C’est une surprise de trouver Kevin Smith (réalisateur des rigolos Clerks, Dogma et plus récemment Zack et Miri font un porno) aux commandes de Red State, drame d’épouvante qui arrive directement en dvd. Le point de départ aurait d’ailleurs pu être celui d’une farce graveleuse, façon American Pie : trois lycéens n’ayant guère de succès avec les filles répondent à une petite annonce de rencontre passée sur le web par une quadra du coin. Ils prennent la route pour un plan à quatre dans une caravane. Mais les gars arrivés à destination, on ne rigole plus : Travis, Randy et Billy-Ray sont tombés dans un traquenard orchestré par les ouailles du pasteur Abin Cooper, un intégriste religieux qu’une scène d’exposition nous a présenté comme étant jugé infréquentable même par les groupuscules nazis (!). La congrégation nourrit une haine viscérale de tout ce qui n’est pas blanc et chrétien, et les barjots ont aussi en point de mire les homosexuels, jugés responsables de la décrépitude morale américaine. Le pasteur Cooper et sa bande sont armés jusqu’aux dents, ils ne sont pas contents. Ça va barder pour les trois aspirants fornicateurs…

Plutôt qu’un film d’horreur américain, Red State (un « état rouge » est un état qui a tendance à voter républicain) est un film sur l’horreur américaine. Les ultraconservateurs au discours virulent sont une réalité aux États-Unis (les « Five-Pointers » du pasteur Cooper s’inspirent de la Westboro Baptist Church de Fred Phelps, basée au Kansas), et si ça ne tenait qu’à eux, ils descendraient les gays, les gauchistes, les Noirs, les médecins pratiquant des IVG, les défenseurs des théories de Darwin… à peu près tout le monde ! En premier lieu, le film va vous scotcher grâce au comédien Michael Parks alias le pasteur Cooper, dont la crinière blonde, la barbe et le charisme font penser à un Richard Branson passé du côté obscur de la Force. Son entrée en scène donne lieu à une longue séquence dans laquelle, affichant un sourire paternel, il tient un sermon ahurissant de haine et de manipulation idéologique. L’apothéose du prêche sera la mise à mort d’une balle dans le crâne d’un anonyme, captif « homosexuel » de la secte. Des minutes trempées d’horreur qui font grimper en flèche la tension dramatique du film.

Passé cette première demi-heure, on craint tout de même que Red State ne se mette à glisser en roue libre sur les rails d’un « torture porn » de plus, cependant on assiste ensuite à tout autre chose avec l’arrivée des forces de police fédérale, qui se pointent pour assiéger la ferme occupée par la secte. On peut être désarçonné par ce brusque changement de style (d’un récit d’horreur on passe sans transition à un film d’action policier reléguant au troisième plan les héros du début), cela dit les péripéties sont cohérentes et rappellent des faits récents de l’Histoire américaine (le siège par le FBI de la secte des Davidiens à Waco, Texas, en 1993). La bifurcation permet aussi à Red State de gagner en ampleur : à la suite d’une bavure embarrassante et de la mort d’un flic, le responsable de l’opération, Joseph Keenan (interprété par John Goodman, formidable) reçoit l’ordre de nettoyer la baraque en passant par les armes jusqu’au dernier des illuminés, enfants compris. Un revirement de situation qui ne se fera pas sans causer d’états d’âme chez les policiers, mais n’empêche : la violence aveugle, soudain, n’est plus l’apanage des fanatiques. Patriot Act aidant, elle peut aussi prendre ses quartiers dans le camp du gouvernement et des institutions policières…

En conclusion, une sacrée réussite de la part de Kevin Smith, apôtre de la comédie qui témoigne de qualités inattendues en changeant radicalement de registre et en posant un regard acide sur les errements idéologiques de son pays. La réalisation est impeccable, sachant par exemple faire usage de « shaky cam » uniquement lorsque cela s’impose (c’est-à-dire au moment de fusillades ou lors d’une scène de course-poursuite à pied qui laisse comme deux ronds de flan en s’achevant de manière brutale). Un dernier mot concernant un autre parti pris culotté : l’ensemble du film, y compris les séquences d’action ou d’horreur, n’est appuyé par aucune musique, les seules mélodies de la bande son étant celles exécutées au piano par le pasteur fou pour accompagner ses chansons. D’où une narration encore plus crue. Loin des canons des films de studio hollywoodiens, Red State est un bel exemple de cinéma US indépendant. Depuis le tournage, Smith a déclaré qu’il réaliserait encore un film et un seul avant d’arrêter la mise en scène. Hit Somebody doit se dérouler dans le milieu du hockey professionnel. Ce ne sera peut-être pas un film d’horreur, mais le titre promet un autre métrage rentre-dedans. Le projet n’en est encore qu’au stade de la pré-production, alors rendez-vous en 2013…

Dvd et blu-ray disponibles à partir du 19 juin 2012.