Depuis quelques années, le vampire semble avoir adopté un nouveau look. Passant de son éternelle cape noire lugosienne et de son sourire séducteur à la Christopher Lee à un look vestimentaire « jeune loup », blouson de cuir et lunettes noires tout en déclinant un étonnant mental fait de souffrances, de passion et de rires… Regards sur le vampire « moderne »

Tout le monde a encore en tête la merveilleuse interprétation que nous a donnée Gary Oldman dans le Dracula de Francis Ford Coppola. Cette énième adaptation cinématographique du roman de Bram Stoker respecte quasiment le récit originel. Malgré tout, la différence entre les deux œuvres est énorme. Pourquoi ? Parce-que notre ami Coppola a ajouté une scène, prologue à l’histoire, où l’on nous dévoile la raison du reniement à la foi du Prince Vlad/Comte Dracula: la perte de son aimée Elisabeta. Hors, quelle surprise de retrouver cette dernière en la personne de Mina, la copine de Jonathan Harker, quatre siècles après le suicide de sa première « enveloppe charnelle ». Coppola nous livre alors le récit de Stoker en ajoutant, deux ou trois scènettes où l’on retrouve le Comte et Mina, scènes imprégnées de romantisme. Une des scènes ajoutées est le dîner en tête-à-tête où le comte fait goûter à Mina la « fée verte », l’absinthe. Sous l’emprise de celle-ci, Mina se rappelle sa vie antérieure et se rend compte de la terrible et déchirante histoire de Dracula. Faut-il le rappeler, le premier Dracula est un Monstre, une créature répugnante venu nous envahir, une menace, un fléau et non pas un être blessé par la perte de son amour, retrouvant celui-ci des années (des siècles!), plus tard et confronté à l’incompréhension et l’intolérance humaines. Tout ceci pour amener la première et la plus énorme des différences entre le vampire du 19ème siècle, et même jusque dans les années 70 du nôtre et celui qui apparaît dans notre monde à partir des années 70. Le vampire passe de la figure du monstre véritable à celle de la créature romantique. Certes, certains prétendront que des récits antérieurs à Dracula font preuve de romantisme et appartiennent même au mouvement romantique. Ils auront raison. Du point de vue actuel des choses et de notre compréhension du mot romantique, un roman comme par exemple Carmilla de Sheridan Le Fanu, apparaît romantique. Pourtant il ne l’est pas. Carmilla est un démon qui veut la perte de son amie, elle ne l’aime pas. Et puis le mouvement artistique romantique ne revêt pas le sens qu’on donne aujourd’hui à ce terme, il s’agissait à l’époque d’un mouvement de libération de l’art contre l’emprisonnement classique et qui dans sa réaction abordait des thèmes comme la mort, l’amour sous un nouveau jour. Premier aspect du vampire, donc, le romantisme.

Deuxième changement: il parle. Il s’exprime, se défend, se confie comme dans Entretien avec un vampire où Louis raconte son histoire à un journaliste. Ce faisant, le vampire se rapproche de nous, l’altérité, autre caractéristique du vampire originel disparaît peu à peu pour faire place à un personnage, différent de par sa nature, mais qui garde de son origine humaine, la souffrance et les questions existentielles de Dieu, de la Mort, de l’Amour, de sa provenance. Un vampire surtout qui souffre de solitude et recherche des compagnons, une famille…La famille de vampire apparaît d’ailleurs et avec elle le vampire-enfant. Ce dernier exprime étonnamment la cruauté du vampire. Claudia d’Entretien ou Homer dans le film de Kathryn Bigelow, « Aux frontières de l’Aube » témoignent de cette intransigeance cruelle vis-à-vis de leurs victimes ou ennemis. S’entame alors tout le débat autour de l’innocence enfantine, emprunt de fragilité et l’image forte d’un être supérieur que revêt celle du vampire. Quoique l’on puisse dire ou montrer voir un enfant-vampire provoque chez tout individu un rapprochement humain de la figure du Saigneur de la Nuit. On imagine moins un enfant comme monstre qu’un adulte (et pourtant…). On le voit, le vampire fuit la solitude, se constitue une famille, érige des lois qui lui sont propres, se prend de passion pour d’autres êtres, se posent des questions sur son état, se confie… N’est-ce pas bien humain tout cela ?
Mais le sous-titre de l’article vous promettait du cuir et on y arrive. Cuir noir, latex, sado-masochisme, érotisme est la première dérive actuelle du mythe vampirique. On ne compte plus les œuvres érotisées. Superbe film parmi d’autres Les Prédateurs de Tony Scott (1983) avec Catherine Deneuve dans un rôle bien tenu, celui de la dernière descendante d’une race de vampires égyptiens qui essaye de trouver un moyen d’empêcher le dépérissement de son amant. Perdant celui-ci, elle jettera son dévolu sur Susan Sarandon…Ce qui nousvaudra quelques scènes érotiques… Mais ce n’est pas vraiment ces quelques scènes qui font pencher ce film dans la première catégorie « cuir ». C’est bien plutôt l’ambiance, l’atmosphère glauque, insane qui transcende le film. Il vaut vraiment le détour (Et en plus, y a David Bowie !). Bien plus hard, les romans de Gay Garton, « Extase sanglante »(1987), « Tapineuses vampires » (1991) où le monde du sexe est plus que cottoyé. Bref, le vampire se fait sexe et cuir. Enfin, dans ces figures érotisées du vampire n’oublions pas Vampirella, notre sexy extra-terrestre, échouée sur terre. Revêtue d’une très légère tenue (car chacun sait évidemment que les habitants de la planète Drakulon ont très chaud sur Terre…) elle mène un dur combat contre les forces du Mal.
Mais le cuir est aussi un symbole de rébellion et qui dit rébellion dit jeunesse. Dans cette deuxième catégorie « cuir », on voit apparaître des figures vampiriques excentriques, loufoques genre star de rock (Lestat le Vampire, Timmy Valentine de Vampire Junction…) ou encore des vampires « petites frappes » genre ceux entrevus dans Génération perdue

La génération collège des vampires est à son comble avec la série qui rencontre actuellement un succès phénoménal: Buffy contre les vampires. La série comporte des atouts certains: humour, vampires et autres monstres au maquillage particulièrement réussi, histoires qui sentent le « déjà-vu mais qu’on aime bien revoir » et surtout deux héros au charme époustouflant: Buffy (Sarah Michelle Gellar), la chasseresse, (Ah, ça, on aimerait bien parfois jouer les proies !) enfonçant son pieu dans ces vampires venus embêter ses amis (Euh, tout compte fait, ce genre de chasse nous plaît déjà moins…) et Angel (David Boreanaz). Angel est un vampire qui lutte contre sa nature. Durant les premiers épisodes de la série, on le voit apparaître mystérieusement lorsqu’un danger est imminent. Ce n’est que plus tard que « Angel » (sorte d’ange gardien) révèle sa nature démoniaque à laquelle il tente d’échapper. Vampire rebelle, on le sent attaché à Buffy, déchiré entre sa passion et sa nature qui le pousse à la soif du sang. C’est une figure très intéressante du vampire. Faisant oublier la vieille image du vampire incarnant le Mal absolu et que l’homme doit craindre (19ème siècle début 20ème), dépassant ce modèle de séduction, de force qui à l’origine humain peut être espéré rejoint (Lestat surtout figure ce type envié quelque part…), Angel montre un vampire qui ne désire plus l’être, condamnant cet état à sa monstruosité et reposant la question de ce qui est bien (l’homme) et de ce qui est mal (le vampire).

Dernière figure vampirique se cachant derrière des lunettes noires, Nicolas Cage dans Embrasse-Moi vampire de Robert Bierman (1989). Convaincu d’avoir été mordu par un vampire (mais peut être est-ce vrai…), notre héros, figure schizophrénique par excellence, en subit toute la transformation. Ce film nous montre combien les vampires peuvent être inscrits dans notre quotidien, jusqu’à convaincre de leur réalité, poussant ici Nicolas Cage à devenir un des leurs (même si ses dents ne sont que plastique acheté dans une sorte de magasin de farces et attrapes…). Le film peut être lu dans deux sens différents: le premier, est une histoire de vampires, le second, plus intéressant, est l’histoire d’un homme qui croit aux vampires. Cette deuxième lecture pose énormément de questions: l’influence de l’imaginaire sur la réalité, l’importance qu’a pris ces dernières décennies le mythe du vampire, l’influence de la littérature d’horreur et du cinéma, la fragilité d’esprit de l’homme et la folie de la société dans laquelle nous errons aujourd’hui (société surbookée, devenu presque irrespirable où nous évoluons presque aussi rapidement que les vampires, et où nous recherchons la liberté, ressentie comme issue, dont semble jouir ces sombres seigneurs…).
La fin d’un mythe ? Non, mais un changement certain. Le vampire s’humanise. On en rit. On en fait une figure pervertie qui le banalise. On l’habille de cuir et on le fait se promener en plein jour à l’abri de ces lunettes de soleil. Si la figure forte, mythique de Dracula semble s’être dissoute aujourd’hui, reste que le vampire s’est glissé dans notre quotidien, est présent dans tous les médias, devient même un compagnon pour nos enfants (Count Dracula et j’en passe…). Le vampire a même de par ses propres caractéristiques envahi nos campagnes publicitaires, telle cette pub Ray Ban qui vante le choix des lunettes qu’ont fait ces vampires qui grâce à cet achat ne brûleront pas sous le soleil. Toujours pour rester dans le domaine de la pub, véhicule privilégié de nos mythes, on se souvient de ce gardien de nuit engagé par Boursin et qui fait le bonheur de ses employeurs car il est le seul à ne pas dévorer leurs fromages, et pour cause: l’ail et le vampire ne font pas bon ménage !

Si nos médias aiment à utiliser le vampire dans tous ses états, reste qu’il y a quand même un danger à voir se dégrader progressivement le mythe. Heureusement pour nous, Anne Rice, Coppola, et d’autres encore veillent au grain et nous donnent l’occasion de temps à autre de rencontrer des figures fortes, même si elles ont quelques différences d’avec l’originale. Différences obligées pour correspondre à l’évolution de nos mœurs et aux besoins actuels. Même si le vampire a changé sa cape contre un blouson et des lunettes noirs, il reste au fond un vampire, incarnation d’Eros et de Thanatos, figure dichotomique du Bien et du Mal, porteur de toute la symbolique du sang et, malgré ce que certains en disent figure de religion (car même si le vampire a de moins en moins peur des accessoires religieux, cette évolution ne témoigne-t-elle pas aussi de notre nouveau rapport avec l’Eglise, moins d’artifices et plus de philosophie ?).

Mais restons certains que les vampires nous réservent d’autres surprises, alors, restez vigilants, Denn die Toten reiten schnell !