Cela fait maintenant huit ans, Mel Gibson, visage originel de Mad Max, signait un film dont peu de personnes parlent encore (et c’est dommage), Apocalypto, une œuvre ambitieuse, tournée en langue maya, et qui se concluait par une longue course-poursuite à pied à travers une jungle fourmillante de dangers.

George Miller a-t-il vu Apocalypto ? Forcément, et il aura décelé l’influence de ses Mad Max sur les personnages imaginés par Mel Gibson (la tribu belliqueuse qui attaque le village du héros, en début de film, avec ses guerriers piercés et tatoués, adeptes des sacrifices humains, est une résurgence des hommes d’Humongous dans Mad Max 2). En 2015, Miller renvoie la balle à Gibson avec un nouveau périple qui entend battre, au moins en terme de durée, le survival trail mis en scène par Mel : dans le désert, Max le Fou (Tom Hardy) tente d’échapper, à bord du camion customisé à la nitro piloté par Furiosa (Charlize Theron), aux hordes barbares et motorisées d’un despote cinglé, Immortan Joe (Hugh Keays-Byrne, grimé, qui jouait déjà le chef des motards dans le premier Mad Max, en 1979). Furiosa a fait s’évader les cinq beautés du harem de l’affreux, qui lâche les enfers à leurs trousses. La chasse démarre presque en même temps que le film pour s’achever dans les dernières minutes de la projection..

Voilà pour le concept, d’une simplicité biblique et, sur le papier, extrêmement dynamique. On a gardé en mémoire les plans déments au ras du bitume de Mad Max 2, on espère donc que ces nouvelles aventures vont se montrer à la hauteur des précédents exploits filmiques de George Miller. Trente ans après la dernière apparition de l’Interceptor à l’écran, l’homme n’a rien perdu de sa maestria ni de son pouvoir d’imagination graphique : à l’écran défile un cortège de véhicules guerriers invraisemblables drivés par des fous furieux grimaçants et meurtriers, les cascades les plus dingues succèdent aux contorsions les plus délirantes, tout cela fait un boucan pas possible, il y a aussi de la musique (outre la b.o., un guitariste fou juché sur un mur d’enceintes roulant balance du heavy metal à 1 km alentour). Tous ceux qui entrent dans la salle pour voir un show qui dépote en ont pour leur fric.

Malgré tout, il est assez frappant d’observer, sur le web et ailleurs, le consensus bienveillant qui consiste à porter Miller aux nues pour sa seule maîtrise — indiscutable — des scènes d’action. Car sinon, contrairement à Mel Gibson dans son superbe trip précolombien, Miller ne fait pas preuve de beaucoup d’ambition du point de vue de l’écriture. Non pas que l’univers post-apocalyptique qu’il a créé soit intrinsèquement pauvre, mais parce que maints aspects du scénario sont étonnamment sous-exploités. Fury Road brosse beaucoup trop vite le portrait de la société du « monde d’après », les personnages manquent de chair : que sait-on d’Immortan Joe, de Furiosa, pourtant personnages au premier plan ? Rien de rien, il faut nous contenter de leurs silhouettes hautes en couleur, de l’investissement des comédiens (très impliqués, c’est vrai), tout comme il faut composer avec la frustration de décors tout juste évoqués (la ville de Gas-Town) ou à peine traversés (l’épisode des marais putrides, parcourus par d’horribles personnages sur échasses, dure à peine quelques plans alors qu’on s’attend à un passage riche en péripéties et en découvertes). Enfin et surtout, le personnage de Max lui-même, sacrifié par Miller au profit de Furiosa (Charlize Theron, impressionnante, tire toute la couverture à elle), est campé par un comédien inexpressif, avec une poignée de répliques à défendre sur les deux heures que dure le métrage.

Quelques jours après la sortie mondiale de ce quatrième volet, George Miller a annoncé que le scénario d’un cinquième film était déjà écrit, prêt à être storyboardé, et on peut parier que le bonhomme a bien en tête de signer une seconde trilogie. Peut-être, une fois que ce nouveau triptyque sera bouclé, pourra-t-on prendre la pleine mesure du travail du réalisateur australien. En l’état, l’objet que nous avons sous les yeux est, d’un point de vue dramaturgique, bien trop pauvre pour convaincre. Miller a déployé un incroyable bestiaire (humain et mécanique) devant sa caméra, il doit maintenant donner une bonne histoire à vivre à ses personnages.

Sorti dans les salles le 14 mai 2015.