Le film de potes est un genre à part entière, et les réunions d’amis y tournent en général à la comédie douce-amère. Mais pas toujours : sur un sujet voisin de celui de l’espagnol Fin (voir ma critique positive dans le compte rendu de Gérardmer 2013), voici Coherence, une histoire qui exploite l’hypothèse des univers multiples. Le passage d’une comète coupe le courant dans toute la ville et vient perturber le dîner d’un groupe d’amis. Un problème va se poser, qui dépasse de loin le simple grillage de plombs : à l’extérieur de la maison, le noir a englouti tout, sauf une villa, un peu plus loin, dans laquelle les héros se retrouvent… face à eux-mêmes !

Les personnages, cultivés, sont en mesure de citer la fameuse expérience du chat de Schrödinger, mais cela ne les aide pas beaucoup, ils ne sont pas pour autant experts en physique quantique et vont devoir composer avec l’existence de ces alter-egos issus d’une réalité parallèle. Le réalisateur James Ward Byrkit dirige la petite assemblée dans sa propre maison, transformée en plateau de tournage pour un budget total d’à peine 5000 dollars. Une somme microscopique qui interdit toute extravagance visuelle : le scénario repose avant tout sur les dialogues, parfois improvisés malgré l’argument scientifique pointu qui sous-tend l’intrigue. Comme s’ils se trouvaient sur une scène de théâtre, les comédiens entrent et sortent du décor unique pour espionner leurs « doubles ». Ces derniers ne restent pas non plus sagement dans leur coin, ils viennent rôder autour de la bicoque… Les deux groupes finissent par se « contaminer », s’interpénétrer. Les deux gars sortis en exploration sont-ils bien ceux qui sont revenus ? Et il s’il n’y avait pas qu’un groupe de « clones », mais deux, trois… un million ?

Cette mathématique angoissante finit par causer un agréable vertige qui n’est pas sans rappeler certains épisodes de La Quatrième Dimension. Mais la comparaison avec la fabuleuse et rigoureuse série de Rod Serling s’arrête là. Dans Coherence, les héros ont beau être précipités en pleine panade métaphysique, ils prennent le temps de disserter sur leur vie amoureuse ou leurs petits tracas de quadras bobos qui s’écoutent beaucoup parler entre deux verres de Bordeaux. Des profils auxquels il n’est pas facile de s’identifier, mais la partie la plus agaçante s’avère être la fin, lorsque l’un des personnages s’emploie à assassiner un de ses doubles. L’action prend le pas sur la parlote, mais c’est aussi à ce moment que le film s’arrête, nous laissant paresseusement le loisir d’imaginer la suite. C’est un peu court, et l’étroitesse de la production n’excuse rien (l’excellent et pourtant méconnu The Man From Earth, tourné dans des conditions semblables, a prouvé que l’on peut scotcher une audience d’amateurs de S.F. avec 1h30 de dialogues devant une cheminée). On termine le visionnement avec l’impression désagréable d’avoir suivi un métrage qui, finalement, se moque de son intrigue de science-fiction et fonctionne au bluff, mettant en scène des personnages intelligents (ou convaincus de l’être) pour lui-même donner l’impression d’être profond. Voilà, c’est raté.

Pas de sortie française prévue à ce jour. Coherence est disponible en VOD et DVD aux Etats-Unis.