We Are What We Are est le remake américain d’un récent film de cannibales, Somos lo que hay (2010) du Mexicain Jorge Michel Grau. Je n’affectionne guère ces cas de vampirisation dont le cinéma américain se rend régulièrement coupable, et pourtant pas question de snober par principe cette adaptation US, très astucieuse. Le calque devient un habile jeu de miroirs : Somos lo que hay déroulait son intrigue dans le climat sec de l’été mexicain, We Are What We Are nous emmène sous les tombereaux de flotte d’un printemps pluvieux dans le nord-est américain ; une veuve, ses deux fils et leur sœur cadette composaient une famille de mangeurs d’hommes, nous voici en présence d’un veuf, de ses deux filles et de leur petit frère s’adonnant aux mêmes carnages.
La dichotomie inversée s’impose jusque dans les types physiques. Jim Mickle et son coscénariste et comédien Nick Damici (un duo déjà à l’œuvre dans l’épouvante avec Stake Land en 2011) ont confié les rôles principaux à Ambyr Childers et Julia Garner, qui n’ont rien de latino et interprètent deux beautés blondes aux prénoms floraux, Iris et Rose. S’épanouissant, approchant l’âge adulte, les deux filles de la famille Parker cohabitent de plus en plus difficilement avec leur père Frank, un illuminé qui camoufle l’horreur de l’anthropophagie sous les oripeaux de la religion. Les pratiques cannibales des Parker remontent à loin, aux temps difficiles des pionniers. Frank, descendant de cette lignée qu’on devine consanguine, porte en lui les stigmates des horribles pratiques (la consommation de cervelle humaine provoque à terme la maladie de Parkinson). Il est condamné mais ne doute pas un instant que sa progéniture perpétuera la tradition familiale.
Faire accomplir des horreurs à Rose et Iris, duo d’anges blonds en pleine puberté, pourrait passer pour un effet facile, mais le film, au tempo très lent, propose au contraire des portraits finement ciselés. Le destin des filles (et de leur jeune frère) est l’un des enjeux passionnants de l’histoire. Elles échapperont peut-être au joug paternel, mais qu’en sera-t-il de l’appétit de la chair ? Une des rares scènes spectaculaires du film illustre le titre-constat, « nous sommes ce que nous sommes ». Les deux filles s’y servent ensemble à même la bête au cours d’une séquence qui nous partage entre dégoût et fascination érotique, d’autant qu’à cette occasion elles transgressent — mais je n’en dirai pas plus — un double tabou. Sacrées filles, sacré film.
Disponible en DVD et blu-ray depuis le 3 septembre 2014 (Wild Side Vidéo).