Le lecteur entre dans l’histoire en vision subjective, à travers les yeux de l’héroïne qui revient à elle après une période d’inconscience. La femme au pied du lit lui apprend qu’elle l’a recueillie après l’avoir trouvée inanimée dans la rue, elle ainsi qu’une fillette blonde et muette qu’elle est censée connaître. Mais Alice est amnésique, et elle s’est réveillée dans un monde de cauchemar…

Dessinateur très polyvalent, naviguant entre récit historique, érotique et thriller (il est notamment l’auteur d’une adaptation en BD de la trilogie de romans Millenium de Stieg Larsson), le Barcelonais Manolo Carot a signé en 2008 cette variation pornographique sur le thème d’Alice au Pays des merveilles, aujourd’hui rééditée dans une version « revue et augmentée », dixit l’éditeur. Il y a donc du Lewis Carroll dans le scénario et on relèvera aussi quelques airs de famille avec le célèbre comics Crossed : dans le « Pays du chaos » que va parcourir Alice, pour une raison surnaturelle qui nous échappe, les hommes sont nombreux à s’être changés en mutants aux yeux rouges, en proie à des appétits sexuels monstrueux et à une faim cannibale. Il ne fait pas bon traîner dans les rues, et le sexe mâtiné d’horreur sanglante s’invite dès la troisième page, lorsque la gentille hôtesse d’Alice est bien obligée de céder à l’agressivité d’un « diable » ayant réussi à s’introduire dans le logement.

Le style du dessin est davantage celui d’un album jeunesse que d’une BD adulte, mais qu’on ne s’y trompe pas : les planches de Manolo Carot sont authentiquement hard. L’odyssée d’Alice (et de la blondinette) pour échapper au danger passe par des étapes scabreuses où l’auteur s’exerce à varier les angles et multiplie les gros plans. Fellations et pénétrations multiples nous apparaissent sous des perspectives souvent acrobatiques, Manolo ne laisse passer aucun détail et il pratique aussi le mélange des genres avec quelques touches de S.F. plutôt cocasses (dans un laboratoire, un savant fou masqué concocte un sérum qui change les filles en nymphomanes insatiables !). Le ton mi-sérieux, mi-distancié fait sourire et on s’amuse encore devant quelques clins d’œil cinéphiliques pertinents (à Zombie de George A. Romero, à Saw de James Wan). À noter enfin, un réjouissant blasphème quand Jésus en personne descend de sa croix, pas très recommandable et en pleine forme ! Une audace sacrilège typique d’un auteur à l’esprit frondeur et natif de la catholique Espagne. Si tout cela vous paraît engageant, on ne peut que vous conseiller d’aller en débattre avec votre libraire à partir du 10 mai. Sinon l’ouvrage est déjà disponible en version numérique sur le site de l’éditeur Tabou BD.