Il fut assez rigolo, en janvier 2009, de voir Paul Solet monter sur la scène du seizième Festival de Gérardmer, où il venait présenter Grace, son premier long métrage. Le réalisateur américain apparut coiffé d’une casquette, les biceps moulés dans un t-shirt qui laissait à découvert des avant-bras bardés de tatouages. On se demandait bien ce qu’un loulou pareil avait pu commettre, lâché avec une caméra entre les pognes. Surprise : Grace fut l’œuvre la plus subtile de la sélection, de même qu’elle était, de façon viscérale, la plus éprouvante et la plus horrible.

Après plusieurs fausses couches, Madeline est finalement parvenue à vivre une grossesse sereine. L’accouchement est prévu dans trois semaines, mais un accident de la route prive tragiquement la future mère de son mari et de son bébé, qui meurt in utero. Bouleversée, elle décide malgré tout de porter l’enfant jusqu’à terme. Miracle : une fois dans les bras de sa maman, le petit corps s’anime, la petite Grace revient à la vie…

C’est l’amour pour son bébé et le besoin désespéré de le sentir vivre contre soi qui permettent à Madeline de ressusciter Grace. Pour Paul Solet, le lien unissant une mère à son enfant est donc l’un des plus forts qui soient, capable de vaincre la mort. Le cinéaste a puisé dans son propre vécu — ou plutôt dans celui de sa mère — pour rédiger son script : « À mes dix-huit ans, ma mère m’a révélé que j’avais eu une sœur jumelle morte in utero. Lorsqu’elle avait appris la perte du fœtus, chaque parcelle de son être s’était alors investie dans un unique objectif : protéger la santé de l’enfant restant. Dans ses mots transparaissait une volonté maternelle d’une force telle que le souvenir de ce moment ne m’a jamais quitté. »

Bien sûr, et qu’importe la pureté de l’amour maternel, ramener un défunt dans notre monde a un prix. Après quelques jours en compagnie du bébé, Madeline s’aperçoit que quelque chose ne va pas. Quelle est cette odeur qui s’est installée dans la petite chambre ? Pourquoi des mouches, de plus en plus nombreuses, tournent-elles autour du berceau ? Et pourquoi diable le bébé refuse-t-il le lait maternel ? Après une demi-heure de drame psychologique (où l’on aura aussi fait connaissance de la belle-famille de Madeline, notamment de sa belle-mère Vivian, ogresse possessive qui ne tourne pas très rond), le film bascule inexorablement dans l’horreur, s’inscrivant dans une assez longue lignée de titres où épouvante et maternité forment un terrible ménage (comme Le Monstre est vivant de Larry Cohen, avec son chérubin aux dents longues, ou Chromosome 3 et les horribles mioches imaginés par David Cronenberg).

Le sang va donc couler, et pas qu’un peu, mais toute l’originalité de Grace tient dans le travail de funambule réalisé par Paul Solet : si l’horreur graphique est bien présente, à aucun moment elle ne tombe dans le sensationnalisme et ne prend le pas sur la peinture du drame vécu par Madeline. La relation fusionnelle qui unit la mère à sa fille reste une heure trente durant le cœur du métrage, son véritable sujet. Vue dans plusieurs métrages versant pas mal dans l’hémoglobine (Cabin Fever et Hostel, chapitre 2 d’Eli Roth, Madhouse de William Butler ; on l’a aussi aperçue dans Death Proof de Tarantino), la comédienne Jordan Ladd livre une interprétation dense, émouvante, permettant au spectateur de s’identifier à la jeune mère malgré les actes terribles qu’elle va commettre par amour pour son bébé.

Dommage tout de même qu’un film aussi fort (et non dépourvu d’un humour savoureux lorsque Solet épingle les obsessions bobos liées à la bouffe végétalienne et bio) n’ait droit chez nous qu’à une sortie en plein cœur de l’été, où il va avoir beaucoup de mal à trouver des spectateurs réceptifs. Le Prix spécial du Jury décerné à Gérardmer pouvait laisser espérer un meilleur traitement. Si par chance Grace est projeté non loin de chez vous ou dans une salle à côté de votre plage préférée, ne faites pas l’erreur de le rater !

Sortie le 4 août 2010.