Au dix-septième siècle, chez l’Oncle Sam (qu’on n’appelait pas encore Oncle Sam), il était courant de céder aux pires superstitions et de s’accuser les uns les autres de sorcellerie. La bonne ville de Salem, Massachussetts, fut ainsi en 1692 le théâtre d’un délire collectif sans précédent au terme duquel une vingtaine de femmes furent jugées coupables d’avoir pactisé avec le diable. Les preuves à charge n’étaient ni nombreuses ni convaincantes, mais elles étaient bien suffisantes aux yeux des puritains fanatiques qui supplicièrent les malheureuses (pas sur un bûcher, comme on eut coutume de le faire en Europe, mais entre des claies chargées de lourdes pierres qui écrasèrent les condamnées).

Pour les besoins horrifiques de son film, Rob Zombie tord le cou à l’Histoire en imaginant qu’une bande d’adoratrices de Lucifer fut réellement à l’œuvre dans la bourgade. Le film commence fort par un sabbat nocturne où les harpies impies profèrent nues autour d’un feu des imprécations sataniques. Un révérend, Jonathan Hawthorne, met fin aux agissements des sept femelles. Il envoie l’hydre rôtir sur le bûcher. Léchée par les flammes, la grimaçante Margaret Morgan exhale son dernier souffle en maudissant la descendance du clergyman… Trois cents ans et quelques après la mort des sorcières, Salem a un peu changé, et si le diable s’exprime, c’est sur les ondes d’une radio locale via l’émission de rock’n’roll du « Big H », un trio d’animateurs beatniks aux patronymes en H, les deux Herman (Ken Foree, Jeff Daniel Phillips) et Heidi (Sheri Moon Zombie). Un beau jour, un vinyle 33T fait son apparition à la station sans que personne ne comprenne d’où il est venu. À en croire l’étiquette, il a été enregistré par un groupe mystérieux, The Lords. Le « Big H » passe à l’antenne la musique délétère et, dès lors, tout semble se dérégler dans la vie d’Heidi…

L’idée du disque maudit, incantatoire, prompt à faire surgir les flammes de l’enfer, est une allusion réjouissante à l’un des mythes du rock’n’roll, qui veut que des disques pas très catholiques délivrent des messages sulfureux si l’on se risque à les passer à l’envers. Ici, les accords sépulcraux du vinyle des « Lords » annoncent la colère par-delà la mort de la clique de Margaret Morgan. Ce thème de la vengeance d’outre-tombe n’est franchement pas original, c’est surtout un prétexte, un canevas que Rob Zombie va suivre pour livrer un poème visuel macabre imaginé pour sa muse, la belle Sheri, blonde et callipyge, qu’il épousa au tout début du siècle un jour d’Halloween. Il n’y a aucun mal à ça (les immenses Suspiria et Inferno de Dario Argento, par exemple, sont des spectacles semblables, sensitifs, oniriques, dépourvus d’intrigues consistantes) et, en filmant le désarroi d’Heidi, le cinéaste métalleux exécute des tableaux extravagants et lugubres qui prennent l’allure d’un mauvais trip sous LSD. D’où un niveau de lecture intéressant : la musique funèbre des Lords sonne autant le retour des sorcières à Salem qu’un état de rechute dans lequel va plonger la pauvre Heidi, ex-junkie habituée des réunions d’anciens drogués. Saisie d’un mal-être dont on ne peut qu’essayer de deviner les causes (l’échec d’une vie sentimentale ? le manque d’enfant ?), Heidi se coupe peu à peu de ses proches, se reclut dans son appartement cosy bientôt changé en taudis… et elle reprend de la dope, sous les regards faussement bienveillants des trois Parques qui montent la garde au rez-de-chaussée de son immeuble.

Les affres de la toxicomanie sont le seul véritable enfer dépeint par le film, et la malédiction qui afflige l’héroïne est une variation psychédélique sur le thème fataliste du « qui a bu boira ». Dans son errance, Heidi cherche la rédemption (les symboles christiques abondent), c’est le réalisateur lui-même qui la lui accordera à la faveur d’un des ultimes plans, la représentant en nouvelle vierge Marie juchée sur un Golgotha de corps inanimés. Tout cela va déconcerter les spectateurs qui espéraient de The Lords of Salem un pur film d’exploitation, à l’horreur beaucoup plus binaire et normée. Mais ce n’était pas ici l’ambition de Rob Zombie qui, même s’il se rend coupable d’une mise en scène parfois limite, flirtant avec le grotesque, signe à mes yeux son œuvre la plus captivante, à égalité avec son excellent remake d’Halloween en 2007. Et la superbe Sheri Moon, suppliciée, iconisée, entre en majesté au panthéon des plus émouvants anges déchus du Septième Art.

The Lords of Salem est sorti dans les salles fin avril en Italie et au Royaume-Uni. Pas de date d’exploitation prévue à ce jour en France, le film n’ayant pas encore trouvé chez nous de distributeur.