Les tentatives de transcription de la musique des Elfes ne sont pas le seul fait de compositeurs contemporains férus de fantasy. Avant que les Elfes ne soient clairement distingués des Fairies dans la littérature, ils avaient déjà inspirés des compositeurs, et non les moindres. Et c’est principalement à travers la personne de leur souverain Obéron que féerique a pu rimer avec classique.

Le nom d’Obéron doit une grande partie de sa renommée à Shakespeare, qui en a fait un personnage de sa pièce Le songe d’une nuit d’été. Mais le dramaturge n’a fait que la renforcer, car elle était déjà établie grâce à Aubéron, roi des Fées dans la chanson de geste Les Prouesses et faitz du noble Huon de Bordeaux, où il est présenté comme le fils de la Fée Morgane et de… Jules César ! Le personnage est encore plus ancien, car il vient très certainement d’Alberich, un sorcier de la mythologie germanique dont le nom signifie « roi des elfes », ou « roi des nains ». Il inspirera aussi d’autres écrivains comme Edmund Spenser ou le poète allemand Christoph-Martin Wieland. Et ces œuvres, à leur tour, inspireront des compositeurs qui en proposeront des adaptations musicales.

Les musiques qui ont pu accompagner la chanson de geste Huon de Bordeaux restent hélas inconnues. La première œuvre qui nous est parvenue est celle de Robert Johnson et Alfonso Ferrabosco II, qui ont composé les musiques d’un « masque » : Oberon, the Fairy Prince en 1611. Ce terme de « masque » désigne un spectacle en vogue dans les cours du XVIe et XVIIe. Ils comportent des chants, des danses avec des costumes et des décors somptueux. Les personnages pouvaient être interprétés par des membres de la Cour, y compris les souverains. Et c’est d’ailleurs pour le prince Henry Frederik, fils de James I que le rôle titre a été écrit. En plus de rendre hommage à de puissants personnages, les « masques » servaient aussi à éblouir les visiteurs étrangers. Le thème de la féerie était idéal pour se livrer à un débordement de faste et d’effets aptes à susciter l’émerveillement.

En 1692 Henry Purcell a présenté un semi-opéra intitulé The Fairy Queen, d’après Le songe d’une Nuit d’été de Shakespeare. Le semi-opéra est encore proche du « masque », plus que de l’opéra moderne, comportant des danses et des intermèdes. Henry Purcell était à la fin de sa carrière lorsqu’il l’a écrit, et donc au sommet de son art. Et nombreux sont ceux qui s’accordent à dire que The Fairy Queen comporte les plus belles des musiques composées par le maître.

C’est également la pièce de Shakespeare qui a inspiré Ein Sommernachtstraum de Felix Mendelssohn Bartholdy en 1826. Il avait d’abord composé une pièce indépendante (opus 21), et ce n’est que seize ans plus tard qu’il composa les autres musiques (opus 61). L’une d’entre elle, la marche nuptiale, deviendra extrêmement célèbre et reste sa composition la plus connue. Cette particularité va à l’inverse de la tradition, qui veut que l’on compose l’ouverture d’un opéra après avoir écrit toutes les autres musiques. La musique de Mendelssohn est particulièrement inventive, et sait retranscrire avec un égal talent la solitude de la forêt nocturne ou la grâce légère des elfes dansants.

En cette même année 1826, Carl Maria von Weber finit à Londres, où il vivait en exil, l’opéra Oberon, inspiré du poème du même nom de Christoph-Martin Wieland. Atteint de tuberculose, le compositeur s’est ruiné la santé en écrivant cette œuvre et est mort peu de temps après, sans pouvoir apporter les modifications qu’il souhaitait, après une première qui ne l’avait pas satisfait. L’opéra n’en reste pas moins joué, et son ouverture reste une grande page musicale, qui parvient à exalter le romantisme du monde merveilleux dont Obéron est le souverain.

On prendra garde de ne pas se laisser abuser par l’opéra comique en trois actes intitulé Le songe d’une nuit d’été du compositeur français Ambroise Thomas écrit en 1850. En effet, si on y rencontre Falstaff et Shakespeare lui-même, Obéron et les siens en sont totalement absents.

Benjamin Britten a adapté en opéra la pièce de Shakespeare sous le même titre, en 1960. Il s’agit donc de musique contemporaine, qui heureusement n’est pas excessivement dissonante ou atonale. Le compositeur excelle dans l’évocation de la nuit et des contrastes : le réel et l’irréel, le rêve et la réalité, le monde des hommes et le monde féerique. Il propose une vision toute en nuance qui en accentue le côté onirique. Il accentue l’aspect surnaturel et aérien du monde des Fées par des voix aiguës et des sonorités insolites.

Interprétations conseillées :

Oberon, the Faery Prince : une excellente reconstruction avait été proposée par Philip Pickett en 1997 sous le titre The Masque of Oberon. Épuisée, on la trouve néanmoins encore chez certains disquaires.

The Fairy Queen : c’est une œuvre plutôt longue, qui tient en général sur deux CD. Les inconditionnels pourront se procurer l’intégrale, comme celle par Alfred Deller, qui est une référence. Mais il existe également des versions plus courtes, avec extraits choisis, ou ne comportant que les suites instrumentales.

Ein Sommernachtstraum : un grand nombre de versions sont disponibles. On citera celle d’Otto Klemperer parmi les références; ou celle très féerique d’Eugène Ormandy.

Oberon : pour ceux que l’opéra entier rebuterait, on trouve de nombreuses interprétations de l’ouverture seule, d’ailleurs souvent compilée avec Ein Sommernachtstraum de Mendelssohn.

A Midsummer Night’s dream : la composition de Britten n’étant disponible qu’en version complète, il est réservé aux seuls amateurs d’opéra. Les curieux pourront comparer la version qu’en donne Alfred Deller avec celle qu’il propose pour The Faery Queen de Purcell.