C’est entendu : les vampires, cela n’existe pas. Fort de ce constat, Mycroft Holmes charge son célèbre frère Sherlock (et, partant, le non moins célèbre Dr Watson) de mener l’enquête sur ce qui fait la une des journaux londoniens en cette année 1894 : le « dossier Dracula » (c’est-à-dire le roman de Stoker que nous connaissons), récit des faits, rendus publics et assurés authentiques, de la lutte victorieuse du Professeur Van Helsing et de ses alliés anglais contre le sinistre comte transylvanien. Cependant, l’aristocrate des Carpates était-il vraiment une créature néfaste et surnaturelle qu’il était bon d’égorger, comme le pense tout un chacun ? Ou bien a-t-il été le jouet d’une terrible machination vouée à sa perte ? Ourdie par qui ? pourquoi ? comment ? Seul l’esprit logique acéré de Sherlock Holmes pourrait lever tous ces points d’interrogation…

Avec les Dossiers Cthulhu, parus en France entre 2018 et 2020, James Lovegrove a excellé à croiser le monde victorien de Holmes et l’univers cauchemardesque d’H.P. Lovecraft (lire ici nos chroniques des trois volumes). Aujourd’hui, c’est à Mark A. Latham, autre auteur anglais lui aussi passionné par le 19e siècle, que nous devons A Betrayal in Blood, une nouvelle hybridation, cette fois entre les récits d’Arthur Conan Doyle et le chef-d’œuvre de Bram Stoker, Dracula. Au plaisir de retrouver les héros du 221b Baker Street s’ajoute donc celui de croiser à nouveau Jonathan et Mina Harker, le docteur Seward, Lord Arthur Holmwood et, naturellement, le chasseur de vampires renommé Abraham Van Helsing. Tous se retrouvent à un moment ou à un autre face à Sherlock et Watson, tous deux convaincus qu’il y a des menteurs dans le petit groupe de soi-disant tueurs de vampires.

Pour l’écrivain qui est à l’œuvre, l’entreprise romanesque implique un défi intellectuel des plus stimulants : comment réinterpréter les faits relatés par Bram Stoker pour convertir l’intrigue du roman-phare du fantastique gothique en récit criminel à tiroirs ? Un exercice de jonglage de haut vol dont Mark A. Latham se tire avec tous les honneurs, car il n’y a pas que les deux célèbres locataires de Mme Hudson qui ont à cœur de connaître le fin mot de l’histoire. L’idée que les personnages de Bram Stoker aient tous (ou presque) quelque chose à cacher suffit à accrocher le lecteur, vite passionné par ces développements inattendus de l’affaire. Afin que le plaisir soit complet, Latham n’a pas manqué de revenir dans les lieux-clés du livre de Stoker — l’abbaye de Carfax, la bonne ville de Whitby, l’hôpital psychiatrique du docteur Seward (et comment imaginer une sombre intrigue victorienne sans passer au moins un chapitre dans un asile d’aliénés ?) et, in fine, last but not least, le château du comte Dracula, niché dans son écrin rocheux des Carpates. De quoi jubiler d’un bout à l’autre de cette intrigue aussi savoureuse et complexe qu’une demi-douzaine d’épineux problèmes à trois pipes.

En librairie depuis le 5 octobre 2022.