Sortie dans les cinémas américains le 21 septembre, cette nouvelle adaptation à l’écran du comic Judge Dredd arrive en France directement en dvd. La question à 50 millions de dollars (le budget du film) : pourquoi Dredd se voit-il refuser chez nous le droit à une exploitation en salles ? On a pourtant sous les yeux un blockbuster de S.F. super efficace, tourné en 3D et qui s’efforce de coller à l’esprit de la B.D. d’origine, contrairement à la version lourdingue de 1995 avec Sylvester Stallone.

Le film de Pete Travis nous parachute aux États-Unis dans un futur indéterminé. Le pays n’est plus qu’un vaste désert irradié à l’exception de Mega-City One, ville-état gigantesque où s’entassent 800 millions de personnes. Une vraie cocotte-minute qui aurait pété depuis longtemps sans l’instauration d’une force de répression policière inédite, les « Juges », à la fois flics, juges, jurés et bourreaux. Les Juges mettent en application une justice de paix expéditive où la voix de la loi s’exprime par les canons bouillants des guns. Un Juge personnifie à lui seul ce système, Joseph Dredd, monolithe raide comme un I et dont la mâchoire ne se décrispe que pour signifier aux malfrats, juste avant de les dégommer, qu’ils tombent sous le coup de la peine capitale. Dredd se voit adjoindre une bleue, le Juge Anderson, jeune recrue qui a la particularité d’être médium (un talent fruit d’une mutation génétique due aux radiations). La première mission du binôme consiste à se rendre à Peach Tree, une tour géante au pied de laquelle trois corps viennent d’embrasser le bitume après une chute vertigineuse de deux cents étages. Sitôt dans la place, Dredd et Anderson sont pris au piège : le building est tenu tout entier par le gang de Madeline « Ma-Ma » Madrigal, baronne de la drogue, pourvoyeuse d’un tout nouveau narcotique, le « slo-mo ». Ma-Ma verrouille toutes les issues et somme à la population de la tour de se débarrasser des deux Juges…

La réponse à ma question initiale se trouve sans doute dans ce pitch qui accuse un monstrueux air de déjà-vu pour peu qu’on ait vu The Raid, actioner indonésien signé Gareth Evans et sorti dans les salles françaises en juin dernier. Contexte futuriste mis à part, le film d’Evans raconte exactement la même histoire que celui de Travis. D’où cette nouvelle question, inévitable : qui a pompé qui ? Dredd arrivant chez nous bien après The Raid, on est tenté de défendre David contre Goliath et de vouer la superprod hollywoodienne aux gémonies. Oui, mais… Il faut savoir que le scénario de ce Dredd a suivi un long processus d’écriture. La version finale du script a été bouclée en 2008 et fut indélicatement divulguée en ligne deux ans plus tard, peu avant le début du tournage, en novembre 2010. Des éléments qui ne plaident pas en faveur de Gareth Evans, qui entama les premières prises de vues de The Raid au printemps 2011… Signalons enfin que l’auteur de Dredd n’est autre que l’archi-connu Alex Garland (La Plage, 28 Jours plus tard, Sunshine), romancier et scénariste qu’on imagine mal en voleur d’idées dans les studios de Jakarta.

Ces pendules remises à l’heure, on peut sans arrière-pensée suivre d’un œil gourmand les péripéties de Dredd, d’autant que ces aventures filmées du « Judge » sont exemptes du caractère primaire et machiste de The Raid (dont le casting 100% mâles et les bastons à rallonge réglées par des Noureev de la choré martiale dégageaient de sales effluves de sueur de slip). Garland a au contraire choisi de raconter son récit du point de vue d’un Candide féminin, la « rookie » Anderson (jouée par Olivia Thirlby — qu’elle est jolie !). Anderson colle aux basques de Dredd à la recherche de Ma-Ma, l’autre femme forte de l’histoire, campée avec un peu moins de réussite par Lena Headey : l’actrice ne parvient pas vraiment à inspirer la crainte qu’est censé susciter son personnage, et elle me hérisse bien plus le poil quand elle prête ses traits à la perfide et incestueuse Cersei Lannister dans Game of Thrones. Quant à Karl Urban, il interprète un Dredd autrement plus convaincant que Stallone il y a dix-sept ans, ne serait-ce que parce qu’à l’inverse de « Sly », l’acteur n’a pas rechigné à cacher son visage pendant tout le métrage, le Juge n’enlevant jamais son casque. C’est une caractéristique inhérente au modèle dessiné, et elle a une importance cruciale (comprenez que l’humain s’efface derrière sa fonction de néo-policier).

L’aventure des deux Juges n’est pas exempte de raccourcis bien commodes (les pouvoirs de médium d’Anderson viennent trop souvent débloquer des situations dans l’impasse), mais la mise en scène de Pete Travis assure le spectacle, dans les scènes de « shooting » (ça blaste !) comme dans celles de… shoot (ça plane !). Le crack « slo-mo » — pour « slow motion » — concocté par Ma-Ma est une drogue qui altère la perception du mouvement, faisant défiler la réalité comme si elle était ralentie à 99% (les plans « slo-mo » ont été tournés au moyen d’une caméra Phantom filmant à 2500 images/seconde). Des séquences où le temps semble suspendu, contrastant agréablement avec les bouffées de violence du métrage. De ce point de vue, Dredd n’est d’ailleurs pas aussi féroce et cru que RoboCop de Verhoeven, par exemple (film auquel le dialogue fait un clin d’œil le temps d’une réplique, à vous de trouver laquelle !), mais le parti pris de Travis de ne pas reculer devant certains excès sanglants a de quoi satisfaire plus d’un « goreux ». Bref, ce Dredd 2012 est une belle réussite, et on n’espère qu’une chose, que le quatuor Garland, Travis, Urban et Thirlby se reforme à la faveur d’un deuxième, et voire d’un troisième long métrage, histoire d’emballer une trilogie qui viendrait occuper une place de choix sur l’étagère S.F. de nos dvd-thèques…

Dvd, blu-ray et blu-ray 3D seront disponibles à partir du 11 février 2013 (Metropolitan).