Projeté la semaine prochaine dans le cadre de l’édition 2012 du PIFFF, Citadel a déjà réalisé une belle moisson de récompenses dans les précédents festivals où il a été programmé (dont un Méliès d’Argent attribué au NIFFF, à Neuchâtel, ce qui le lance dans la course à l’élection du Méliès d’Or 2012, distinguant le meilleur film fantastique européen de l’année). Le réalisateur irlandais Ciaran Foy attaque fort dès les premières minutes avec une séquence d’ouverture dont la mise en scène et le montage pourront être disséqués dans les écoles de cinéma : un jeune couple, Joanne et Tommy, disent bye-bye à leur vieil appartement dans une tour HLM vouée à la démolition. Joanne est enceinte et attend dans le couloir du onzième étage le retour de Tommy, qui descend les derniers bagages dans le taxi. Dans la carrosserie du véhicule se reflètent soudain les silhouettes encapuchonnées de trois enfants cheminant en file indienne. Ils vont pénétrer dans l’immeuble, Tommy ne les remarque pas. Lorsque l’ascenseur vétuste revient au onzième, la porte refuse de s’ouvrir et le futur père ne peut qu’assister, impuissant, à l’agression de Joanne par le trio d’intrus, vue à travers la lucarne vitrée donnant sur le couloir. Et l’ascenseur capricieux redémarre, emportant de nouveau Tommy au rez-de-chaussée et laissant Joanne, au ventre rond, seule avec les agresseurs… 

L’entrée en matière terrifiante doit en grande partie son efficacité à l’expérience personnelle de Ciaran Foy, qui a puisé dans un souvenir traumatique — son agression, à l’âge de 18 ans, par une bande de voyous armés d’un marteau et d’une seringue usagée — pour aboutir à cette scène qui prend aux tripes. Passé ce choc initial, l’angoisse ne quitte plus Tommy, qui devient agoraphobe. Jeune père veuf (les médecins sont parvenus à sauver le bébé), sa vie quotidienne est une lutte permanente contre lui-même et contre la paranoïa rampante qui s’est installée en lui. Tommy craint une nouvelle agression, il redoute encore plus que les services sociaux viennent lui enlever la petite Elsa, le jugeant inapte à assurer son rôle de père. Cette somme de trouilles écrase littéralement le jeune homme, qui avance dorénavant toujours voûté, les bras crispés le long du corps.

L’empathie fonctionne à plein car le calvaire de Tommy nous renvoie à des peurs bien réelles qui n’ont rien à voir avec celles, dénuées de fondement, des monstres cachés sous le lit ou dans le placard. On a peur avec Tommy car on craint autant que lui de perdre un être cher, d’être soudain l’objet de violences lorsque, comme lui, on évolue dans un milieu urbain parfois anxiogène. Enfin, la misère qui afflige le personnage fait danser devant nos yeux les spectres de la solitude, du chômage et de la déchéance sociale, du combat permanent pour garder la tête hors de l’eau. C’est ainsi une bouffée de gratitude que l’on ressent lorsqu’une infirmière, Marie, tend la main au héros et lui apporte un peu de la chaleur dont il a été privé (la scène dans son petit appartement sera la seule à bénéficier d’une photographie aux lumières orangées, mordorées, tout le reste du film étant trempé d’une lumière froide et monochromatique). Tommy (interprété de façon très juste par Aneurin Barnard) reçoit également de l’aide d’un autre personnage, un prêtre plutôt rock’n’roll, qui porte manteau cache-poussière, gilet de cuir et jure à chaque phrase. Il semble en savoir long sur la clique d’enfants sauvages à capuches qui hante les quartiers défavorisés. Sont-ils seulement humains ?, semble interroger le curé. On en vient soi-même à douter lorsque leurs visages zombifiés sont furtivement dévoilés lors d’une seconde scène d’agression — presque aussi flippante que la première — à bord d’un bus…

Le rôle du prêtre revêt une grande importance dans la seconde moitié de Citadel. Le personnage prend des allures de néo-van Helsing guidant le jeune père dans le repaire des créatures, soit l’immeuble même quitté par Tommy et sa femme au début de l’histoire. Par sa structure, le dernier acte s’apparente franchement à un film de monstres dans la tradition du cinéma d’épouvante. Les héros pénètrent de nuit dans la tour afin de faire sauter l’endroit, non sans avoir retrouvé le bébé de Tommy, kidnappé par les enfants-démons. On connaît bien ce genre de scènes, déjà vues maintes fois (dans Aliens, par exemple), et ce changement de ton de Citadel ne constitue pas le parti pris le plus original du film. Ce n’est en tout cas pas le plus intéressant, d’autant que le scénario, dans cette ultime partie, laisse sur le bord de la route le personnage pourtant crucial de Marie, l’infirmière, abandonnée à un triste sort sans que l’on sache vraiment ce qui advient d’elle. Quelques imperfections, donc, mais Citadel, ancré dans un contexte social des plus réalistes, demeure un brillant essai sur la peur et, partant, s’impose comme un excellent — et rare — exemple de cinéma qui parvient à susciter un sentiment prégnant de frayeur. Et le thème du débat d’après-film s’impose de lui-même : après avoir énuméré et trié tous vos cauchemars et phobies, pouvez-vous dire ce qui, au monde, vous fait le plus peur ?

Pas de sortie officielle prévue en salles pour le moment, mais Citadel sera projeté au PIFFF 2012 dimanche 18 novembre à 19h30.