À Mexico, la jolie Noemí navigue d’une fête à une autre — et d’un prétendant à l’autre — en menant une existence dorée de fille à papa. Or le riche paternel, justement, interrompt un jour la routine mondaine de la chica pour l’envoyer au chevet d’une cousine, Catalina, épouse depuis peu d’un certain Virgil Doyle, un mystérieux Anglais dont ils ne savent pas grand-chose. Noemí débarque ainsi avec ses jolies robes dans le pueblo reculé d’El Triunfo où, en haut d’une colline, trône le vieux manoir de la famille Doyle, comme un bout d’Angleterre recréé en pleine Amérique latine à l’époque où ces expatriés d’Europe firent fortune dans l’exploitation de mines d’argent.

Presque tout tient dans le titre : nous sommes donc au Mexique (en 1950), dans le sillage d’une héroïne latina un peu évaporée qui fait claquer ses talons dans les couloirs d’un manoir obscurci de tentures et en proie à la moisissure. Des brumes éternelles stagnent autour, comme pour faire croire que les aïeux britanniques apportèrent leur climat en même temps que des valises, et il y a même un cimetière attenant où gisent les ancêtres dans des sépultures couvertes de mousse et d’amanites… Ajoutons quelques clins d’œil à la littérature classique du genre (Frankenstein et Dracula, notamment), et l’on obtient une partition grâce à laquelle Silvia Moreno-Garcia exécute toute la gamme de l’horreur gothique. L’œuvre a été saluée par la presse anglophone (des louanges tirées des pages du Guardian, de Time Magazine, du New Yorker… parsèment la couverture) et elle s’est aussi adjugé le prix Locus (décerné par le magazine de SF du même nom) récompensant le Meilleur Roman de terreur 2021. Des honneurs mérités car la romancière, c’est indéniable, maîtrise son sujet. Comme le personnage principal, on se pose moult questions : quel mal, au juste, tourmente la cousine Catalina ? pourquoi le médecin de famille des Anglais est-il si peu disert à son sujet ? et pour quelles raisons la sinistre famille Doyle et toute la domesticité vivent-ils selon une litanie de règles aussi strictes qu’absurdes ?

Silvia Moreno-Garcia s’est initiée dès un très jeune âge aux romans et aux films d’horreur, et elle a mis cette culture à profit pour aboutir au récit gothique « revisité » qu’on a entre les mains. Il y a un revers à la médaille : pour peu qu’on ait soi-même déjà consacré de longues heures à tourner les pages de Poe ou de Lovecraft (et qu’on se soit nourri de classiques incontournables du genre à l’écran, Les Innocents, par exemple, ou d’autres titres plus récents), il sera difficile d’être réellement frappé de stupeur au fil des découvertes macabres que fera Noemí dans l’inquiétante bâtisse. Il n’empêche que, même rodé aux pires épouvantes, on ne s’ennuie pas une seconde à bord de ce train fantôme littéraire parfaitement rythmé, joliment dialogué, et orné de descriptions évocatrices riches de détails lugubres quand ils ne deviennent pas carrément sordides. La réussite de l’œuvre tient aussi dans le portrait très classe et attachant de cette fille coquette, insouciante, et néanmoins vive d’esprit et émancipée. La beauté de Noemí rehaussée de lipstick, trempée dans la déliquescence du manoir Doyle attise le frisson gothique le plus grisant qui soit. Caramba !

En librairie depuis le 18 août 2021.