Illustrateur bien connu des rôlistes, puis dessinateur de Sylféline, le talentueux et polyvalent Bruno Bellamy signe désormais ses propres scénarios. Il nous dévoile quelques facettes, perspectives et jeux de miroirs de son album fraîchement sorti: La Reine Sombre, premier volet de la trilogie Showergate.

Khimaira: Comment est né Showergate?


Bruno Bellamy
: Un peu par hasard –si une telle chose existe–, sur le web, et dans un restaurant à Paris. Je venais de créer une rubrique «croquis de la semaine» sur mon site et j’étais en train de discuter avec Moebius. Je parlais de mon envie de me remettre à la BD, et de ma frustration de ne pas y parvenir, faute d’idée valable. Et il m’a suggéré d’utiliser le prétexte de ce croquis de la semaine pour faire, au lieu de dessins sans rapport les uns avec les autres, une case de BD à chaque fois, et de les empiler, histoire de voir où ça me menait.
La formule, toute bête, et pourtant géniale –merci Moebius– a donné un début d’histoire plutôt bien accueilli par les visiteurs du site, une sorte de blog-BD bien avant l’heure –c’était en octobre 2001, le concept n’existait pas encore–, et même irrégulièrement, ça a bien avancé.
Finalement, Showergate est devenu une «vraie» BD, et ça m’a prouvé que l’improvisation peut être une bonne entrée en matière, à condition de l’exploiter ensuite avec méthode, et bien sûr, d’avoir de la chance.

K: C’est votre premier album en solo. Quelle impression cela fait de travailler sur tous les aspects de la BD, du scénario jusqu’à la mise en couleur?

BB: C’est terrifiant, et épuisant! Mais passionnant, en même temps. Quand je travaillais avec Bati, sur Sylfeline, et d’autres projets qui n’ont pas vu le jour, je lui déléguais une partie du boulot, et je pense que c’est une bonne formule pour débuter. Mais après j’ai voulu apprendre le restant du métier, et je crois qu’il n’y a pas de meilleur moyen que de s’y mettre. Ce n’est pas forcément la solution idéale, mais ça me convient très bien pour l’instant, et j’espère bien continuer à écrire mes propres scénarios.

K: D’un point de vue technique, quelles sont les particularités de Showergate? Quelles difficultés avez-vous rencontré?

BB: Jusqu’ici, je m’étais surtout contenté de faire des petites nanas sur fond blanc –je résume, mais c’est un peu ça– j’ai envie de dire que quasiment TOUT a présenté des difficultés techniques, mais je crois que c’est comme dans la vie: on n’arrive à rien de satisfaisant sans relever des défis, sans s’imposer des contraintes, sans faire des efforts. Mais j’ai eu beaucoup de chance parce que plein de bonnes fées se sont penchées sur le berceau de cette BD: Moebius, Caza, Vatine, et j’en passe… Du coup, avec de bons conseils par ci, un peu de chance par là, pas mal de temps et d’obstination, eh bien j’ai appris sur le tas des techniques pour le scénario, pour la mise en scène, pour tout faire tenir dans 46 pages, faire le story-board, la couleur… Je pense qu’il y a encore beaucoup d’efforts à faire, mais bon, par exemple, j’ai fait des décors quand même assez sophistiqués par rapport à ce dont j’avais l’habitude.
On verra ce qu’en pensent les gens, mais moi je suis sacrément content d’avoir eu l’opportunité de me botter les fesses pour accomplir ce boulot. Et c’est ça qui compte, au final: faire de son mieux.

K: Ludivine, l’héroïne de la série, est-elle une bellaminette ou un nouveau type de personnage?

BB: Mon ambition, dans mon travail d’illustrateur, a toujours été de ne pas faire de pin-ups, mais bon, ce n’est qu’une ambition, ça ne veut pas dire que j’y sois toujours parvenu, hein. Je trouve très important d’évoquer l’érotisme, la sensualité, dans mon boulot, mais je ne veux pas le faire sans y incorporer quelque chose de subtil, de léger, de positif. L’idée à l’origine des bellaminettes, c’était de combler le vide dramatique qui semble exister dans notre culture entre une imagerie qui parle au cul, et un imaginaire qui parle au cœur, un « pont » qui, selon certains, existe depuis longtemps dans le manga, sous la forme de séries qui présentent une forme d’érotisme adaptée au lectorat adolescent, et continue, dans une large mesure, à faire défaut dans la BD dite « franco-belge ». Donc l’érotisme, oui, mais avec de la tendresse, avec du mystère, avec de la vie. En tout cas, c’est ce que j’essaye de faire, et jusqu’ici, d’après les réactions de mon lectorat dans la presse et des visiteurs de mes sites, ça semble fonctionner. Une chose qui me semble symptomatique, c’est que les bellaminettes ont, apparemment, toujours été très appréciées du public féminin.
L’étape suivante, c’est évidemment de donner à ces personnages un «petit supplément d’âme» en leur donnant l’opportunité de vivre, de réagir, de s’exprimer. Une troisième dimension, si l’on peut dire, tout en restant sur le papier. Mais il ne fallait pas non plus faire une BD qui ne serait finalement qu’un prétexte pour montrer une même bellaminette sous différents angles, ou lui donner la parole. Je voulais aller vraiment au-delà de ça, et faire une histoire qui a du sens, qui a une bonne raison d’exister, et surtout d’exister en BD.
Donc, Ludivine, l’héroïne de Showergate, est bien une bellaminette, et c’est tout aussi vrai des personnages de Miranda et Ershkee Gale. Elle a ce côté gentiment érotique propre à mes personnages, ou disons coquin, parce qu’au fond, même si j’ai l’air de philosopher quand je parle de mon œuvre, tout ça n’est pas non plus à prendre trop au sérieux. Ce n’est pas pour rien que le nom de mon personnage est construit sur une racine latine qui signifie «joueuse».
Le truc nouveau, c’est en quelque sorte, la possibilité de faire passer une bellaminette du statut de mannequin à celui d’actrice: alors voilà, elle parle et elle marche!
Mais pour moi, les bellaminettes ont toujours eu quelque chose à dire, et à faire, donc ça n’est pas si nouveau que ça. Simplement, la BD leur donne l’opportunité de le faire.
Maintenant, est-ce que cette série sera perçue comme un prétexte pour mettre en scène des filles à poil, ou est-ce qu’elle pourra être considérée comme un vrai récit à la fois sensuel et porteur de sens? Disons que moi, je fais de mon mieux, mais ce sera aux lecteurs et lectrices de décider.

K: Les bestioles en peluche semblent être une constante dans votre œuvre…

BB: C’est rigolo à dessiner. Et puis c’est plus fort que moi: j’aime les trucs roudoudous.

K: Quelles sont vos références en matière de SF, de fantastique et de Fantasy?

BB: J’ai dévoré d’innombrables romans de SF quand j’étais ado, et ça serait dur d’y faire le tri, même si c’est sans doute Philip Dick qui m’a le plus impressionné. Mais je mettrais peut-être aussi Robert Heinlein dans mes favoris, et puis bien sûr pas mal de références cinématographiques : Alien, Dark Crystal, Star Wars, Matrix, Blade Runner

K: Et vos BD et mangas de références?

BB: L’œuvre de Moebius, évidemment, mais aussi Valérian, agent spatio-temporel, Nausicäa, Ah! My Goddess, et j’en passe…

K: Pouvez-vous nous faire part de vos projets, même les plus insensés?

BB: Je crois que le plus insensé de tous mes projets, c’est de faire enfin ce que je rêvais de faire depuis 20 ans, sauf que j’ai bossé comme illustrateur « en attendant », et qu’au lieu d’être provisoire ça s’est éternisé. Etre auteur de BD à plein temps, et c’est tout.
Le truc marrant, c’est aussi que je me sentais incapable de démarrer un vrai projet BD parce que je n’arrivais pas à goupiller de scénario convenable. Et depuis Showergate, je ponds de nouveaux scénarios sans arrêt, et il est clair que même en éliminant les projets les moins intéressants, je ne pourrai jamais dessiner tout ça moi-même. Donc, qui sait? Il se pourrait bien qu’un jour, j’écrive des histoires qui seront dessinées et mises en couleurs par d’autres.