Interview de Richard Ely et Amélie Tsaag Valren

Si vous vous intéressez au monde des fées, lutins, garous et licornes, voici un livre qui vous dit tout de ces créatures fantastiques hantant le territoire français. Avec plus de 600 entrées réparties à travers toute le France le Bestiaire fantastique et créatures féeriques de Richard Ely et Amélie Tsaag-Valren est un exercice de collecte qu’on ne peut que saluer ! Cet ouvrage dense, de plus de 300 pages, vient de sortir aux éditions Terre de Brume. Rencontre avec ses auteurs…

Khimaira : Richard, en avril dernier tu nous avais régalés d’anecdotes sur les fées et lutins des quatre coins du monde dans Le Grand Livre des Esprits de la Nature. Là tu reviens déjà avec, une fois de plus, un livre sur les fées et lutins. Tu en as d’autres en réserve ?

Richard : Oui, rassurez-vous, il y a beaucoup de sujets féeriques que j’aimerais traiter. Ce ne sont pas les idées qui manquent. Rien de redondant d’ailleurs entre ces deux ouvrages. Le premier abordait les esprits liés aux plantes, à la nature tandis que celui-ci traite des lutins mais également des dragons, malebêtes et autres créatures mais pour la France uniquement.

K : Amélie, c’est ton premier ouvrage. Ça fait quoi de se voir publier ? Et pourquoi avoir choisi ce domaine précis ?

Amélie :  Le domaine s’est imposé comme une évidence. Je baigne dans le conte et la légende depuis l’enfance (dans le cheval aussi, mais c’est une autre histoire !). La publication, je dirais qu’elle est venue naturellement. Ce n’est pas réellement mon premier ouvrage, il y a eu un ratage de jeunesse (un qui pique les yeux) avant. Parfois,  je suis tentée d’en retrouver tous les exemplaires pour les brûler !

Cette publication est venue comme à la suite d’une évolution, sans surprises. Les projets qui échouent, qui avortent, qui partent en sucette, c’est un mal nécessaire. Cela peut paraître bizarre, être publié en papier est souvent vu comme un aboutissement… Je n’aurais pas proposé à Richard d’écrire ce livre avec lui (je suis venue le chercher un beau jour en 2011, pour lui demander un projet à quatre mains) sans la certitude d’être à la hauteur ! A ce sujet, puisqu’il en est le préfacier mais aussi (et surtout) le parrain de plume, j’aimerais rendre un hommage appuyé à Pierre Dubois, qui m’a encouragée à la publication depuis le début.

K : Ce livre prend le parti de présenter chaque créature en précisant sa région, son département. On n’avait jamais vu ce genre de classement dans les dicos féeriques…

R :  Oui, c’est vrai. L’idée est de rendre les lecteurs conscients de ce qui existait, existe toujours, près de chez eux. Les livres sur les fées, lutins et autres créatures qui sortent en France s’intéressent soit à un type de créature, soit à une région, rarement à l’ensemble du pays. Et quand ils ont une volonté exhaustive, ils incluent souvent des créatures d’autres cultures, des pays voisins. Pourtant ce genre de relevé existe en Espagne, en Angleterre, cela manquait vraiment pour la France.

A :  Houlà, vous venez d’utiliser le mot « classement » ! Terrain glissant ! Comme vous le verrez dans la préface, les créatures légendaires détestent qu’on les classe. Elles s’arrangent toujours pour sortir des cases. Alors, notre rôle à nous, humbles apprentis mythizoologues, c’est d’approcher au plus juste sans jamais  les figer. Brian Froud dit à ce sujet que « classer les fées serait la plus grave des impolitesses ». Et puis, l’écrivant est bien placé pour comprendre le problème du « classement ». Lorsqu’il remplit des papiers et qu’il bute sur la case « métier », ou qu’on lui demande « en vrai, son vrai métier »… L’idée n’est pas de se comporter en affreux caseurs administrateufs avec nos êtres de légendes, laissons-les s’épanouir sur ces territoires qui les ont vus naître… Chacun sait que la Loire-Atlantique n’est pas en Pays de la Loire,  que la Savoie n’était pas plus française que l’Alsace jusqu’à une époque récente, que les régions actuelles ont été redécoupées ! Nous n’écrivons pas un cours d’histoire, les départements indiqués le sont pour faciliter les rencontres, pour s’orienter vers les lieux qui révèlent des traces d’êtres légendaires ! Et souvent, nos indices sont très flous, peut-être vous aideront-ils à vous perdre…

K : A qui s’adresse ce livre ?

R : A un très large public ! Aux personnes qui désirent partir à la découverte des légendes de leur région ; à celles qui séjournent ailleurs et ont envie d’en savoir davantage sur les lutins qui s’y cachent. Le livre comporte aussi une très belle bibliographie pour qui souhaite approfondir ses connaissances. Sans oublier que c’est un livre qui devrait sans problème trouver sa place sous les sapins ! N’oublions pas qu’il est largement illustré de gravures anciennes qui lui donnent un cachet supplémentaire…

A :  Il sera très pratique dans le jeu de rôle aussi, particulièrement pour les maîtres de jeu qui cherchent quelle créature est attachée à un territoire précis. Cet ouvrage permet réellement de se réapproprier les créatures légendaires de France et de les faire vivre, que ce soit à travers le jeu de rôle (y compris GN), en simple balade, ou pour rêver le soir après sa lecture…

K :  Cela vous-a-t-il demandé beaucoup de temps pour collecter tout ce petit monde ?

 R :  Cela a été un travail d’échanges continu, de lectures, relectures. Pas évident du tout, vous imaginez bien que ces satanées bestioles ne se sont pas laisser faire ! On ne compte plus les traces de griffes et de morsures…

A : Je me souviens de l’article du Croquemitaine, il est si mal-aimé, ce vil boustifailleur d’enfants, qu’aucun de nous deux ne voulait s’en occuper ! Je l’ai fait mais je l’ai payé cher ! Je vous raconterai plus tard. Ou pas !

Concernant le temps passé, je ne l’ai pas compté. J’ai rassemblé ces dix dernières années un rayonnage entier d’ouvrages de contes et de légendes, sans compter tous ces trésors numérisés sur Internet. Répondre un an, un an et demi, deux ans… n’aurait aucun sens.

K : Il y a plus de 600 entrées dans votre recensement, toutes les créatures de France s’y trouvent ?

R :  Bien sûr que non. Néanmoins, c’est le résultat d’une recherche bien poussée.  Nous avons nous-mêmes mis de côté quelques noms dont nous hésitions quant à l’origine. Et puis, des créatures tombent dans l’oubli, d’autres naissent. C’est le genre de livre qui doit rester vivant et qui, s’il a la chance de rencontrer un certain succès, s’enrichira d’édition en édition…

A : On en redécouvre toujours, c’est le propre de la féerie ! Un bestiaire imaginaire qui ne s’enrichirait plus d’imaginations serait condamné à la disparition…

Si chaque fois qu’un enfant dit « je ne crois pas aux fées », l’une d’elles en meurt, lorsqu’un autre enfant vous dit qu’il y croît, une fée naît. L’ennui, avec le dernier enfant que j’ai croisé ainsi, c’est qu’il n’avait jamais rencontré de fées à son âge. Juste des croquemitaines…  ainsi est né un avaleur d’enfants dijonnais, « le gueulosaure », avec une affreuse poustache (une moustache qui pousse en permanence et contient autant de résidus alimentaires qu’une pouche, CQFD) et une haleine de cendre froide !

Certaines créatures ont insisté pour y figurer (le garou, par exemple, m’a sacrément soufflé dans les bronches pour que je note tous les noms de ses compères dans toutes les langues régionales). D’autres se sont si bien cachées que l’on a failli les oublier. La salamandre était absente jusqu’à l’avant-dernière version avant publication. Un oubli presqu’impardonnable…

K : Quelle est la créature à laquelle vous tenez le plus ?

R : Étant un homme du Nord, je dirais le Latusé. J’ai, toute mon enfance, été hanté par les créatures qui peuplaient le grenier de la maison familiale…

A :  Lou Drapé ! Le cheval-fantôme du Sud, l’équin-coquin-canaillou qui, tel un enfourneur à sabots, fait le tour des remparts de la cité fortifiée pour y tenter ses jeunes proies. C’est la première créature que j’ai cherchée sur son terrain. Pas avec une loupe et un béret, non, simplement en me perdant dans les marais de Camargue. Sur les bons conseils de Claude Seignolle et de Pierre Dubois… Tant qu’on y est, je me permets de révéler un secret qui ne figure pas dans le livre : lou Drapé est le pendant maléfique d’un autre cheval mythique en Camargue, Crin-Blanc. Crin-Blanc a gagné une île avec son ami le jeune pêcheur Folco, lou Drapé est  le cheval revenant-revenu de la mer…

Le Bestiaire fantastique & créatures féeriques de France aux éditions Terre de Brume – 640 histoires de lutins, fées, licornes, garous et croquemitaines à découvrir chez votre libraire !