Après le décès de ses parents, Iris a dû laisser tomber la fac pour s’occuper à plein temps de Raleigh, son frère cadet, malade et dans l’attente d’une hypothétique greffe de moelle osseuse. À cours d’argent, elle chasse les petits boulots mais ses entretiens d’embauche ne mènent à rien. Une rencontre, soudain, pourrait bouleverser sa vie : Shepard Lambrick, milliardaire et mécène de la clinique où son frère est soigné, promet à Iris de subvenir à tous ses besoins et de trouver un donneur compatible pour Raleigh, à la condition qu’elle accepte les yeux fermés de prendre part dans son luxueux manoir à un jeu secret… et de gagner la partie !

Impossible de passer à côté de cet extraordinaire « petit » film — petit en termes de budget, cela va de soi, et non du point de vue de l’imagination ou du talent ! David Guy Levy, le réalisateur, et son scénariste Steffen Schlachtenhaufen ont réussi un étonnant mélange entre les Dix Petits Nègres d’Agatha Christie et l’enfer des tortures façon Hostel ou Saw. Réunis autour d’une table de dîner, huit convives vont devoir disputer une partie de « would you rather? » (« qu’est-ce que tu préfères ? ») les mettant à tour de rôle face à des dilemmes. Tous sont désireux de bénéficier des largesses de leur hôte fortuné, Shepard Lambrick, mais il n’y aura de récompense que pour un gagnant et un seul. Épaulé par un majordome anglais autrefois tortionnaire pour le MI-6, Lambrick a imaginé pour ses invités des surprises horribles qui, au fil des manches, éprouveront leur capacité de résistance tant physique que psychologique.

Le déroulement du jeu, et donc du film, est proprement fascinant, pour peu, bien sûr, qu’on soit à même d’encaisser des images très, très violentes (les séquences d’agression, de mutilation — voire d’automutilation—, les tortures mentales ou physiques sont nombreuses et, pour certaines, font réellement grincer des dents). Mais si l’on a l’estomac et le cœur bien accrochés, on peut vivre une expérience de cinéma passionnante. On entre dans le vif du sujet grâce à une scène initiale de repas où, alors qu’elle est végétarienne depuis toujours, Iris, l’héroïne, se voit proposer des milliers de dollars posés cash sur la table si elle consent à manger de la viande. Une broutille comparée à l’horreur de ce qui va suivre, mais la question centrale du film, que l’on va se poser à presque chaque minute, est déjà là : mis au pied du mur, et dans l’hypothèse de décrocher une fortune, verrais-je moi-même mes repères moraux s’effondrer au point que j’accepte de me livrer, contre ma propre personne ou autrui, à des actes d’une violence aberrante ? Une question des plus inconfortables, qui restera évidemment sans suite pour nous spectateurs, installés dans un fauteuil, mais à laquelle l’ensemble des personnages va fatalement devoir répondre.

Iris est interprétée par Brittany Snow, une comédienne formidable qu’on ne connaît pas encore très bien mais que vous aurez peut-être remarquée dans le remake de Hairspray, en 2007, ou dans celui, fort mauvais, de Prom Night (2008). Le talent de l’actrice explose dans ce rôle de jeune femme sur la corde raide, angoissée à l’idée que sa situation familiale et l’état de ses finances finissent par lui mettre la tête sous l’eau. Heureusement Iris est une battante, cela se lit dans chaque plan illuminé par son regard de biche aux abois qui refuse de se laisser bouffer toute crue par le loup, autrement dit Shepard Lambrick, Méphistophélès faussement philanthrope. En maître du jeu sadique, Jeffrey Combs s’amuse dans cette histoire comme un gamin au milieu d’un magasin de jouets. Son personnage lui permet d’en faire des tonnes, d’en rajouter toujours plus dans le registre de l’ignominie mielleuse ; sa composition haute en couleurs justifierait presque à elle seule des visions répétées du film. Autour du duo-vedette, on trouve sinon un vétéran du cinéma américain, John Heard, vu dans d’innombrables productions depuis les années 1970, ainsi qu’une petite bande d’inconnus, tous très justes. Enfin il y a la porn star Sasha Grey (dans le rôle d’Amy, une garce prête à tout), que les auteurs ont eu le bon goût de ne pas employer comme prétexte à une ou deux scènes de fesse. La hardeuse reste sagement habillée, et elle fait hélas un peu tapisserie avec peu de répliques à défendre. Reste que Grey, même discrète — et malgré son regard à demi mort —, a une présence physique toujours troublante, qui ne nuit en rien, bien au contraire, à l’éclat profond de ce Would You Rather aux allures de diamant noir.

Le film est visible actuellement en salles aux États-Unis ainsi qu’en vidéo à la demande pendant encore tout le mois d’avril. Pas de date de sortie prévue pour l’instant en dehors du territoire américain, mais nous vous tenons bien sûr au courant dès que Jeffrey Combs et ses affreux sbires sonneront la cloche pour un dîner ludique et cauchemardesque entre les frontières de l’Hexagone.