Pour beaucoup de lecteurs d’imaginaire, une appréciation du célèbre Neil Gaiman vaut autant sinon plus qu’un long discours de Dieu le père. Adoncques le bandeau, de l’habituel rouge pétant, est porteur d’une promesse qui ne saurait être trompeuse, et encore moins négligée. Un « livre brillant », alors, dont le titre relève forcément de l’antiphrase ironique : bien sûr, comme on le verra, ce qui attend Hannah Green, petite Californienne de 11 ans qui se plaint en son for intérieur de mener une existence prosaïque, n’aura rien de commun. Pourtant, soit, vivre avec un parent séparé (en l’occurrence son papa, maman étant partie vivre à Londres), de nos jours c’est banal. Ce qui l’est moins, en revanche, c’est d’avoir une tante artiste (« enfin, artiste… ») coiffée en pétard et, surtout, un grand-père bourlingueur qui ne tient pas en place, au point de vivre dans de simples points de chute aux quatre coins du globe. Désemparé par le quotidien à affronter après le départ de sa femme, le père d’Hannah, Steve, confie sa fille à son père Erik pour une quinzaine de jours, le vieux monsieur ayant l’heur à ce moment-là de ne pas séjourner très loin. Or on le sait fort bien, les grands-pères ou les grand-mères ont toujours des histoires fabuleuses à raconter — et pourquoi pas à faire vivre — à leurs petits-enfants…

Lorsqu’on évoque le genre du roman philosophique, et lorsque ledit roman philosophique a pour héroïne une enfant, on songe de façon presque instinctive au célèbre Le Monde de Sophie de Jostein Gaarder. Cependant le roman de Michael Marshall Smith n’appartient pas exactement à la même catégorie : La Vie ô combien ordinaire d’Hannah Green est avant tout un récit fantastique, conçu certes pour faire enseignement (Hannah et les lecteurs pourront tirer une morale de ce qu’elle aura vécu), mais une aventure avant tout, un conte noir loufoque qui reprend à sa manière les figures canoniques du bien et du mal — Dieu, les anges (déchus) et le diable — en les associant à des personnages de fantasy (il y a des gnomes dans cette histoire, de plusieurs formes !). Le mélange s’avère inventif et savoureux, plus d’une fois surprenant et émouvant. L’histoire est amusante également (à défaut d’être franchement drôle), grâce surtout au dénommé Palafre, un « gnome accidenteur » faisant office d’adjuvant comique à la manière des side-kicks bouffons des films Disney. On n’ira donc peut-être pas jusqu’à qualifier le livre ado-adulte de « brillant » (Neil Gaiman a sans doute voulu se montrer respectueux et gentil avec son collègue et compatriote anglais), toutefois il suffit largement à prouver le talent polyvalent de Michael Marshall Smith, auteur protéiforme de romans de styles fort différents, signés sous plusieurs pseudonymes (L’Anomalie, paru l’an dernier, ou encore l’excellent thriller macabre Les Hommes de paille sont également de lui).

Disponible en librairie depuis le 13 janvier 2021.