La réédition en format poche, cet été, de la saga Jon Shannow (trois tomes parus initialement outre-Manche entre 1987 et 1994, et publiés une première fois en France par Bragelonne il y a quinze ans) est une occasion rêvée pour se (re)plonger dans l’œuvre pléthorique d’un des plus grands noms de la fantasy anglaise.

Nous sommes quelque part vers le 25ème ou le 26ème siècle. Il y a longtemps, une catastrophe écologique majeure a plongé la planète dans « la Chute », bouleversant la géographie et les peuples. Les humains ont perdu la mémoire de leur Histoire et, d’un point de vue technologique, ont régressé jusqu’à vivre une sorte de nouveau Far West dans lequel des bourgades fondées par des familles de fermiers sont souvent attaquées par les bandes de brigands à cheval. Dans ce monde violent et chaotique voyage un cavalier solitaire, Jon Shannow, un pistolero à la gâchette exceptionnelle qui a trouvé un sens à sa vie en poursuivant une quête obsessionnelle : retrouver la ville sainte de Jérusalem, le berceau de sa foi chrétienne, vestige spirituel du monde d’avant auquel il se raccroche jusqu’à passer aux yeux de beaucoup pour un illuminé…

La personnalité obscure et la dégaine erratique de celui que d’aucuns surnomment « l’Homme de Jérusalem » ne sont pas de pures inventions de David Gemmel. L’homme sans nom des westerns de Sergio Leone, incarné par Clint Eastwood, ou le pistolero Roland de Gilead dans la série de romans La Tour sombre (1982-2012) de Stephen King font figure de précurseurs de ce personnage à la limite de l’antihéros. Il n’en demeure pas moins que Jon Shannow est une silhouette fascinante qui interroge en permanence sur la validité de ce qu’on nomme la morale, entre autres religieuse. Soucieux de justice, Shannow est prompt à défendre la veuve et l’orphelin (ce n’est pas qu’une formule, l’histoire commence malicieusement ainsi), et c’est en même temps un tueur implacable qui abat tout adversaire sans aucune hésitation ni remords. Gemmel trouve à Shannow un adversaire idéal, Abaddon, « père » d’une néo-Babylone vouée à l’adoration de Satan. Les « Enfants de l’Enfer », tels qu’ils se nomment, constituent une armée de conquête pillant et massacrant tous ceux qui refusent d’embrasser leur culte diabolique. Pour des raisons qu’il est inutile de dévoiler ici, Abaddon et ses sbires jettent leur dévolu sur Donna, la veuve mentionnée ci-dessus et unique femme à laquelle s’est attaché Jon Shannow. Tragique erreur !

L’aventure passionnante convoque moult motifs typiques du western (convois de pionniers, villages indiens, duel au saloon, etc.) en les mariant avec des figures et des décors issus d’autres genres ou d’autres époques (on croise aussi des lions, des cannibales, on visite les ruines de cités antiques et même l’épave du Titanic !). Des mélanges audacieux qui n’ont a priori rien d’évident et passent pourtant comme une lettre à la poste, créant un univers inédit où la magie a également droit de cité, le chamanisme et ses pratiques hallucinatoires comptant aussi parmi la multitude d’ingrédients associés avec maestria par David Gemmel. Contrebalançant un message très noir (le fond de l’intrigue pointe du doigt la société humaine comme porteuse des germes de sa destruction), l’auteur ménage des pointes réjouissantes d’un humour pince-sans-rire des plus british qui fuse dans les dialogues, eux aussi magnifiquement écrits. Décédé en 2006 à 57 ans à la suite d’un problème cardiaque (il est pour ainsi dire mort en scène, tel Molière, son épouse l’ayant trouvé sans vie assis à son bureau), Gemmel tenait, paraît-il, sa faconde de ses années de jeunesse passées en tant que videur dans les bars londoniens, où ses deux mètres et ses cent-vingt kilos furent sans doute fort utiles pour, aussi bien que l’eût fait Jon Shannow, tenir les fâcheux en respect. Géant dans les pubs puis en librairie, Gemmel a laissé derrière lui une quarantaine de romans ainsi qu’un prix littéraire (distinguant chaque année les meilleures parutions de fantasy) créé à son nom peu après sa disparition. Jon Shannow 1 — Le Loup dans l’ombre est paru le 13 juin. Le volume 2, L’Ultime Sentinelle, sera disponible très bientôt, dès le 4 juillet. Et rendez-vous en août pour l’arrivée du dernier volume, Pierre de Sang. On vous reparle bien sûr de ces trésors dès que nous les aurons entre les mains.