Depuis la légende du Minotaure, peu d’endroits fabuleux occupent une place aussi importante dans notre imaginaire que celle du labyrinthe. À l’état naturel, les dédales existent bel et bien, ils s’explorent sous terre, dans les cavernes où les spéléos allument leurs torches frontales (et, au cinéma, l’horreur est parfois au rendez-vous, rappelons-nous le terrifiant The Descent de Neil Marshall). Sinon le piège géant sous forme d’allées, de couloirs et de culs-de-sacs n’a de réalité que dans les histoires. À l’écran, le lieu dans sa dimension légendaire est le décor essentiel de Labyrinthe de Jim Henson, peuplé de créatures fantastiques (dont David Bowie). Le foisonnant Pays des Merveilles d’Alice et de Lewis Caroll (et de Disney) est aussi arpenté par d’étranges habitants, mais c’est surtout un réseau complexe de symboles que la psychanalyse a identifié comme une métaphore des méandres de la libido féminine. Le parcours d’Alice est initiatique, tout comme celui de la jeune Ofelia, découvreuse de l’extraordinaire Labyrinthe de Pan filmé par Guillermo del Toro, et ceux de bien d’autres héros trouvant peu à peu leur chemin dans une géographie embrouillée. Le caractère ludique du labyrinthe, enfin, est exploré à fond dans Cube de Vincenzo Natali, et ajoutons que le dédale, parfois, se limite à une pièce close d’où des protagonistes privés de repères tentent de sortir en cheminant dans un entrelacs complexe d’états psychologiques. C’est le cas de Saw de James Wan et de Cinq personnages en quête d’une sortie, épisode culte de La Quatrième Dimension diffusé en 1961.

En 2017 arrive Dave Made a Maze, au titre porteur d’une assonance rigolote. La touche phonétique loufoque annonce la tonalité de cette comédie à l’argument original : de retour dans son appartement après une absence d’un week-end, Annie tombe sur un assemblage bizarre de cartons. Un ouvrage réalisé par le Dave du titre qui, d’une voix étouffée, s’adresse à sa jolie fiancée à travers les parois de la construction. Il la prévient : surtout ne viens pas me rejoindre, je me suis perdu. En précisant que, vu du salon, le labyrinthe — car c’en est un — paraît beaucoup moins grand qu’il n’est en réalité à l’intérieur.

Le postulat de départ absurde impose de ne pas prendre l’intrigue au pied de la lettre. Fatalement, Annie va rejoindre son amoureux dans le dédale, accompagnée de plusieurs amis : le meilleur pote de Dave, un couple de quadras, un réalisateur de documentaire avec preneur de son et caméraman. Une demi-douzaine de profils a priori divers mais pourtant très semblables : tous apparaissent comme des petits bourgeois un peu vains qui, malgré leur âge adulte, cherchent encore une direction à donner à leur existence. D’où cette équipée à valeur métaphorique dans un labyrinthe, créé par un garçon sympathique qui se veut artiste sans jamais avoir fait quoi que ce soit de significatif avec ses mains. Sauf le dédale de carton.

Ce projet d’un labyrinthe inédit a germé dans l’imagination de Bill Watterson (un homonyme de l’auteur de la B.D. Calvin & Hobbes), jusqu’ici acteur dans pas mal de séries télé et de courts métrages. Le néo-cinéaste a su s’entourer d’un staff de décorateurs experts dans le maniement de la colle, du scotch et des ciseaux. Le résultat de leurs efforts dépasse largement le niveau des travaux manuels de gamins d’école primaire armés des mêmes outils. La déambulation des personnages passe par de nombreuses pièces toutes différentes, le design de chacune est superbe, avec de nombreux éléments articulés, et nous ouvre les yeux sur la poésie de l’art du découpage. Les créations étaient du reste éphémères car, n’ayant que deux pièces à disposition sur le plateau, l’équipe a dû détruire son œuvre au fur et à mesure du tournage (toutes les quatre heures en moyenne !) afin de pouvoir assembler le décor des scènes suivantes.

J’aimerais pouvoir chanter jusqu’au bout les louanges de cette production indépendante, minuscule en termes de budget, mais le charme farfelu du design et quelques trouvailles comiques efficaces (voir la scène fendante où des poupées en carton remplacent les comédiens) ne suffisent pas à masquer une tare pas loin d’être rédhibitoire : avec sa gaucherie un peu trop systématique d’ « adulescent » portant Converse, le gentil héros Dave finit par taper sur les nerfs, mais ce n’est encore pas grand chose par comparaison avec les archétypes de hipsters/bobos qui l’entourent. Tous ont pour sale attitude de manier un humour pince-sans-rire pédant qui se voudrait décalé mais passe vite pour de l’arrogance. Gordon, le meilleur ami de Dave, avec son regard mi-clos d’intello blasé, se pose en vraie tête à baffes, et on peut en dire autant de Harry, le réalisateur de docus, incapable d’envisager les relations humaines autrement que comme matière à filmer. La suffisance crispante de ces protagonistes transpire dans la plupart des dialogues et finit par contaminer le film, qui paraît du coup très prétentieux et semble ne s’adresser qu’à des spectateurs qui correspondraient eux-mêmes au profil des personnages. Et passé l’heure de projo, hélas on décroche, d’autant que le scénario, dans sa dernière partie, s’égare lui-même dans le labyrinthe et n’arrive pas à trouver de porte de sortie convaincante.

Tout de même, l’équipe de la déco et son grand œuvre cartonné valent bien la balade dans ce « Labyrinthe de Dave ». Le film fait la tournée des festivals. Si vous n’avez pas su vous rendre en Suisse en juillet à la dernière édition du NIFFF, ni au Festival de Strasbourg (projection cette semaine !), alors votre chemin est tout tracé : rendez-vous au PIFFF, à Paris, au cinéma Max Linder. Comme 68 Kill, Dave Made a Maze compte parmi les longs métrages d’ores et déjà annoncés dans la programmation. La septième édition du festival ouvrira ses portes du 5 au 10 décembre prochains.

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