La science-fiction se donne souvent pour mission de préfigurer, en visant un maximum de perspicacité, ce que l’avenir nous réserve. Parfois elle y réussit, et parfois non. Ainsi, par exemple, le grand Arthur C. Clarke, dans 2010 : Odyssée deux (1982), imaginait une collaboration entre astronautes américains et soviétiques à la faveur d’un voyage au long cours jusqu’à Jupiter, à l’aube du 21ème siècle (le film de 1985 de Peter Hyams adaptant le roman reprenait naturellement la même idée). Il va sans dire que l’Histoire a déjoué cette prospective. L’URSS n’est plus qu’un souvenir et, en 2019, nous sommes encore loin d’aller nous promener du côté de la géante gazeuse, pas plus que nous ne pouvons envoyer un équipage fouler le sol martien, pourtant beaucoup plus proche.

Parfaitement à même de faire ce genre de constat, l’ex-journaliste américain David Pedreira signe Gunpowder Moon, un premier roman soucieux du plus grand réalisme et qui se situe en 2072, époque où le champ d’action des astronautes se limite principalement à la lune. Notre satellite est désormais un territoire habité, non pas par une société familiale de colons mais par des équipes de mineurs y exploitant les ressources d’hélium 3 (un isotope très recherché mais rare sur Terre alors qu’il est surabondant sur la lune). Plusieurs nations se partagent le sous-sol sélénite : les États-Unis et la Chine, surtout, ainsi que la Russie, l’Inde et le Brésil (eh oui, l’Union européenne, si tant est qu’elle existe encore, est bel et bien sur la touche !). Le roman nous fait pénétrer dans la base minière « Mer de la Sérénité 1 », installation américaine dirigée par un ancien US marine, Caden Dechert, à la tête d’une petite équipe de techniciens nettement moins âgés que lui. Un jour, l’un d’entre eux trouve la mort dans une explosion de véhicule lunaire. Le drame n’a rien d’un accident : c’est une bombe à retardement qui a coûté la vie au jeune type, Cole, un amateur de sports de glisse qui avait l’affection de tous dans la station…

Comme The Thing de John Carpenter ou The Abyss de James Cameron, l’histoire met en scène une équipe isolée de travailleurs solidaires et habitués à un mode de vie spartiate : la lune n’est pas un camp de vacances, et la vie en micro-pesanteur n’améliore en rien, bien au contraire, le confort rudimentaire de la base minière. Pedreira dépeint avec force détails les nombreuses contraintes à accepter lorsqu’on honore un contrat de travail à 400.000 kilomètres de la planète-mère, et l’existence pénible des hommes (et de Lane, l’unique femme de la bande, dotée d’un fort caractère) se complique lorsque survient cet épisode improbable d’un assassinat sur le sol lunaire. Les héros se retrouvent vite au piège d’un engrenage qui, a priori, les dépasse : l’attentat a pu être fomenté par la Chine, une nation encline à provoquer une guerre pour s’approprier des territoires de forage supplémentaires. Un commissaire est dépêché sur les lieux pour mener l’enquête, accompagné de militaires qui pourraient bien engager une action armée. Mais le responsable de la station, Dechert, ne croit pas à ce scénario. Ayant vécu les horreurs des champs de bataille durant son passé dans le corps des Marines, il ne poursuit qu’un but : éviter la guerre à tout prix en découvrant avec l’aide de son équipe l’identité réelle de l’auteur du crime.

Le récit est fait à la troisième personne, pourtant nous sommes bien en focalisation interne dans la tête de l’ex-soldat Dechert, un rude gaillard qui ne se juge pas d’une intelligence remarquable et néanmoins s’efforce de penser froidement, méthodiquement, pour démêler le nœud de l’affaire. David Pedreira ne joue pas sur le terrain de l’émotion, il ne s’aventure qu’à peine dans le récit d’action. L’intrigue progresse surtout au gré des dialogues (parfois très techniques, même jargonnants — avis aux amateurs de « hard science ») et des questionnements intérieurs du héros qui échafaude une hypothèse après l’autre. Il est par conséquent difficile d’avancer que Gunpowder Moon va faire vibrer le lecteur : on a plutôt sous les yeux un roman solide, sans fioritures de style mais construit avec minutie et bien sûr non dénué de suspense (au fur et à mesure qu’ils s’acheminent vers la vérité, Dechert et les siens se mettent potentiellement en danger). Enfin Pedreira réussit à décrire, quelque cinquante ans avant l’heure, un contexte géopolitique (et environnemental) ainsi que des avancées technologiques qui paraissent, à ce jour, tout à fait plausibles. C’est là l’une des qualités majeures de son livre, et franchement, ce n’est pas rien.

En librairie depuis le 15 mai 2019.