Dans les années 1960, Jerome Bixby, la plume de ce film, a marqué les fans de science-fiction en signant plusieurs épisodes de Star Trek, ainsi que le scénario de It’s a Good Life, épisode mémorable de La Quatrième Dimension dans lequel un garçonnet capricieux, doté de pouvoirs psychiques sans limite, réduit en esclavage son village et sa famille. Un pedrigree qui justifie qu’on s’intéresse de près à ce Man From Earth, tourné il y a déjà quatre ans et qui nous arrive seulement aujourd’hui, en dvd. La légende veut que Bixby ait mûri le script pendant de nombreuses années et qu’il en ait dicté les dernières lignes à son film Emerson en 1998, sur son lit de mort ! En furetant sur le Web anglophone, on tombe d’ailleurs sur cette déclaration de Brian Bixby, petit-fils du scénariste : « Mon grand-père a débuté l’écriture de The Man From Earth quand j’étais encore gamin. Je me souviens qu’à cette époque, il passait toutes ses journées à écrire. Et quand mon père et lui s’engageaient dans une conversation sur ce film, une lueur scintillait dans leurs yeux. J’ai vite compris qu’ils avaient en tête une histoire très particulière. »

John Oldman, professeur à l’université, décide à 35 ans de tout laisser tomber et quitte précipitamment son poste. Alors qu’il prépare son déménagement, ses amis et collègues lui rendent visite pour comprendre sa décision impromptue. John leur déclare alors qu’il est âgé de 14000 ans…

Un personnage potentiellement immortel témoin (et acteur) de l’histoire de l’humanité… Imaginez un peu ce qu’un pitch pareil aurait donné à l’écran si la production avait été initiée par une major hollywoodienne prête à engager des millions de dollars dans l’affaire. Le héros aurait exploré je ne sais combien de décors et rencontré autant d’illustres figures, entre champs de bataille et grandes découvertes… Sauf que l’ambition de Jerome Bixby n’était pas du tout d’aboutir à une sorte de Forrest Gump, version S.F. Doté d’un budget qu’on devine microscopique, The Man From Earth débute par une scène d’introduction à la réalisation étonnamment maladroite, jouée par des comédiens empruntés, où l’on surprend même une bourde de mise en scène digne d’un vidéaste du dimanche. Mais se laisser freiner par cette première impression serait une énorme erreur. Le film prend vite ses quartiers dans le salon du héros. Chacun se choisit un fauteuil confortable, on débouche une bouteille, les bûches vont bientôt crépiter dans l’âtre. Et, au fil de la conversation, la révélation arrive : «J’aurais pu naviguer avec Christophe Colomb si j’avais été d’un naturel plus aventureux, lâche John Oldman à ses amis. À l’époque, j’étais presque sûr que la terre était ronde, mais j’avais encore un peu peur d’atteindre un bord et de tomber. »

Sous les regards abasourdis de l’assemblée, John s’engage dans le récit de sa vie. Il serait donc né durant le mésolithique, autrement dit à l’âge des cavernes, et à 35 ans il a cessé de vieillir. Pourquoi 35 ? Une question légitime, mais qui restera sans réponse, ce qui ne sera pas le cas d’à peu près toutes les autres objections qu’on pourrait opposer à un récit aussi extravagant. Les amis de John sont des universitaires — psychologue, paléontologue… — qui ne sauraient prendre pareilles élucubrations pour argent comptant. Ils mettent les dires de leur ami à l’épreuve du raisonnement scientifique, le mitraillent de questions et de contre-arguments. Et John, qui n’a aucune preuve concrète à produire pour étayer ce qu’il avance, a bel et bien réponse à tout.

Accompagné par des seconds rôles épatants (parmi lesquels Tony Todd, en photo ci-dessus, interprète de Candyman et de toute une flopée de croquemitaines du cinéma d’horreur, cette fois dans un rôle des plus attachants), le comédien David Lee Smith apporte au personnage un charisme peu ordinaire. Son regard doux, son émotion contenue invitent sobrement les spectateurs à s’embarquer avec lui dans ce voyage à travers les siècles. Qu’importe qu’il s’agisse — peut-être — d’un imposteur ou d’un doux dingue lettré (on n’aura la réponse qu’à la toute fin), John inspire la confiance. Et si le film ne donne rien à voir de son périple de 14000 ans, les mots du personnage (appuyés par une bande originale discrète mais bien présente) suffisent à faire tourner nos caméras intérieures. Le film accomplit ainsi le prodige, à la manière d’un bon roman, de cueillir le spectateur par le verbe pour qu’il imagine sa propre mise en scène. Insolite, de bout en bout captivant, The Man From Earth est ainsi une œuvre de cinéma dédiée non pas à la gloire des images mais au pouvoir d’évocation des mots. Un parti pris rarissime qui vaut à lui seul qu’on se passionne. Quant à la portée philosophique, mystique, de l’histoire, elle laisse dans un état de torpeur rêveuse. Et s’il existait une personne qui aurait vécu assez longtemps pour détenir les réponses à toutes vos questions, et démystifier les mensonges et exagérations de l’Histoire, y compris religieuse… En 80 minutes d’une simple conversation entre amis, The Man From Earth suscite un fol espoir, forcément déçu, laissant planer quelques effluves de tristesse qui persistent bien au-delà du générique de fin.

Sortie en dvd et combo blu-ray + dvd le 4 juillet 2011 (Action et Communication).

Durée : 87′

Image : 1.85, 16/9 compatible 4/3

Son : anglais et français, 5.1

Sous-titres : français

Suppléments : aucun.