Le scénariste du film, Kevin Lehane, a imaginé l’intrigue de Grabbers en bourlinguant autour du monde. Dans une contrée éloignée et pleine de bestioles qui piquent, il entendit parler des vertus supposées de l’infâme pâte à tartiner Marmite, à laquelle certains prêtent une action anti-moustiques. Il ne s’agit pas de s’en badigeonner la face et les bras, pas du tout, simplement l’ingestion du produit donnerait au sang un vilain goût (pas étonnant !) qui fait fuir les moustiques. Et si je me pinte la gueule, pensa alors Lehane, les moustiques aussi vont-ils finir bourrés ?

D’où le script de Grabbers, qui ne se déroule pas en Papouasie ou sur les berges de l’Orénoque mais au large de l’Irlande : face à une invasion de créatures venues de l’espace, assoiffées de sang et tentaculaires, les sympathiques habitants d’Erin Island découvrent qu’ils deviennent impropres à la consommation alien pour peu que leur taux d’alcoolémie dépasse largement la limite imposée par la législation routière ! Bière et bibine vont couler à flot, et c’est la maréchaussée elle-même qui va donner l’exemple.

Ce pitch rigolard a beau puiser ses sources dans une légende urbaine du bout du monde, on ne peut s’empêcher de relever des similitudes très marquées avec le chouette scénario de Tremors (1989), série B jubilatoire de Ron Underwood dans laquelle les gentils loquedus d’une bourgade californienne paumée dans le désert en décousent avec les… « graboïds », sorte de vers des sables géants ultrasensibles aux vibrations. Le genre de film qu’on se refait régulièrement comme on irait rendre visite à de bons potes quelques bouteilles de mousse à la main. Grabbers souffre de la comparaison : là où Tremors trouvait illico ce point d’équilibre miraculeux entre suspense, horreur et comédie, le film de Jon Wright a le plus grand mal à décoller. La première heure de métrage n’est qu’une longue phase d’exposition où l’on se préoccupe davantage de présenter les personnages que de s’amuser avec les extraterrestres. Des scènes d’autant plus ennuyeuses que le film vise un degré de truculence qu’il n’atteint jamais : le côté pittoresque des insulaires sonne faux, il paraît forcé, donc calculé. Un défaut étonnant si l’on en juge par l’habileté coutumière des cinéastes et scénaristes britanniques, tous genres confondus, à brosser des portraits de groupe hauts en couleurs (je pense ici aux films irlandais de Stephen Frears, à des titres comme Les Virtuoses ou Vieilles Canailles…). La mayonnaise ne prend qu’à la toute fin, dans les vingt dernières minutes, lorsque tout le casting se met à picoler (sur une injonction déguisée des flics) pour contrer une attaque nocturne des tentacules. On n’éclate pas de rire, mais on sourit franchement, et on se réjouit aussi de voir des effets spéciaux numériques qui, pour une fois, s’intègrent assez naturellement à l’image, sans que leur nature infographique saute aux yeux. Une belle perf étant donné l’envergure de cette modeste production, et j’ajouterai que le design des bébêtes est également très réussi.

Une fois encore, je suis en mesure de publier une critique grâce à la sortie allemande du dvd, disponible outre-Rhin depuis cette semaine ! Pas de diffusion française prévue pour le moment.