Blackwing, troisième tome. Où l’on renoue, bien sûr, avec la haute silhouette de Ryhalt Galharrow, capitaine des Ailes noires de la cité de Valengrad. Le temps a passé depuis les événements du Cri du corbeau, l’épisode précédent, exactement six ans, une parenthèse que Galharrow a vécue en exilé volontaire au cœur de la funeste Désolation, zone quasi stérile et irradiée où le temps et l’espace ne sont que des données relatives. L’existence dans cet environnement hostile, où pullulent toutes sortes d’aberrations génétiques, a profondément changé le héros. Infecté par la noire magie de cet univers de cauchemar, Galharrow n’est plus vraiment de notre espèce : ainsi qu’il le répète à maintes reprises, il ne fait plus qu’un avec la Désolation, il est plus résistant, plus fort, beaucoup plus inquiétant aussi aux yeux des humains qui croisent son regard à l’occasion de ses rares et brefs retours dans la civilisation. Pourquoi le héros s’est-il infligé cet isolement qui a fait de lui un mutant ? C’est dans les ultimes pages seulement que La Chute du corbeau apportera une réponse à cette question…

Lecteurs des deux premiers volumes, vous êtes en terrain connu : même si le personnage-narrateur s’est métamorphosé, il reste fidèle à lui-même lorsqu’il partage avec nous ses réflexions toujours acides sur le monde et les relations humaines. Le discours sans langue de bois du gaillard vient régulièrement ajouter une pointe de sel dans la peinture du monde de fantasy « adulte » élaboré par Ed McDonald et, parmi les péripéties les plus croustillantes, on relève aussi quelques passages, résolument masochistes, dans lesquels Galharrow s’inflige des épreuves gustatives mémorables où il consomme littéralement les « fruits » horribles de la Désolation. L’auteur ne manque pas non plus d’imagination pour inventer de nouvelles plaies, c’est-à-dire de nouveaux monstres tous terrifiants à divers égards, le plus horrible étant l’épouvantable Shantar, que je vous laisse découvrir si vous vous plongez à votre tour dans la lecture.

Cela dit, malgré toute la sympathie qu’on éprouve pour Galharrow et tout le plaisir qu’on a eu à dévorer les deux premiers romans, ce troisième livre peine tout de même à captiver tout du long. À la différence, par exemple, d’auteurs à la plume généreuse comme Nicholas Eames (Wyld) ou le Français Pierre Pevel, auteur de la riche saga Haut-Royaume (à laquelle cette Chute du corbeau fait plusieurs fois penser), McDonald a construit un édifice romanesque très cohérent et en même temps très cérébral, pour ne pas dire aride. Galharrow et ses compagnons endurent mille épreuves, pourtant il n’est pas évident, cette fois, de se sentir intimement concerné par leurs tourments. La faute aussi, sans aucun doute, à des enjeux dramatiques qui n’ont guère évolué depuis le tome premier (les « Rois des profondeurs » sont toujours les méchants de l’histoire, avides de pouvoir sur les minuscules humains). La Chute du corbeau s’achève par une conclusion en bonne et due forme et sans ambiguïté : c’en est fini des aventures des Ailes noires, adieu Ryhalt Gallharrow. On attend ce qu’Ed McDonald va ensuite nous proposer…