Son prénom l’indique, Circé est sorcière mais n’a eu nul besoin de jeter des sortilèges pour que Khimaira tombe sous son charme. La chanteuse mystérieuse s’apprête à sortir son deuxième album, FEMME LOUVE, qui tourne en boucle dans la sono des caves voûtées de notre manoir. Pouvions-nous résister à la tentation de soumettre la magicienne à la question ?

Une figure païenne domine ton univers poétique, celle de la sorcière, qu’on trouve dans ton nom de scène et en ouverture de FEMME LOUVE, avec le titre Lilith. Que représente pour toi la sorcière ?

Il me semble que la sorcière est très intimement liée au mythe de la femme sauvage. Je viens de finir un livre qui m’a beaucoup inspirée ces derniers temps, Femmes qui courent avec les loups de Clarissa Pinkola Estés, qui est une invitation à se reconnecter à sa nature profonde, animale. Pour moi, la sorcière est celle qui est capable de sonder ses propres profondeurs, qui a une connaissance innée des cycles et des métamorphoses. Chaque femme porte en elle ce savoir intuitif qui est le moteur même de sa pulsion de vie. Mais ses instincts se retrouvent la plupart du temps atrophiés par une éducation visant à nous transformer en gentilles petites filles modèles bien lisses bien conformes et qui ne dérangent pas. Pour conserver intacte son essence, toute femme doit donc apprendre à résister, à se battre, à se défendre, à refuser de se soumettre à ces extincteurs de vie. En cela, la sorcière est aussi une figure féministe.

Tes textes et certains de tes clips révèlent un goût pour les ambiances mystérieuses, où rien n’est accessible pour qui n’est pas initié au secret. La pochette de FEMME LOUVE, également, représente une carte inédite de tarot divinatoire. Que penser de cet univers énigmatique ?

La cover — qui a été réalisée par Charles Hilbey, avec qui j’ai collaboré également sur certains clips — est très largement inspirée de l’Arcane 11, La Force, du Tarot de Marseille. C’est un support que j’utilise assez régulièrement dans mon travail de cartomancienne. J’éprouve une grande fascination pour les symboles issus du Tarot mais aussi de l’astrologie, de l’alchimie, de la Kabbale, je mets parfois en place certains rituels lorsque j’ai besoin de me libérer de quelque chose ou au contraire de l’enraciner en moi. D’une certaine manière, je conçois chacun de mes morceaux comme un acte psychomagique en soi. Les mots, la musique et le chant sont de puissants outils en matière de sorcellerie.

Hormis les atmosphères ésotériques, qui excitent l’imagination, tes chansons accrochent parfois par le contraste entre l’élégance de la forme textuelle et la trivialité crue du propos. Est-ce un mélange qui stimule particulièrement ton inspiration ?

Je ne crois pas que le propos soit trivial. Cru peut-être, mais pas trivial. Ce qui m’intéresse, surtout, c’est cette plongée dans l’intime aussi bien du corps que de la psyché, qui sont pour moi indissociables. Ça peut avoir un côté impudique parfois, mais c’est cela que je recherche dans le maniement de la langue, à créer cette tension entre les mots. On peut parler de trivialité peut-être concernant Ta bite 2.0, quoi qu’une bite soit très loin d’être triviale ! Le terme par contre est trivial, oui, mais il s’inscrit dans un ensemble poétique qui du coup le rehausse.

Pour toutes les raisons évoquées ci-dessus, tes chansons détonent beaucoup avec ce qu’on peut entendre venant d’autres artistes de la chanson française. As-tu déjà essuyé des réactions inattendues de la part du public, des critiques ?  Je pense également à la chanson #pathologiecontemporaine…

Ce qui est assez jubilatoire avec cette chanson, c’est d’imaginer que grâce à un simple copié-collé de mes MP Facebook les plus savoureux, c’est finalement moi qui vais percevoir des droits d’auteur ! Je trouve ça absolument grisant ! Sinon, le titre n’étant pas encore sorti et ne l’ayant joué que trois fois en live pour le moment, je manque un peu de matière pour répondre à la question. Ce que je peux dire, c’est que je prends un plaisir fou à la chanter, je pense que ça doit être mon titre le plus mainstream, le public semble assez concerné, consterné, amusé, et très dansant aussi !

Un titre de FEMME LOUVE m’a frappé un peu plus que les autres, il me vient en premier à l’esprit lorsque je pense à l’album : Je suis morte. Peux-tu nous en dire plus sur ce texte qui commence — un peu — comme une nouvelle de Zola que j’aime beaucoup ?

Non. J’en dis déjà bien assez. À quelle nouvelle de Zola penses-tu ? Je n’ai jamais réussi à lire du Zola…

La Mort d’Olivier Bécaille, l’histoire très sombre d’un pauvre type qui se réveille mort ! En fait, il est en catatonie, il entend parfaitement mais tout le monde est persuadé de son décès et sa veuve éplorée s’en va l’enterrer. Une lecture que je te conseille. Un autre titre de FEMME LOUVE, Les Élans les désirs : le texte est-il un autoportrait ?

Oui. Comme la plupart de mes textes, qui se tournent soit du côté de l’autoportrait, soit du côté de l’autobiographie. La dimension fictive ne m’intéresse pas.

 

J’aime beaucoup également C’est en marche, où la fin du monde paraîtrait presque sexy et souhaitable, même si, quand même, ça fait peur. Est-ce qu’il y en a marre du genre humain ?

J’aime bien que tu utilises le terme « sexy » pour évoquer cette chanson qui parle tout de même de la finitude de l’espèce humaine. Ça me plait. Est-ce que c’est souhaitable ? Est-ce qu’il y en a marre ? Je ne sais pas. En tout cas c’est inévitable et il va falloir s’y faire. Ou pas. Peut-être que c’est impossible. Il est déjà bien difficile de se faire à l’idée de sa propre mort, alors accepter celle de l’humanité toute entière… Là pour le coup, il ne restera plus rien de rien de ce qu’on a été. Plus de Baudelaire, plus de Rimbaud s’il n’y a plus personne pour les lire. L’art ne nous permettra même plus d’atteindre l’immortalité. Bon… Finalement, c’est pas bien grave tout ça…

Il y a une reprise dans FEMME LOUVE, Fever. Pourquoi ?

La première fois que j’ai repris ce titre, c’était pour une commande lors d’une soirée intitulée « Les apérotiques ». J’ai aimé la chanter si bien que je l’ai toujours incluse dans mes concerts par la suite. « Fever », la fièvre, le feu, la brûlure du désir, celui qui est tu, et qui peut tuer aussi d’être ainsi tu. Ce texte me parle beaucoup.

 

Vers quels styles, quels artistes se portent tes propres goûts musicaux ?

J’écoute des choses très différentes, cela va de la vieille chanson française à l’électro, en passant par le rap. Dans ma playlist, tu peux trouver aussi bien Gainsbourg que Massive Attack, Rihanna ou d’autres artistes plus underground comme Mansfield.Tya, Infecticide, Angle Mort & Clignotant, Schlaasss…

Quelles œuvres sur d’autres supports considères-tu comme essentielles à tes yeux, ton cœur et ton esprit ?

En ce moment je suis très inspirée par le travail de certaines performeuses, notamment Déborah De Robertis, Aj dirtystein, Marina Abramovic, ORLAN. Le corps est un outil politique extrêmement puissant, et j’aimerais un jour pouvoir créer quelque chose avec ça. Sinon je vais assez régulièrement au Palais de Tokyo, qui est pour moi un des lieux parisiens les plus nourrissants en matière d’art contemporain. Cela fait un moment que je n’ai pas lu de roman et ça me manque. Mes livres de chevet actuels sont plutôt des essais orientés soit vers le féminisme, soit vers la psychanalyse.

Vas-tu présenter les titres de FEMME LOUVE sur scène ?

Oui. Mon musicien Mathieu Calmelet et moi avons déjà commencé à faire vivre cet album en live depuis un petit moment. Il y a encore de très jolies dates qui se dessinent. Notamment le 1er avril au Quartier Libre à Bordeaux et le lendemain au Café Brun, toujours à Bordeaux. Les 20, 21, 22 avril, j’ai l’immense honneur d’être invitée par ORLAN, la papesse de l’art charnel, lors de sa carte blanche donnée au club Salò à Paris. Le 22 mai aura lieu ma release party au Supersonic à Paris. Puis je jouerai au Chaff à Bruxelles, le lendemain de mon emménagement dans cette nouvelle et palpitante ville, le 26 juin prochain.

L’album FEMME LOUVE de Circé Deslandes sera disponible à compter du 19 mai 2017 (Arcane 19).

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