le futur proche. La France et le monde sont la proie d’un virus dévastateur qui change ses victimes en humanoïdes affamés de chair humaine… Le sujet n’a rien de neuf, mais on ne peut pas non plus reprocher à David Morley d’avoir choisi la facilité : film d’infectés, Mutants arrive après 28 Jours plus tard (Danny Boyle, 2003) et sa suite 28 Semaines plus tard (Juan Carlos Fresnadillo, 2007). Égaler ces deux monstres relevait de la gageure, et il fallait obligatoirement trouver un angle d’attaque original. Aux mises en scènes démesurées du diptyque britannique, Morley répond donc par une histoire vue par le petit bout de la lorgnette, celle d’une poignée de personnages trouvant refuge dans un hôpital isolé vidé de toute présence humaine…

Le film démarre in media res, sur les chapeaux de roue. La nouvelle peste a envahi le territoire, les mutants sont partout, c’est la débâcle. La caméra s’embarque à bord d’une ambulance en compagnie de quatre survivants. Bientôt ils ne seront plus que trois, puis deux. Le film prend un tour inattendu quand le couple de rescapés — deux médecins, mari et femme — arrive dans ce fameux hôpital perdu dans la montagne. Le décor est fabuleux (il s’agit en fait d’un ancien sanatorium voué à la démolition, niché dans les Alpes du côté de Chamonix), et personnages comme metteur en scène s’emploient à le visiter. Dans une ambiance lugubre à souhait, le virus s’invite parmi le couple-vedette pour leur imposer un horrible ménage à trois. Le film s’est alors engagé dans un huis clos éprouvant, angoissant, au sein duquel l’homme doit affronter, sous les yeux de sa compagne, les affres de l’infection et de la déchéance physique. Dans la bobine suivante, de nouveaux personnages font leur apparition, relancent l’action, et Mutants s’achemine alors vers un épilogue pêchu où l’on tremble pour la survie de l’héroïne… Hélène de Fougerolles se donne à fond dans une partition très physique. Et j’attribue d’autorité à Francis Renaud le César du meilleur comédien français dans un rôle d’infecté.

Dimanche 1er février, 11h00
Hansel et Gretel clôt la compétition. Comme son titre ne l’indique pas, ce film de Yim Phil-sung est sud-coréen.

Victime d’un accident de voiture, Eun-soo perd connaissance puis erre, hagard, dans une profonde forêt. Il tombe sur une mystérieuse jeune fille qui le guide jusqu’à chez elle, dans une drôle de maison qu’on jurerait tirée d’un conte de fée…

En fait, je n’ai pas assisté à cette séance (pour cause d’interview matinale avec David Morley, le sympathique réalisateur de Mutants), mais je vais rôder sur le coup de treize heures du côté de l’Espace LAC. Postés comme moi à l’extérieur, des reporters télé armés d’une caméra légère guettent la sortie du public : « Bonjour, qu’avez-vous pensé du film ? ». Un jeune gars, la petite vingtaine, a un peu de mal à articuler des phrases cohérentes dans le micro qu’on lui tend… « Eh bien, je ne sais pas trop… Là, je suis encore dans le film. C’était très beau, en tout cas ». La journaliste re-tente sa chance avec un autre spectateur, un grand type d’une cinquantaine d’années, déjà plus loquace : « C’était magnifique, à mon avis le meilleur film de la sélection ! Les décors sont splendides, la musique et les comédiens sont parfaits, l’histoire très originale. Ce serait une honte que ce film n’obtienne aucune récompense ! » Fichtre ! Qu’ai-je raté là ?

J’engage la conversation avec un autre journaliste qui, lui, a assisté à la projection et a l’air plus circonspect : « C’est sûr, c’est très joli. Maintenant, quand même, qu’est-ce que c’est lent ! Beaucoup trop lent pour moi ». Juste à côté de nous, un grand gaillard à chapeau tend l’oreille en grillant une cigarette. Son badge jaune indique qu’il s’agit d’un distributeur. Il décrète : « C’est n’est pas le rythme du film qui pose problème, mais sa longueur. En tant que distributeur, je demanderais au réalisateur de couper un bon quart d’heure ». Hansel et Gretel est de nouveau projeté à 17h00. Je pourrai me faire une opinion à ce moment-là…

14h00
Une ultime avant-première à l’Espace LAC. Sur le papier, Hush ne vaut pas tripette puisqu’il repique sans vergogne le sujet de Breakdown (1998), le bon thriller de Jonathan Mostow avec Kurt Russel. L’Anglais Mark Tonderai a déplacé l’intrigue des étendues désertiques de l’Ouest américain aux Midlands humides de la Grande-Bretagne.

Un couple roule sur l’autoroute. Il fait nuit, il pleut, ils s’engueulent : Zakes est un jeune type velléitaire, coincé dans un job sans avenir ; Beth est fatiguée de leur relation et songe à rompre. Les attend une mésaventure corsée qui va les séparer pour mieux les rapprocher…
La force du film ne tient pas dans son histoire, donc, mais dans la façon dont Tonderai et le comédien William Ash parviennent à nous rendre sensibles les émotions qui saisissent le personnage principal. Au départ falot, vulnérable, symboliquement castré (il a découvert que Beth l’a trompé), Zakes trouve en lui les ressources nécessaires pour voler au secours de sa bien-aimée infidèle, kidnappée dans une station-service. Un parcours initiatique aussi effrayant que touchant et romantique, et l’empathie fonctionne, à en croire les cris et applaudissements du public lorsque notre ami parvient in fine, et de belle manière, à se débarrasser de ce salaud de ravisseur. Bravo, héros !

17h00
Je découvre enfin Hansel et Gretel et tombe sous le charme du film dès les premières images. Le grand type de tout à l’heure avait raison : c’est un conte superbe dont le réalisateur, le directeur artistique (Ryu Seong-hee) et le chef-opérateur (Kim Jee-yong) peuvent être fiers. Hélas, je suis aussi d’accord avec le distributeur à cigarette et chapeau : passé l’heure de métrage, le film s’enfonce dans une sorte de ventre mou encombré d’une série de scènes très répétitives. Les choses s’arrangent heureusement dans la dernière bobine, lors d’un finale surprenant, tout à la fois cruel et émouvant. À découvrir sans faute lors d’une éventuelle sortie en salles, peut-être raccourci « d’un bon quart d’heure »…

19h00
Misère, ça y est, c’est fini, Fantastic’Arts va fermer ses portes… Avant de céder la ville aux seuls skieurs, les festivaliers se rendent à la cérémonie de clôture pour assister à la remise des prix.

¡ Viva España ! La compétition des inédits vidéo voit Timecrimes couronné Meilleur Film par le public. Je l’affirme haut et fort, ce n’est que justice ! Concouraient également Resident Evil: Degeneration de Makoto Kamiya, No Man’s Land — Reeker 2 de Dave Payne, The Lost de Chris Sivertson et The Strangers de Bryan Bertino. Il y avait même un film de Takashi Miike, Crows Zero, mais cette année, c’était Timecrimes le meilleur ! Sortie du dvd français le 24 juin.

Vladimir Cosma, président, et les autres membres du jury des courts métrages (Leila Bekhti, Julie Ferrier, Mabrouk El Mechri, François Vincentelli) montent ensuite sur scène pour décerner leur Grand Prix à Dix du collectif Bif. Une décision judicieuse. Next Floor de Denis Villeneuve, à défaut de la palme, aurait bien mérité une mention spéciale…

David Rault, l’homme au micro, speaker-traducteur du festival (surnommé ‘Fido’ par les aficionados depuis l’édition 2007), annonce ensuite l’heureux vainqueur du Prix du Public dans la compétition des longs métrages. Comme on avait pu le mesurer à l’applaudimètre vendredi soir, c’est The Midnight Meat Train de Ryûhei Kitamura qui s’adjuge la récompense. Des claps-claps nourris et approbateurs saluent l’arrivée sur scène d’une jolie demoiselle (la distributrice française du film) venue recevoir le trophée au nom de Kitamura-san.

Et Jaume Balagueró revient en tant que président du Jury des Longs Métrages arpenter une scène qu’il connaît bien. Je le rappelle, tous ses films ont été présentés ici, et seul Darkness, en 2002, est injustement reparti sans récompense ! Suivent les autres membres du collège d’experts : Pierre Mondy (Mais où est donc passée la septième compagnie ? n’est pas un film fantastique, c’est entendu, mais on y voit une scène qui se déroule dans un cimetière !), Véronique Jannot (Le Toubib de Denys Granier-Deferre, c’était de la science-fiction !), Bérénice Béjo (a tourné dans Chevalier de Brian Helgeland), Sara Forestier (Le Parfum, quand même, d’après Süskind… un excellent film, quoi qu’on ait pu en dire ici ou là), Audrey Marnay (la copine de Tony Zoreil), Natacha Régnier (donnait la réplique à Magimel dans Trouble d’Harry Cleven, Grand Prix 2005), Jean-Christophe Grangé (dont on attend toujours une bonne adaptation ciné d’un de ses romans), et enfin le cinéaste belge Fabrice du Welz (Calvaire, Vinyan) et son chef-op’ attitré Benoît Debie, qui a aussi bossé pour Dario Argento (Il Cartaio) et pour George Ratliff (Joshua, superbe film ignoré lors du palmarès 2008 — dommage !).

Avec son accent chantant, Balagueró convoque Paul Solet sur scène : Grace remporte le Prix spécial du Jury. L’Américain déboule tout sourire avec son béret toujours vissé sur la tête, ses tatouages et ses biceps. Il saisit le fragile trophée de verre et le brandit d’un poing vainqueur. On se dit qu’il va le pulvériser entre ses doigts, mais non, l’objet tient bon… Et enfin, le moment tant attendu, celui de l’attribution du Grand Prix, qui va à… Morse. Une fois encore, le cinéaste Tomas Alfredson se voit remettre un trophée saluant l’excellence de son film vampirique. Le film du Suédois remporte également le Prix de la Critique.

Aucune injustice, donc, mais aucune surprise non plus dans ce palmarès 2009. On aurait aimé un peu plus d’audace de la part du Jury, qui aurait pu réserver sa Palme à un film moins couvert de récompenses que Morse. Dès le lendemain, j’envoie un mail à Fabrice du Welz pour lui demander quelques infos sur les délibérations. Il m’apprend alors que Paul Solet a en fait failli remporter le Grand Prix ! « Pour moi, révèle Fabrice, Grace est le grand film de cette sélection 2009. Un film extraordinaire, réellement subversif et admirablement construit. Jaume et moi nous sommes beaucoup battus pour lui décerner le Grand Prix, mais malheureusement le film divise beaucoup, et la plupart des membres du jury n’ont pas été sensibles à sa beauté froide et clinique. Morse est un film très réussi, plus fédérateur, qui a mis tout le monde d’accord ». Reste que l’excellent et éprouvant film de Paul Solet, grâce à ce Prix du Jury, pourra sans doute connaître une distribution dans les salles françaises et, espérons-le, rencontrer son public. C’est bien là l’essentiel.

Remerciements à Martine Roberge,
à Anthony Humbertclaude,
à toute l’équipe du Public Système Cinéma