Les Chroniques de l’Antiquité Galactique, nouvelle collection chez Soleil, explorent un univers totalement créé par Valérie Mangin. Le Fléau des dieux , dessinée par Aleksa Gajic et scénarisé par Valérie Mangin, est la première série de cette nouvelle collection et nous projette dans un futur lointain où brille l’Orbis. Sorti en ce début d’année 2004,Le dernier Troyen s’inscrit lui aussi dans les Chroniques de l’Antiquité Galactique. Sur un scénario librement inspiré de l’Odyssée d’Homère et de l’Enéide de Virgile, Thierry Démarez dessine les origines légendaires de la Rome galactique. L’histoire est en effet antérieure au Fléau des Dieux et elle nous mène à Troie où « les hommes sont des jouets et les Dieux, des enfants cruels… » C’est dans ce contexte que Thierry Démarez nous expose tout son talent et fait du Dernier Troyen une très grande fresque futuriste et antique. Nous avions eu le plaisir de rencontrer l’auteur lors du Salon de l’Imaginaire de Nogent. Aujourd’hui, il se livre à Khimaira..
Khimaira: Comment avez-vous rencontré Valérie Mangin et comment est né Le Dernier Troyen?
Thierry Démarez: En fait , je connaissais Denis Bajram depuis de nombreuses années, depuis la grande époque des fanzines (Le goinfre, etc..), puis nous nous sommes perdus de vue. Le hasard a voulu que nous nous retrouvions dans un festival. Valérie l’accompagnait et nous avons très vite sympathisé. J’étais alors en quête d’un nouveau scénariste à ce moment là et le scénario du Dernier Troyen m’est parvenu peu de temps après…
K: Le Dernier Troyen relate l’origine de la Rome Antique. Il présente des légendes liées aux pères Refondateurs de Rome et aux dieux de l’empire. Etes-vous féru d’Histoire et amateur de légendes antiques? Qu’est-ce qui vous plaisait particulièrement dans ce scénario?
T.D: Avant même de rencontrer Valérie, j’avais l’intention de travailler sur un scénario à base historique. « Féru » est peut-être un terme un peu fort mais toute la grande période antérieure à la renaissance m’a toujours attiré. Le fait d’avoir concilié Antiquité et SF a été pour moi une aubaine: ça m’a permis de ne pas être trop dépendant de la documentation et de développer un univers imaginaire.
K: L’histoire démarre en trombe, pièce d’une scène de théâtre! Le lecteur est très vite projeté à Troie. Là aussi, certaines planches (la double planche p.38 et 39 par exemple) font penser à des décors de théâtre. Est-ce le fait d’avoir travailler à l’opéra et dans le théâtre qui vous a inspiré? Quelles sont les relations entre le dessin et le métier de peintre en décors?
T.D: Valérie avait commencé à écrire le scénario avant même qu’elle ne sache que je travaillais dans le théâtre, c’est elle qui a eu cette idée prémonitoire. Le seul point commun qu’il y aurait entre la BD et le décor, au niveau technique, c’est le dessin… Sinon, tout s’oppose: les méthodes de travail, l’ambiance de travail, le format d’ exécution, etc… Mais ces deux domaines sont pour moi complémentaires…
Ensuite, d’une manière plus générale, on peut y voir des analogies si l’on parle de la mise en scène, des costumes, du choix des décors, de l’ éclairage… Mais, au sein du théâtre, mon action est plus limitée, elle ne concerne que la partie décors: peinture, matiérages, patines, volumes…
K: En fait, de par vos différentes formations (Beaux-arts, école de maquettisme, peintre en décor), vous avez touché à différents métiers artistiques. Qu’est-ce qui vous plaît dans l’art en général et dans le dessin en particulier?
T.D: Il n’ est pas forcément évident d’expliquer pourquoi on aime telle chose plutôt qu’une autre, d’ autant plus que j’ ai toujours dessiné, ça ne m’a jamais quitté. Avec le temps, j’essaie de me défier en allant de plus en plus loin dans l’exigence, je me pardonnerais difficilement de faire moins bien que la fois précédente. J’essaie aussi de varier les plaisirs, c’est ce qui explique la diversité de mes activités. J’ai toujours sous la main une toile immense pour le décor, une toile plus modeste sur mon chevalet et une planche pour la BD.
K: Quelles recherches avez-vous effectuées pour projeter l’univers de Troie dans un monde futuriste? Sur quoi vous êtes-vous basé? (Films, livres, reportages, l’œuvre d’Homère…)?
T.D: La série est une adaptation de l’oeuvre de Virgile, il me fallait donc créer quelque chose de nouveau sans forcément tenir compte de ses écrits. Valérie a suffisamment bien rédigé le scénario pour que je le suive sans me soucier de l’oeuvre originale. J’ai commencé par m’immerger dans cet univers à travers les films, les vieux péplums mais rien ne remplacera les livres. Je suis abonné à trois bibliothèques et cette documentation me sert de base pour réaliser certains décors ou motifs architecturaux. Mais bien souvent, les piles de livres ouverts me servent plus à me créer un environnement qu’à autre chose…. La part de création y est beaucoup plus importante…
K: Et pour le physique des personnages d’Enée et de Créeuse? Sont-ils issus de votre imaginaire, proche de personnes réelles, basé sur des descriptions qu’il y aurait dans l’Enéide de Virgile…?
T.D: J’ai visualisé assez rapidement Enée et Créeuse à la lecture du synopsis, contrairement à d’autres personnages… Mais la version définitive n’est apparue qu’après la réalisation des trois premières planches. Je n’en étais pas satisfait, je les ai donc refaites. Hollywood a eu une autre vision d’ Enée à travers Steve Reeves, le « monsieur muscle » des années 50….
Je l’ai donc imaginé plus jeune et ses aventures vont être pour lui une sorte d’initiation, les expériences qu’il va vivre vont faire de lui un homme aguerri, suffisamment digne pour assurer la fondation du plus grand empire de l’univers… On peut dire qu’il a du pain sur la planche…
K: Pour cet album, Denis Bajram est assistant SF. En quoi cela consiste-t-il?
T.D: Denis est un peu le troisième oeil de la série. C’est lui qui a réalisé la maquette de la collection des « Chroniques de l’ Antiquité Galactique ». Son expérience et ses connaissances en matière de SF lui a permis de créer le design des vaisseaux. Je lui dois également les retouches numériques sur les éléments qui se rattachent au monde de la SF: lasers, écrans, etc… Je lui suis vraiment reconnaissant, c’est quelqu’un de très perfectionniste et de très professionnel, ça a été une chance de le retrouver!
K: On pourrait qualifier la série de Space Opéra, on y relate l’antiquité dans l’espace. Pour vous, ce mélange de SF et d’antiquité est-il une contrainte ou plutôt un défi?
T.D: C’est avant tout un plaisir, une histoire antique pure ne m’aurait peut-être pas autant comblé à cause de la contrainte documentaire. De plus, je n’ai pas une culture complètement orientée vers la SF mais le mélange des genres me convient tout à fait. Je pars d’une base concrète en y ajoutant une bonne part de création. Ensuite, tout est question de dosage… Je ne dois pas perdre de vue que c’est une histoire avant tout futuriste et que l’action se situe bien avant celle du « Fléau des Dieux »: par conséquent, il ne faut donc pas que la technologie soit trop avancée par rapport à l’autre série…
K: Les couleurs tirent souvent vers l’orangé, une couleur qui revient pour marquer une planète livrée à une guerre incessante entre Grecs et Troyens. Les couleurs tirent vers le bleu lorsque le récit se fait plus onirique (par exemple p.36 et 37, lors de la rencontre entre Enée et sa mère, Vénus). Utilisez-vous un code couleurs?
T.D: Au niveau des couleurs, mon approche reste assez conventionnelle: mes flammes ne sont pas encore bleues et mes cieux, pas encore verts. L’important était de créer un contraste entre le monde « terrestre », violent, et l’environnement de Vénus, plus posé. Ces codes de couleurs sont ancrés en nous, je n’ ai fait que les reproduire pour une plus grande fluidité dans la lecture.
K: Dans le premier tome du Dernier Troyen et dans le tome 4 du Fléau des Dieux, il y a un cahier de 8 pages intitulé « La Louve Romaine »qui revient sur les origine de la Rome spatiale. Vous travaillez-là avec Aleksa Gajic, on y voit d’ailleurs Attila et Flavia (cf. Le Fléau des Dieux). Pouvez-vous nous parler de ce cahier et de votre travail avec Aleksa?
T.D: Aleksa étant en Yougoslavie, Valérie a servi d’intermédiaire pour me montrer ses planches. J’ai attendu d’avoir ses versions couleurs pour pouvoir faire les miennes. Il est en effet plus facile pour moi de m’adapter car je colorise de façon traditionnelle sur des « bleus » alors que lui, il réalise tout en couleur directe: il a moins droit à l’erreur que moi!
Ce livret assure la transition entre les deux séries et marque la naissance d’une nouvelle collection avec des récits originaux et riches.
K: Suite à la parution de l’album, vous avez enchaîné plusieurs séances de dédicaces. Comment appréhendez-vous la rencontre avec le public?
T.D: J’ai déjà eu l’occasion, avant le Dernier Troyen, de rencontrer le public à travers les séances de dédicaces. La seule chose que j’appréhende, c’est de passer des heures dans le train pour arriver à destination. En fait, tous les gens que je rencontre sont arrivés à la série par l’intermédiaire du « Fléau de Dieux », l’album est encore jeune mais un bon accueil lui a été réservé.
K: Votre actualité et vos projets?
T.D: Toute mon attention est dirigée vers le tome 2, une couverture de livre, deux ou trois expositions de peintures sont programmées mais c’est à peu près tout dans l’ immédiat.