Spécimen unique sur la scène metal, Van Canto aurait pu n’être qu’un coup d’essai expérimental, en 2006, lorsque le groupe a sorti son premier album de power a cappella. Mais pas du tout : désormais forte de l’expérience de quinze ans de carrière, la formation allemande sort ce mois de juin son huitième album, To The Power of Eight, toujours sans aucun instrument à l’exception de la batterie. On discute de tout ça avec Stefan, un des six vocalistes de la bande, capable de passer, le temps d’un claquement de doigts, d’un timbre rythmique de basse à une imitation organique de pédale wah wah.

Khimaira : Bonjour Stefan. Je ne sais pas si les autres membres et toi avez prévu de fêter ça, mais Van Canto existe depuis maintenant 15 ans et pour autant que je sache, il n’existe aucun autre groupe de metal a cappella. Quel effet cela vous fait d’avoir créé un style qui n’a jamais pu être imité ?

Stefan Schmidt : Salut Julien. Eh bien, aucun d’entre nous ne pourrait donner d’explication franche à cette absence de tout autre groupe de metal a cappella. Il y en a peut-être qui ont essayé, sans y arriver… Alors oui, nous avons pour ainsi dire créé notre propre style, à tout le moins notre propre style d’arrangements et, au bout de 15 ans, on en retire toujours beaucoup de satisfaction. Nous sommes très heureux de la façon dont le public nous a accueillis et nous suit depuis toutes ces années.

La plupart des membres sont là depuis le premier album, et ça n’a peut-être pas été toujours évident de s’en tenir au concept ‘a cappella’ sans faire aucun compromis. Est-il arrivé que certains dans le groupe aient émis des doutes quant à la façon dont Van Canto pourrait continuer et évoluer ?

Pas de doute à proprement parler mais, cela va sans dire, il faut bien composer avec toutes les individualités présentes dans l’équipe. Après, en quinze ans, nous avons surtout connu des hauts et des bas, des périodes où nous étions tous super-motivés et d’autres, plus compliquées, où il a fallu aller chercher cette motivation. Faire partie d’un groupe qui enregistre des albums et qui part en tournée, ce n’est pas rien, ça demande beaucoup d’engagement. Dennis Strillinger, par exemple, notre premier batteur, a choisi de ne plus jouer avec nous à plein temps car cela impliquait pour lui de passer trop de temps à parcourir le monde en tournée. Le plus important, je pense, c’est de n’avoir jamais privilégié des choix de carrière au détriment de notre amitié. On aurait peut-être pu jouer plus de concerts en remplaçant constamment les membres qui avaient du mal à suivre, mais à quoi bon ? Nous sommes toujours tous amis, c’est le plus important.

Quand avez-vous commencé à travailler sur le nouvel album ?

Aux alentours de Noël 2019. Ensuite, la crise sanitaire et le confinement nous ont conduits à consacrer plus de temps que prévu à l’écriture et à l’enregistrement. C’est pour cette raison aussi que Dennis a pu revenir derrière la batterie avec nous : il a pris part à l’enregistrement de tous les morceaux et pas seulement de deux ou trois, en guest, comme on l’avait envisagé au départ.

Le visuel de la pochette montre une femme debout dans un mauvais temps, qui tire à elle seule un énorme cargo avec le chiffre 8 peint sur la coque. Et ça n’a pas l’air évident. Faut-il comprendre que la confection de ce huitième album a été un job vraiment difficile ?

(Rires) Non non ! Les visuels des pochettes, on les pense comme des images pleines de détails que l’auditeur peut regarder sans se lasser tout au long de l’écoute. Nous avions dans l’idée de reprendre le thème de la rouille de Trust in Rust, notre album précédent, et de l’inclure à un décor maritime et portuaire. Et puis il y a le thème de la force, très présent dans l’album — et il en faut pour tracter un cargo ! Le chiffre 8 sur la coque du bateau, on le retrouve aussi dans la forme du nœud en huit. C’est un peu une image à la « Où est Charlie ? ».

Parlons un peu des chansons de la track-list. La première, c’est Dead By The Night, très énergique, avec un pronom « nous » répété de façon appuyée, et qui parle, comme d’autres titres d’ailleurs, de l’énergie intérieure autant que de la force du collectif…

Oui, tout à fait, cela fait référence à la fois à notre sentiment commun quand nous l’interprétons et à celui qu’on a envie de créer chez la personne qui écoute notre musique : on a envie que l’auditeur se sente dans la peau d’un héros. C’est pour cela que le courage, la force intérieure et la foi qu’on a en soi-même — tout ce qui permet de ne jamais baisser les bras — sont des motifs réitérés tout au long de la chanson.

Le premier single tiré de l’album, c’est Falling Down [« La Chute » — NdR], dont les paroles sont un peu cryptiques à mes oreilles. Quelle est le sens de cette chanson ?

Falling Down parle du processus créatif à l’œuvre lorsqu’on trouve une idée, par exemple une mélodie pour une nouvelle chanson. Le caractère imprévisible du processus créatif, dès lors que celui-ci fonctionne à fond, procure une sensation très proche de celle d’une chute. Les paroles retracent une conversation entre une personne qui attend et espère la venue de l’inspiration (avec tous les doutes que cette attente implique) et la partie de lui-même qui l’incite à croire que ce moment finira par venir.

Et l’album recèle une reprise de Run to the Hills d’Iron Maiden, qui parle du génocide des Amérindiens et du vol de leurs terres par les Blancs. Une tragédie dont il faut se souvenir mais pourquoi enregistrer une chanson sur ce thème en 2021 ?

Même à l’époque où Iron Maiden a composé ce titre [en 1982 — NdR], c’était déjà un sujet à caractère historique, qui, cela dit, est toujours à même d’alimenter des discussions aujourd’hui. Mais notre choix s’est porté sur ce titre à cause de la chanson elle-même et de son importance en tant que tube dans la musique metal. Le sens des paroles est moins entré en ligne de compte. Sinon, il y a d’autres reprises, quatre en tout avec I Want It All de Queen en fin d’album.

Comment choisissez-vous les titres que vous allez reprendre ?

Il faut avant tout qu’on aime vraiment les chansons, pour pouvoir les interpréter avec conviction et authenticité. Il faut aussi que les morceaux choisis équilibrent bien l’album, entre les chansons rapides et les titres plus lents, entre les ballades et les chansons basées sur des riffs. Et bien sûr il faut qu’on y trouve quelque chose de stimulant pour travailler les arrangements et aboutir à une interprétation de Van Canto.

En passant en revue la liste de vos concerts passés, j’ai remarqué que vous n’avez pas souvent joué en France : quelques dates à Paris, une autre à Strasbourg, plus un concert en 2015 au festival ‘Cidre et Dragons’ en Normandie — un rendez-vous d’amateurs de fantasy, de cosplay médiéval et d’épées en mousse ! Gardez-vous des souvenirs particuliers de ces soirées ?

Les concerts à Paris, c’était sur un bateau, au « Petit Bain », alors j’en garde le souvenir d’une scène très instable et d’une inquiétude permanente au sujet de notre batteur, qui n’était jamais loin de tomber par terre (rires) ! Non, sinon tous les concerts en France nous ont laissé le souvenir d’excellentes réactions du public et de conversations très chaleureuses et amicales avec les fans après le spectacle.

Une question bête : si l’un d’entre vous se voyait proposer d’intégrer l’équipe des coachs dans la version allemande de The Voice, est-ce que vous accepteriez ?

Je ne peux répondre que pour moi-même. Je ne pense pas qu’il y ait beaucoup de chances pour que cette éventualité se produise et qu’on me voie dans ce type d’émission. Maintenant, ça me ferait sortir de ma « zone de confort », comme on dit, et je n’aurais pas l’impolitesse de refuser d’emblée sans écouter ce qu’on aurait à me proposer. Mais ce qui est bien, c’est que puisque ça n’arrivera pas, je n’aurai jamais à prendre cette décision (rires) !

Pour terminer, une double-question que je pose d’habitude en fin d’interview : quel est le dernier album que tu as découvert, tous styles confondus, et quel est le dernier album en date que tu as adoré, de la première à la dernière note ?

Je te donnerai le même titre pour les deux réponses : il s’agit du premier album d’Out of this World, le nouveau groupe de l’ex-guitariste de Europe, Kee Marcello.

Propos recueillis en mai 2021.

Special Thanks to Lisa Gratzke (Napalm Records Berlin).

Sortie de l’album To The Power of Eight le 4 juin 2021.

Site officiel du groupe