20 ans d’existence ! Un anniversaire qu’il convenait d’arroser avec une bonne bouteille de kirsch, du 30 janvier au 3 février. Le score est d’autant plus méritoire que, contrairement à l’année de sa création, Gérardmer n’est plus le seul festival français du genre. La concurrence est même rude dans la Gaule fantastique depuis l’apparition de l’Étrange Festival en 1995, des Utopiales en 1998, du Festival européen du Film fantastique en 2008 à Strasbourg… Le PIFFF, créé en 2011 à Paris, n’a eu besoin que de deux éditions pour devenir incontournable, et n’oublions pas non plus les rendez-vous des Mauvais Genres (à Tours), des Maudits Films (Grenoble) et du Bloody Weekend (Audincourt), qui rassemblent depuis cinq, six ans des cinéphiles gourmands de bizarreries en tout genre. Mais Gérardmer est toujours là, avec un public inoxydable, à l’exubérance bon enfant, prêt à encaisser 18 heures de projo sur 24 en s’alimentant au lance-pierre et en affrontant le froid, le vent, la neige et la flotte dans les files d’attente. Dans de pareilles conditions, les Braves auraient droit à des récompenses dignes des splendeurs du Valhalla une fois les fesses calées dans les fauteuils. Or voilà : l’applaudimètre, cette année, n’aura enregistré que deux pics d’enthousiasme débordant, grâce aux travaux d’Andrés Muschietti (Mamá) et Adam Wingard (You’re Next). The Bay du vétéran Barry Levinson et quelques jolies babioles hors compétition méritaient aussi, heureusement, de figurer en bonne place au tableau de chasse des festivaliers.

LA COMPÉTITION

House of Last Things

Les échéances fantastiques dans l’Hexagone, donc, se multiplient, et cette réalité met les programmateurs de Gérardmer en face d’un écueil compliqué à surmonter : comment proposer des métrages inédits lorsqu’une demi-douzaine d’autres festivals de genre font aussi leur marché dans la production de l’année ? Réponse : en allant fureter parfois très loin, du côté de productions plus ou moins atypiques, étranges, à défaut d’être ouvertement fantastiques — une orientation qui n’est pas souvent prisée par les festivaliers. C’était le cas de House of Last Things, ghost story sans frisson signé de l’Américain Michael Bartlett, un cinéaste rare (trois films de cinéma en 25 ans) qui a fait l’essentiel de sa carrière en Allemagne (son thriller Ein tödliches Verhältnis, sorti outre-Rhin en 1998, est nanti d’une très bonne réputation). Présent à Gérardmer, Bartlett a prévenu la salle : « Mon film n’est pas vraiment un film d’épouvante, il s’agit plus d’une histoire à suspense relevée de quelques touches surnaturelles. » Admirateur de Cocteau, Buñuel et Dalí, Bartlett a écrit et tourné à Portland, Oregon, un film visuellement splendide (photo signée Ken Kelsch, le chef-op’ d’Abel Ferrara, qui d’ailleurs hantait le Grand Hôtel de Gérardmer cette année !), mais où l’intellect prime cruellement sur l’émotion. L’histoire met en scène un couple dont la vie a été bousillée par un malheureux drame. Partis se reconstruire en Italie, ils ont laissé la garde de leur maison à une jolie blonde un peu grassouillette, Kelly (Lindsey Haun, vue dans True Blood), bientôt rejointe par son boyfriend instable et son frère attardé. Alors que monsieur-madame sont poursuivis dans la Botte par leurs fantômes intérieurs, Kelly et ses coturnes doivent soudain prendre en charge Adam, un petit garçon surgi d’on ne sait où et qui, en toute innocence, prend peu à peu le contrôle de la maison… L’histoire de hantise, à partir de là, prend doucement un tour abscons, et ce ne serait pas grave si on avait sous les yeux un ou deux personnages auxquels se raccrocher. Hélas, pas moyen : Bartlett, dirait-on, n’affectionne pas tellement ses protagonistes, qui s’avèrent au mieux barbants, sinon antipathiques. Au terme de la projo, le cinéaste récolte quelques applaudissements polis, traitement auquel The Crack, le film du Colombien Alfonso Acosta, n’aura même pas droit.

The Crack

Premier long métrage de son auteur, The Crack (El resquicio) relève aussi d’un fantastique discret, dilué par un traitement en demi-teintes. Le film met en scène une famille marquée par la perte d’une des leurs, un an plus tôt. Marcela, sa sœur Angélica et ses quatre enfants passent quelques jours dans la résidence secondaire de la famille, en région montagneuse. Un séjour entre soi qui les aidera peut-être à finir leur deuil. The Crack met les nerfs des spectateurs à rude épreuve et de manière inédite (en 20 ans de festival, je n’avais jamais vécu ça !) : le film d’Alfonso Acosta ne raconte rien, ne noue pas la moindre intrigue. Dans leur bicoque sur les hauteurs, les personnages s’emmerdent, s’engueulent un peu… À force de tourner en rond, les deux grands garçons finissent par éprouver une vague attirance érotique pour leur tante, tandis que les jeunes jumeaux trompent leur oisiveté par des petits jeux morbides dans la forêt (faisons un trou et voyons qui tombe dedans). Les scènes s’enchaînent en pilotage automatique, « rythmées » par des intertitres-calendrier qui scandent le métrage à coup de « Jour 1 », « Jour 2 »… Au « Jour 4 », on ne voit toujours rien venir, et un bruissement d’impatience parcourt le public. Lorsque la cinquième journée est introduite par le carton « Dernier jour », c’est littéralement un tonnerre d’applaudissements qui explose dans l’Espace LAC. On n’en peut plus mais il faut pourtant encore tenir, l’ultime journée n’étant pas la moins longue. Le calvaire collectif s’achève par la fuite des 700 spectateurs de la salle aussitôt la lumière revenue.

The Complex

Montons d’un cran, qualitativement, mais d’un seul, avec le nouveau film du Japonais Hideo Nakata, revenu cette année fouler la neige vosgienne avec The Complex (Kuroyuri danchi), une histoire dans la droite ligne de son chef-d’œuvre Dark Water (Grand Prix du festival en 2003). Asuka, une élève infirmière, emménage avec ses parents et son petit frère dans un immeuble HLM (« complex » en anglais) de la banlieue de Tokyo. Elle fait la connaissance d’un garçonnet qu’elle croise sur le terrain de jeux du quartier. Le gamin affirme vivre avec son grand-père, le voisin de pallier d’Asuka, que la jeune femme trouvera peu après mort de dénutrition dans son appartement… En 2006, Nakata-san avait connu les fastes d’un hommage officiel rendu par le festival (il était cette année-là le président du jury), et il avait conclu son discours de remerciement par une promesse : « Ces honneurs qui me sont faits m’encouragent à tourner des films plus effrayants encore. » Programmé en ouverture du festival, The Complex n’a pas vraiment rempli ce contrat et s’est fait vite oublier dans la sélection : nonobstant tout le respect dû à maître, qui s’y connaît toujours pour poser une atmosphère « creepy » à souhait, ce nouveau film donne dans la redite pure et simple avec une figure de revenant au destin tragique vue un million de fois depuis Dark Water (le coréen The Cat, sélectionné l’an dernier, présentait aussi un scénario similaire). Tant pis pour le personnage d’Asuka, très bien écrit : après un premier acte gentiment flippant, The Complex donne dans la hantise routinière, et on se dit qu’il est temps pour Nakata de laisser de côté les histoires de spectres tristes pour visiter d’autres champs d’expérimentation.

Remington and the Curse of the Zombadings

L’Asie était aussi représentée dans la compétition avec une fantaisie tendance portnawak, Remington and the Curse of the Zombadings. Nous partons aux Philippines pour suivre les mésaventures drolatiques d’un petit gars dans la vingtaine, Remington, un peu macho sur les bords et qui se retrouve victime d’une malédiction insolite : suite à un affront dont il se rendit coupable étant gamin, il est condamné à virer gay ! Gay ou plutôt « bakla », comme disent les Philippins dans leur idiome, le filipino. Une orientation très ordinaire dans l’archipel, la communauté bariolée des Baklas étant une composante reconnue de la société philippine : maniérés et sur-maquillés, les Baklas constituent une frange très bien intégrée de la population (économiquement, ils ont par exemple investi le secteur des salons de beauté, où leur savoir-faire n’est plus à prouver). Bref, du jour au lendemain, alors même qu’il a flashé sur la jolie Hannah Montano (!), Remington se retrouve visité nuitamment par un colosse glabre moulé dans un minishort, sorte de démon du troisième sexe, armé d’un rasoir et qui n’a de cesse de lui raser tous les poils ! La journée, notre héros se met à porter les t-shirts de sa petite sœur et à trouver étrangement attirant son vieux pote Jigs… En plein débat français sur le mariage pour tous, la sélection de ce Remington… est un pied de nez rigolo à tous les réfractaires à la cause gay, avec du même coup une visée pédagogique (honnêtement, avant de voir le film, j’ignorais tout ce que je viens de vous raconter sur la société philippine !). Maintenant, on a aussi le droit de porter quelques considérations critiques sur l’objet cinématographique : ce jeune Remington est bien mignon, ma foi, il porte superbement le rose et sait se déhancher comme personne (qu’est-ce que je raconte !?), mais ses tribulations pour se dépêtrer de la fameuse malédiction sont quand même lourdingues. Le réalisateur Jade Castro, auteur en 2008 d’une comédie romantique, My Big Love, n’a pas de quoi rivaliser avec Molière, ni même Feydeau, et les sourires qu’il réussit à tirer au public sont parfois forcés. Quant à l’argument fantastique lui-même, il laisse perplexe, les éléments surnaturels du récit n’étant pas tous très bien amenés (les « zombadings » du titre, des zombies gay, s’avèrent être un à-côté nullement indispensable du scénario).

The Bay

Dévoilé au public quelques heures après Remington…, The Bay démarre avec quelques « bakla ! bakla ! » lancés en début de projo par quelques joyeux drilles encore sous le charme du minet philippin. Mais les biquets vont vite se calmer car il y a de quoi pétocher grave avec ce « found footage » mis en scène par Barry Levinson. Après une série de longs métrages globalement décevants, la compétition prend avec The Bay un tour soudain plus costaud : nichée dans une baie du Maryland, la ville de Chesapeake, bourgade américaine typique, voit sa population atteinte d’une infection redoutable due à une bactérie présente dans l’océan. Les habitants contaminés voient leur peau se couvrir d’un prurit bubonneux assez dégueulasse, d’autres qui font trempette sont mystérieusement happés par une présence subaquatique hostile… D’une manière, le scénario m’a rappelé feue l’émission de Canal+ 24 Heures, magazine d’info des années nonante qui présentait chaque semaine un événement couvert par plusieurs équipes de la chaîne pendant toute une journée. Dans The Bay, le drame éclate alors que débutent les festivités du 4 juillet, et nous sommes embarqués jusqu’au lendemain matin avec une jeune journaliste-intervieweuse filmée par son caméraman. Un point de vue parmi d’autres : le montage est constitué également de vidéos prises sur le vif par les malheureux citoyens au moyen de caméscopes, de téléphones portables. L’action est aussi captée via des dispositifs de surveillance, des webcams… une multiplicité d’angles extrêmement bien gérée par Levinson, qui m’a réconcilié — au moins pour un film — avec le principe aujourd’hui usé jusqu’à la corde du « found footage » (combien de titres du genre a-t-on vus depuis Cloverfield et [Rec] ?). The Bay est un film tendu, efficace, et il se double d’un signal d’avertissement écologique encourageant venant d’un pays où l’industrie agroalimentaire fait son beurre avec les O.G.M., les stéroïdes et autres hormones de croissance.

Berberian Sound Studio

Présenté le samedi, Berberian Sound Studio se situe entre comédie acide et œuvre expérimentale. Dans sa première moitié, le film s’avère insolite et séduit avant de s’enliser dans un surréalisme post-lynchien un peu trop commode qui permet au réalisateur Peter Strickland de boucler le métrage sans apporter vraiment de conclusion. Mais tout cela, vous le savez déjà si vous êtes un visiteur régulier de Khimaira (voir ma chronique du film publiée en janvier dans nos pages cinéma), je ne vais donc pas revenir dessus (le film s’adjuge tout de même le Prix de la Critique et le Prix spécial du Jury). Il y a en revanche encore tout à dire sur l’espagnol Fin, absurdement présenté sous un titre anglais dans la plaquette du festival (« La Fin », c’eût été aussi bien que The End ; quitte à traduire le titre, autant causer franchouille, my friends !). Le premier long métrage de Jorge Torregrossa débute comme une chanson de Patrick Bruel : une bande d’amis longtemps séparés se retrouvent à la faveur d’un week-end dans un chalet isolé. Chacun traîne son lot de casseroles, mais c’est peu de choses comparé à un drame dont ils furent collectivement responsables des années auparavant. Le soir, réunis autour d’un feu qui n’a de joie que le nom, los amigos n’attendent plus que l’arrivée — incertaine — du dernier d’entre eux, un électron libre un peu fantasque, Angel, surnommé le Prophète. La comédie de mœurs pour quadras tourne au fantastique façon Twilight Zone lorsqu’une perturbation atmosphérique nocturne fait capoter tous les appareils électriques, batteries de voiture et téléphones portables compris. L’errance pedibus pour regagner la civilisation fera découvrir aux personnages un monde qui a beaucoup changé…

Fin

Fin a été l’une des bonnes surprises du festival, même s’il a pu décevoir certains par son refus de donner une explication au phénomène surnaturel dont sont victimes Felix, Ava, Rafa et leur petite bande. Jorge Torregrossa préfère cultiver le mystère, et dans un festival comme Gérardmer, où l’on n’est pas forcément demandeur d’un discours cartésien, c’est un choix très défendable. L’auteur ne nous donne pas plus d’informations que n’en disposent les personnages, et l’histoire se déroule sans qu’on puisse anticiper la scène suivante. Le sentiment d’aller de découverte en découverte est un facteur indéniable de réussite pour le scénario. On traverse avec les héros une nature magnifique (ouah, quels décors !), idyllique et devenue pourtant cauchemardesque car l’être humain, soudain, y a perdu sa place. Torregrossa met dans la boîte plus d’une séquence marquante où l’Homme, remis à sa place et châtié pour son égoïsme et sa mesquinerie (une punition divine ? tellurique ?), se retrouve à la merci d’êtres jusqu’alors domestiqués (la séquence des chiens est un sacré moment). De la belle ouvrage, prometteuse pour la suite de carrière du cinéaste et récompensée à ce titre par le jury qui a décerné son Prix spécial (ex-aequo avec Berberian…) à ce premier film. Avec Clara Lago (Inside) et Maribel Verdú (Le Labyrinthe de Pan). Pas de sortie française en salles, hélas, mais en dvd et blu-ray, au mois d’avril 2013.

You’re Next

Beaucoup plus terre à terre, doté d’un pitch de slasher basique, You’re Next n’a l’air de rien et pourtant… La projection du film d’Adam Wingard a été sans doute l’expérience la plus exaltante vécue cette année par les festivaliers. Je vous ai raconté plus haut l’atmosphère d’exaspération régnant dans l’Espace LAC lors de la découverte de The Crack, en voici l’exact pendant inverse ! L’histoire est celle d’une famille bourgeoise réunie pour un court séjour à l’initiative des parents, jeunes retraités, dans leur majestueuse demeure à l’écart de la ville. Au cours du premier acte, les grands enfants arrivent, un par un, flanqués de leur conjoint. Les choses sérieuses s’engagent au moment du dîner dans la salle à manger : au dehors, un groupe d’individus armés d’arbalètes prend tout à coup pour cibles les convives. Les flèches tirées du dehors font voler les vitres en éclat, le bodycount s’enclenche… S’ensuit un jeu de massacre et du chat et de la souris proprement délirant, à la mise en scène constamment inventive, au montage percutant. Wingard est parvenu à emballer quelque chose comme un Tex Avery live et sanglant, un Bip-Bip et le coyote en chair et en os où des tueurs portant masques d’animaux s’en prennent notamment à un drôle d’oiseau en la personne d’Erin, une demoiselle jeune et jolie qui se révèle être une championne de la survie en milieu hostile ! Aussi réactif que l’héroïne, le public gérômois, impliqué à fond dans le spectacle, lance des avertissements aux personnages, crie de surprise, rit, applaudit… Une communion festive à laquelle, sans doute, personne ne s’attendait en entrant dans la salle, et dont je n’ai pas manqué de faire part, via e-mail, à la grande Barbara Crampton, comédienne chérie des amateurs d’horreur, qui interprète ici la mère de famille. « Je suis aux anges !», m’a-t-elle écrit en retour. So are we, Barbara!

You’re Next

Le parrainage du grand Guillermo del Toro avait porté bonheur à Juan Antonio Bayona, il y a quatre ans, lorsque son premier long métrage L’Orphelinat avait décroché le Grand Prix du festival. Bis repetita cette année avec Mamá, toujours coproduit par le Mexicain et mis en scène par Andrés Muschietti. Une première œuvre que le cinéaste argentin a tournée en anglais dans l’Ontario (Mamá est officiellement une coproduction entre l’Espagne et le Canada). Présent à Gérardmer avec sa sœur Barbara, qui a coécrit et coproduit le film, Muschietti a rappelé sur scène avant la projo les origines de son film : « Mamá est l’adaptation en format long d’un court métrage que j’ai tourné en 2008 (à voir ici avec la bande annonce — NdR). Il ne durait que trois minutes, le film que vous allez voir est près de quarante fois plus long ! On espère que vous aurez quarante fois plus de plaisir à le regarder. »

Mamá

Après la mort de leurs parents, deux fillettes passent cinq années livrées à elles-mêmes dans une cabane perdue dans la forêt. De retour à la civilisation, elles sont recueillies par leur oncle Lucas et sa compagne Annabel… Mais Victoria et Lilly ont-elles vraiment passé seules ce long exil dans les bois ? Le plaisir ressenti à la découverte de Mamá ne tient pas seulement à sa maîtrise formelle (plans-séquences millimétrés, jeux sur les échelles de cadrage, direction artistique impec), mais aussi, tout simplement, à la présence d’une belle et bonne histoire, qui relève autant du conte que du mélodrame et du film de trouille avec fantôme. Avec une science consommée du rythme, Andy Muschietti enchaîne les coups d’adrénaline et les temps de pause, varie les décors et les ambiances (la cabane dans la forêt est un très beau clin d’œil à l’univers des contes enfantins). Le réalisateur et coscénariste met toutes les chances de son côté en confiant les premiers rôles à une mère (de substitution) et à ses deux fillettes. Il y a un monstre dans le placard des enfants, on a peur pour eux, on a peur avec la maman, l’empathie fonctionne à plein régime. Le final flamboyant fait bondir le cœur dans la poitrine, envoute le regard, ne manque pas de faire verser une larme… Au palmarès, Mamá est récompensé à plusieurs reprises (le Prix du Jury Jeunes et le Prix du Public s’ajoutent au Grand) et à juste titre pour ce qu’il est, à savoir un très bon film populaire, mis en images avec inspiration et élégance. Superbe composition de Jessica Chastain dans le rôle d’Annabel. Avant de (re)voir le film en salles à partir du 15 mai, ne manquez pas notre entretien avec Andrés Muschietti, que j’ai mis en ligne dans les jours qui ont suivi le festival.

HORS COMPÉTITION

Dead Sushi

Je ne reviendrai pas sur Iron Sky, Citadel, Grabbers, V/H/S et La Maison au bout de la rue, tous présentés cette année hors compète et déjà chroniqués sur Khimaira. En revanche, je ne vous ai pas encore parlé dans nos pages de Dead Sushi de Noboru Igushi, petite dinguerie japonaise à destination des festivaliers couche-tard ou lève-tôt (deux projections seulement, l’une à 9h, l’autre à minuit trente). Pour une raison qu’il me serait fastidieux d’expliquer ici, les sushis préparés par le chef d’un luxueux hôtel-spa nippon prennent vie et se mettent à mordre et griffer, à cracher des jets d’acide sur tout le monde. Une courageuse petite serveuse, elle-même fille d’un maître du poisson cru, lutte contre l’invasion avec ses Ginsus les plus affûtés… À des années-lumière du fantastique pratiqué par Hideo Nakata, le cinéma nippon propose ici un maelström débilos entre horreur et comédie, où l’on écarquille les yeux devant des sushis à crocs qui poussent des petits cris de belette, devant des sushis qui chantent, qui copulent entre espèces (une séquence totalement porno montre un sushi-saumon se taper un sushi-thon). Côté ridicule, les bipèdes ne sont pas en reste avec un humour de compétition à base de pets et de grimaces outrées. Il y aussi un peu de topless, on apprend en quoi consiste un « japanese kiss » (ça se pratique avec un jaune d’œuf frais, je n’en dirai pas plus !) ou comment savourer dignement un sushi (c’est tout une technique, on ne bâfre pas ces douceurs comme un bête hot-dog !). Certains y trouvent leur compte — le dernier jour du festival, deux nénettes dans une file de spectateurs non loin de moi se remémoraient les meilleures scènes. On peut aussi trouver le spectacle vachement lourd et le scénario beaucoup trop léger.

The Conspiracy

Moins drôle mais bien plus intéressant, The Conspiracy de Christopher MacBride exploite avec bonheur la question des théoriciens du complot, ces énergumènes qui se répandent à longueur de pages web, persuadés qu’Elvis est encore en vie (et que Michael Jackson aussi), que l’armée US a toujours raconté n’importe quoi au sujet de Roswell et que les attentats du 11-septembre sont une machination élaborée par des éminences grises machiavéliques n’ayant rien à voir avec Al-Qaïda… Le film prend la forme d’un « mockumentary » tourné par deux journalistes, Aaron et Jim. Les gars commencent par recueillir les propos d’un de ces fameux théoriciens, qui n’a de cesse de se planter aux coins des rues pour hurler dans son mégaphone que nous tous, braves gens, ne sommes que des moutons crédules bernés par une élite occulte faisant et défaisant les idées comme les gouvernements. Terrance est un vieux garçon qui tourne en rond dans son petit appartement, et on pige vite que le solitaire a rempli le vide de son existence avec ses élucubrations paranoïaques. Or, voilà qu’un jour le bonhomme disparaît sans laisser de trace… Complément cinéma idéal de l’excellent Les Arcanes du chaos, le roman de Maxime Chattam, The Conspiracy mérite le coup d’œil, sauf si le psy vous a déjà prescrit les médocs ad hoc pour traiter votre délire de persécution.

In Fear

In Fear est un exercice de style dans lequel le Britannique Jeremy Lovering (jusqu’ici réalisateur d’épisodes de séries télé) s’amuse à faire tourner en rond un jeune couple à bord de leur voiture. Il fait nuit, il pleut, ils sont à la recherche d’un hôtel que peut-être jamais ils ne trouveront… Une errance à la David Vincent qui ne les fera pas rencontrer des extraterrestres mais un curieux type, blessé au front, que Chouchou et Loulou autoriseront à monter à bord de leur véhicule. Serait-ce lui qui s’est amusé à tournebouler les panneaux de circulation ? Un suspense à trois plaisant, mais au final un peu vain, pour ne pas dire insignifiant. Même topo pour Come Out And Play, B-movie mégalo où l’auto-baptisé Makinov (qui signe le scénario, la mise en scène, le montage, la musique, et refuse coquettement de révéler son véritable nom) s’emploie à filmer un remake officieux (et toutefois déclaré) des Révoltés de l’an 2000 (¿Quién puede matar a un niño?, 1976) de Narciso Ibañez Serrador. Un copier-coller ahurissant de vacuité et de suffisance (au générique, en dix fois plus gros que n’importe qui le pseudo du réal s’étale), alourdi par-dessus le marché par un sous-titrage français émaillé d’une quantité invraisemblable de fautes d’orthographe ! Une traduction sans doute aussi signée Makinov…

Cloud Atlas

Terminons ce compte rendu 2013 par deux grosses productions qui ne vont pas tarder à débarquer dans nos salles françaises. La première, Cloud Atlas, n’est autre que la dernière réalisation des ex-frères Wachowski (depuis la trilogie Matrix, Larry, frangin d’Andy, est devenu Lana en troquant son service trois pièces contre une paire de seins). Une œuvre de S.F. ambitieuse, coréalisée avec l’Allemand Tom Tykwer (Cours, Lola, Cours et Le Parfum), que la direction du festival était très fière de présenter au public en avant-première. Le film est constitué de six histoires montées en parallèle, se déroulant dans le passé (le 19ème siècle, le début du 20ème, les années 1970), l’époque présente et le futur (le 24ème siècle et un avenir plus lointain encore). Chaque segment est lié aux autres par une sorte d’effet papillon où les actes de tel ou tel personnage aura des répercussions des centaines d’années plus tard. Honnêtement, le scénario n’est pas assez maîtrisé pour que ces soi-disant liens de causalité sautent aux yeux, mais l’ampleur du spectacle (casting de vedettes, budget de 100 millions de billets verts) rend l’expérience de la projection très agréable. Les auteurs ont eu la bonne idée de confier plusieurs rôles à leurs comédiens (jusqu’à six personnages différents pour Tom Hanks, Halle Berry, Hugh Grant…) qui, plus ou moins grimés, participent d’un jeu de « qui est qui ? » assez rigolo, faisant tranquillement passer la pilule des trois heures de métrage. Sortie le 13 mars dans les salles françaises. Hansel & Gretel, Witch Hunters, enfin, au script beaucoup plus linéaire, donne un aperçu de ce que serait le récit des frères Grimm adapté en b.d. par Marvel : comme Nick Fury ou Blade, Hansel (Jeremy Renner) et sa frangine (Gemma Arterton) sont des héros « badass » portant de chouettes panoplies tout cuir. Face à eux, les sorcières sont des méchantes de comics dotées de superpouvoirs, et on trouve à leur tête une Mater Tenebrarum toute de noir vêtue, Muriel (la flamboyante Famke Janssen, sous-exploitée), qui prépare un sale coup pour la prochaine pleine lune. Le film sera dans les salles le 6 mars 2013, mais cela dit, attention les parents : malgré la présence d’un gentil ogre en CGI, Edward, simili-Shrek pataud et costaud, et d’un message pédagogique (trop de sucreries = diabète), le film ne s’adresse pas aux plus jeunes ! Des têtes explosent en faisant « sprotch ! », une belle rousse apparaît légèrement toute nue pour faire craquer Hansel, les dialogues vachards sont émaillés de « fuck » qu’on ne saurait entendre chez Disney. Des caractéristiques qui font du film de Tommy Wirkola (Dead Snow) un spectacle curieusement bâtard, se coupant du public enfantin tout en déroulant une intrigue bien trop simplonne pour satisfaire les adultes.

Hansel & Gretel, Witch Hunters

Pas vu, pas pris (car je ne suis point surhomme, ne suis pas doué du don d’ubiquité et ressens parfois le besoin d’aller dormir) : Modus Anomali, le Réveil de la proie de l’Indonésien Joko Anwar (tourné en seulement huit jours et réputé excellent — ce sont en tout cas les impressions que j’ai pu recueillir çà et là), Vanishing Waves de la Lituanienne Kristina Buožité, The Thompsons des Butcher Brothers (qui ne sont pas vraiment frères), Toad Road de Jason Banker, The Pact de Nicholas McCarthy, Henge de Hajime Ohata, Forgotten d’Alex Schmidt (une fille, ce qui porte donc à trois le nombre de réalisatrices sélectionnées à Gérardmer cette année, en comptant bien sûr Lana Wacho), The Forest de Darren Lynn Bousman, Doomsday Book, tourné à quatre mains par les Coréens Kim Jee-woon et Yim Pil-sung. Ah, j’oubliais Dagmar, l’Âme des vikings, aventures médiévales filmées par le lion norvégien Roar Uthaug (Cold Prey) et agrémentées, à ce que j’ai entendu, de superbes paysages nordiques. Au programme figuraient également plusieurs documentaires (pas vus non plus, eh non, c’est comme ça !) : Room 237 de Rodney Ascher revient sur le tournage de Shining de Stanley Kubrick, Slice and Dice — The Slasher Film Forever de Calum Waddell propose un historique du cinéma avec haches et couteaux, Ray Harryhausen, le Titan des effets spéciaux du Français Gilles Penso revient sur la riche carrière du légendaire maestro des trucages et de l’animation image par image.

LE MOT DE LA FIN

Avant d’annoncer la vainqueur du Grand Prix, lors de la cérémonie de clôture, le Président du Jury 2013 Christophe Lambert a eu l’audace de quelques propos iconoclastes en dénonçant la présence de certains films dans la sélection, indignes qualitativement ou thématiquement d’avoir été inscrits dans la compète. Comme je l’ai écrit plus haut, des titres comme House of Last Things, Remington… ou El resquicio n’avaient en effet pas grand chose à faire dans un festival comme Gérardmer. On attendait une compétition beaucoup plus rentre-dedans (et plus en prise avec les univers imaginaires) pour célébrer en grande pompe ce vingtième anniversaire, d’où une impression un peu désagréable de décalage entre l’humeur du public (constitué en bonne partie d’amateurs avertis, de connaisseurs du cinéma fantastique) et l’esprit de sérieux affiché par les programmateurs de l’événement. L’an prochain, Gérardmer franchira un cap en entrant dans sa troisième décennie, et je mets ma main à couper que les milliers de fidèles seront de nouveau au rendez-vous. Quelles surprises leur réservera donc le festival ?

Remerciements à Emmanuelle Bignon, à Anthony Humbertclaude,

aux bénévoles et à toute l’équipe du Public Système Cinéma