Nous avions rencontré Julien Maury et Alexandre Bustillo il y a quatre ans alors que leur premier long métrage, À l’intérieur, était édité en dvd, après un passage au Festival de Cannes et une sortie en salles remarquée. L’entretien fut publié à l’époque dans Khimaira, version magazine papier. Retrouvailles online à l’occasion de la sortie vidéo de Livide, leur second film.

KHIMAIRA : Livide devait au départ être tourné avec Elijah Wood entre l’Irlande et les États-Unis. Pour ma part, j’aime beaucoup qu’une histoire de vampire et de fantômes comme celle-ci se déroule dans un cadre français, cela ajoute à la singularité du film. Outre la langue, en quoi Livide aurait-il été différent tourné en anglais ?

Julien Maury & Alexandre Bustillo : Nous avons évidemment dû faire des changements pour « franciser » l’histoire, mais pas tant que ça. On utilise le folklore celte et il est très proche entre l’Irlande et la Bretagne. Le tournage aux USA n’influait pas sur l’histoire, il ne concernait que les intérieurs « maison » donc, que du studio. Les changements majeurs étaient en relation avec le budget : nous sommes passés de 8 millions de dollars à moins de 2 millions d’euros. On a donc resserré le récit, moins de lieux, moins de péripéties, moins d’effets spéciaux, etc… mais à l’arrivée, le film correspond totalement à ce que l’on avait en tête. On s’est attachés à ce qu’il ait vraiment de la tenue visuellement et à conserver le maximum d’action. Nous n’avons jamais regretté de ne pas l’avoir fait aux USA, parce que nous étions très heureux de pouvoir le tourner en Bretagne et dans notre langue, mais surtout parce que nous avons pu garder notre liberté artistique et un contrôle absolu sur le film ! Si nous l’avions fait avec Robert Rodriguez comme prévu, nous aurions dû par exemple renoncer à la fin telle qu’elle est actuellement. Les américains trouvaient ça « trop européen » et pensaient que les spectateurs ne comprendraient pas l’aspect poétique du film… mais au final, à la projection du film à Austin, au Texas (à quelques kilomètres des studios ou l’on devait tourner), les réactions ont été très bonnes, essentiellement parce que le film leur est apparu comme original et dépaysant…

À la fin du commentaire audio sur le dvd, vous vous qualifiez de « parias du cinéma français », constat qui m’a un peu surpris et, en tout cas, attristé. On sait les producteurs français peu enclins à investir dans le fantastique et l’épouvante, contrairement à leurs homologues américains. Cela n’est donc pas près de changer ?

Difficile à prédire mais en tout cas, en ce moment, c’est très compliqué ! Il y a toujours des investisseurs mais les producteurs sont de plus en plus rares et on les comprend car c’est un chemin de croix de monter ce genre de projet. Et souvent pour se retrouver en bout de course face aux exploitants, qui ne veulent pas jouer le jeu… Même faire des films sur le même modèle économique que nos deux premiers devient vraiment difficile, mais si on nous redonne la possibilité d’en faire un troisième, chez nous, exactement dans les mêmes conditions que Livide et À l’Intérieur, on signe immédiatement.

Livide représente un changement de style important par rapport à votre premier film. Vous faites par exemple un usage très poétique de symboles classiques tels que celui du papillon/psyché, qui représente l’âme.  Vous jouez même avec les homonymes lorsque l’un des personnages traverse une psyché pour se retrouver aux prises avec le trio de ballerines meurtrières. Après un trip aussi sanglant qu’À l’intérieur, aviez-vous à cœur de montrer d’autres facettes de votre sensibilité, de votre culture ?

C’est amusant que tu mentionnes la scène de la psyché parce que c’est précisément un moment qu’une partie de la critique n’a pas du tout compris ! Cela nous a énormément étonnés parce que cette incompréhension est venue notamment de gens travaillant pour des magazines spécialisés dans le genre et donc censés avoir un minimum de culture du fantastique… Or la traversée du miroir ne nous semble pas être une figure du fantastique extrêmement osée ou révolutionnaire, c’est même un classique popularisé auprès du grand public par Lewis Carroll ! Ceci étant dit, au delà de l’idée de montrer d’autres facettes de notre sensibilité, on avait surtout envie d’explorer d’autres univers. Le fantastique fait partie de notre culture et après À l’Intérieur, on n’avait pas forcément envie de refaire un film hardcore !

Inversement, vous vous amusez à donner des coups de coude aux fans d’horreur, quitte à glisser des détails incongrus comme l’enseigne de « l’agneau abattu ». Cet aspect du film est-il pour vous indispensable, comme des hommages que souhaitez rendre aux cinéastes qui vous ont marqués ?

Tu sais, avant d’être des réalisateurs, on est des fans de films d’horreur donc on est naturellement baignés de références, plus ou moins digérées ! Notre imaginaire est façonné et nourris par nos références et c’est un processus normal. Pour ce qui est des clins d’œil, c’est ce côté hommage d’humbles fan-boys qui ressort et aussi une idée qui nous plaît bien, qui est que les films évoluent plus ou moins dans une même réalité. Par exemple, lorsque Lucie trouve le diplôme de Jessel, on voit qu’elle a été formée à l’école de danse de Mater Suspiriorum (dans Suspiria de Dario Argento — NdR)… ça nous amuse de tisser ce genre de liens, plus ou moins discrets !

Dans Livide, le cinéma n’est pas la seule source d’influences, et la gestuelle saccadée de la ballerine vampire évoque pour moi les heures de jeu passées à croiser les infirmières-zombies de Silent Hill. Est-ce une référence consciente ?

Ce n’était pas du tout une référence consciente mais nous sommes des fans absolus de Silent Hill donc cela nous a forcément influencés… mais comme je le disais à l’instant, l’imaginaire n’est fait que d’influences ! Notre univers est fait de tout ce que l’on a aimé ou qui nous a marqués dans les films, les livres, les peintures, les chansons, les bandes dessinées, etc…

Le scénario de Livide suggère beaucoup de choses et évite de se montrer explicatif. D’où l’existence de « blancs ». C’est le cas, par exemple, du personnage de Catherine Wilson et du rôle qu’elle est venue à endosser vis-à-vis des deux vampires. On ne sait rien non plus des origines de ces derniers, et il n’est pas absurde de se demander comment une prof de danse de grande renommée a pu virer suceur de sang. Ce déficit d’informations est-il volontaire, est-il là pour ajouter au mystère, ou bien est-il parfois dû à l’absence de certaines scènes laissées de côté au montage ?

Non, tout est voulu dans le film ! Nous souhaitions mettre le spectateur dans la même position que nos protagonistes, sans lui donner trop d’avance. On est très souvent formatés par le cinéma américain qui sur-explique tout et ne laisse que peu de place à l’imaginaire. On aime, quant à nous, qu’il y ait une part du récit laissée à la libre interprétation, on préfère que les gens sortent de la vision du film en se posant des questions sur le sens de ce qu’ils viennent de voir, qu’ils confrontent leurs interprétations plutôt qu’ils se demandent juste ce qu’ils vont manger après… Ceci étant dit, pour Livide, l’histoire nous paraît très claire et nous pouvons absolument tout expliquer et justifier !

La mésaventure des héros est le résultat de plusieurs transgressions : Lucie passe outre l’interdiction de Wilson et rejoint l’infirmière dans la demeure de Deborah Jessel, puis la jeune fille et ses deux amis se rendent coupables d’une effraction. Du coup, le sort funeste qui les attend prend des allures de punition. Faut-il voir dans cet aspect du film des connotations morales ?

Non, pas du tout ! A aucun moment le film n’a vocation à être moralisateur, c’est un classique des films d’horreur que les héros transgressant les règles se retrouvent en fâcheuse situation ! Au contraire, c’est plus dans la volonté de les rendre humains, on est toujours stimulés par l’interdit et on est toujours tentés de passer outre… que celui qui n’a jamais eu envie d’aller visiter la nuit avec ses potes, la grande maison abandonnée à la sortie du village nous jette la première pierre !

Un plan de Livide suggère l’existence dans le manoir d’une pièce rouge. Vous y faites rapidement allusion dans le commentaire audio, révélant que ce plan, qui me fait immanquablement penser à Suspiria, est issu d’une scène coupée au montage. Pourriez-vous en dire un peu plus sur cette séquence ?

C’était juste une scène supplémentaire d’exploration de la maison par le trio. Ils trouvent ce petit cabinet de toilette étrange et en fouillent tous les recoins. La scène était redondante et ralentissait le rythme de la progression. Son intérêt résidait dans le fait qu’elle était baignée de lumière rouge, comme un laboratoire de développement photo mais également dotée d’une fenêtre en forme de hublot, laissant passer un rayon de lune bleuté. Cette ambiance apportait un sentiment d’étrangeté et la naissance d’un premier élément surnaturel.

Catherine Jacob a été motivée par la « scène de la baignoire » pour accepter de participer à Livide. Qu’a-t-elle pensé, au final, de la séquence tournée ? Qu’a-t-elle pensé du film, qui est radicalement différent de ce qu’elle a l’habitude de tourner ?

Catherine a beaucoup aimé le film ainsi que cette scène ! Ce personnage à contre-emploi lui plaisait énormément et elle a pris beaucoup de plaisir à jouer cette espèce de Reinfield au féminin (Spoiler !). Elle a aussi adoré se faire tuer, porter une prothèse, se prendre un coup de ciseaux et baigner dans une mare de sang ! Elle reviendrait au fantastique ou à l’horreur sans problème !

Rencontrez-vous en France beaucoup de comédiens qui aimeraient prendre part à des films d’épouvante ?

Presque tous les comédiens que l’on a rencontrés depuis À l’Intérieur se sont montrés extrêmement enthousiastes à l’idée de faire ce genre de films ! On ne leur en propose presque jamais, donc c’est forcément excitant et intriguant pour eux. De plus, jouer dans un film d’épouvante fait appel à des émotions fortes, viscérales, qu’ils n’ont pas vraiment l’occasion d’exprimer dans le cinéma dit « traditionnel ». Tous les comédiens avec lesquels nous avons travaillés nous ont confié avoir adoré retrouver des sensations de jeux proches de celles qui les ont poussés à faire ce métier ! Une des premières choses à laquelle on joue étant enfant, c’est à mourir…

Les origines littéraires du scénario m’ont surpris et éveillé chez moi des souvenirs des cours de français de classe de cinquième. Devez-vous aussi votre lecture du roman de Clavel à votre passage au collège ? Livide est, cela dit, comme À l’intérieur, un scénario original dont vous êtes les auteurs. Avez-vous déjà envisagé de tourner un scénario écrit par une tierce personne, ou alors une adaptation de roman ?

Non, nous n’avons pas étudié Malataverne au collège mais pour ce qui est des scénarios, nous avons toujours été ouvert à toutes les propositions, le problème est qu’il n’y en a pas en France… On ne nous a presque jamais proposé de réaliser le script d’un scénariste, donc on fait le boulot nous-mêmes ! Aux Etats-Unis, par contre, le système est complètement différent et on a même déjà accepté de réaliser un scénario d’un autre mais le projet n’a pas abouti. Il y a également un de nos projets-fétiches, que l’on rêve de faire un jour, qui est l’adaptation d’un roman mais pour l’instant, les droits ne sont pas libres.

Nous nous sommes rencontrés il y a quatre ans au Festival de Gérardmer. À l’époque, vous aviez l’ambition de tourner un thriller intitulé Neiges. Qu’est-il advenu de ce projet ?

Eh bien, nous l’avons développé pendant presque deux ans à La Petite Reine, mais cela n’a pas pu aboutir pour des raisons de financement. Il a ensuite été racheté par une autre société de production mais cela n’a pas pu se faire non plus. Aujourd’hui, il est revenu dans nos tiroirs et comme nous savons que rien n’est jamais joué dans ce métier, il n’est pas impossible qu’il renaisse de ses cendres un de ces jours ! En tout cas, on y croit parce qu’on adore ce script et son potentiel est toujours intact !

Après À l’intérieur et Livide, quels sont les projets de votre duo ? Allez-vous continuer à travailler ensemble ?

Oui, bien sûr ! On n’envisage pas de faire ce métier seul. Non seulement on est plus efficaces et plus forts ensemble, mais quel plaisir de pouvoir partager les émotions que procure ce métier avec son meilleur ami ! Pour ce qui est des projets, il est encore un peu tôt pour en parler mais nous avons plusieurs scénarios que nous développons ici, en France, et nous continuons à lire des scripts américains…

Remerciements à Stéphane Ribola et Lucile Murot