Sweeney Todd, le diabolique barbier de Fleet street (1) fait partie des films très attendus en 2008. Ce long métrage, qui bénéficie d’un battage médiatique impressionnant, est même présenté comme “l’un des meilleurs films de Tim Burton”(2), alors…!?!?!

La cuisinière, le vengeur, sa femme, leur fille et son bourreau
Benjamin Barker (Johnny Depp) revient à Londres après avoir été envoyé pendant quinze années en Australie comme forçat par le juge Turpin (Alan Rickman) qui avait des vues sur Lucy, la femme de l’exilé. Sous le pseudonyme de Sweeney Todd, l’homme avide de vengeance retourne à son ancienne adresse. Là, Mrs Lovett (3) (Helena Boham Carter) tient un magasin où elle fait “les pires tourtes à la viande de Londres”. Elle reconnait Benjamin et lui annonce que Lucy s’est empoisonnée et que sa fille, Johanna (Jayne Wisener), est devenue la pupille du juge félon. Sweeney décide alors de rouvrir sa boutique de barbier et prépare ses représailles. Très vite, les deux complices s’engagent dans une association macabre : il saigne ses clients pour qu’elle puisse confectionner ses tourtes à la viande…

De la légende urbaine à Broadway…
Issu d’une légende inspirée, dit-on, d’un fait divers survenu à l’aube du XIXe siècle à Londres, le mythe de Sweeney Todd a fait l’objet de plusieurs adaptations télévisuelles et cinématographiques durant ces quatre-vingt dernières années, mais c’est le théâtre qui en tira le plus grand profit. En 1973, le dramaturge Christopher Bond adaptata de l’histoire déjà dramatisée par George Dibden Pitt en 1847. Cette nouvelle version fit l’objet d’une mise en musique et en paroles par la légende vivante de la comédie musicale américaine Stephen Sondheim (West Side Story, Gypsy, Follies, Assassins,…) avec un livret de Hugh Wheeler. La première production de ce thriller musical en 1979 vit les deux légendaires Angela Lansbury et Len Cariou interpréter le couple principal Mrs Lovett et Sweeney Todd. Le succès fut tel qu’un bon nombre de revivals virent le jour à Broadway et dans le West End, notamment celui de 2005, interprété entre autres par Patti LuPone (Ugly Betty) et Michael Cerveris, dont la particularité résidait dans le fait qu’aucun orchestre ne se trouvait en fosse; les interprètes jouaient eux-même d’un instrument sur scène. Dès lors, la pièce est devenue un véritable hit.

…puis Hollywood
En 2004, Tim Burton décide d’adapter l’œuvre de Sondheim. Avec Sweeney…, le réalisateur américain n’a décidément pas envie de se laisser enfermer dans une case précise du genre fantastique. Après la comédie, le conte, l’animation, la science-fiction, et l’horreur, voici qu’il s’attaque au gore et au musical qu’il avait déjà un peu touché avec notamment la scène culte du « Day-O » dans Beetlejuice (1998) et produit dans L’étrange Noël de monsieur Jack (1993). On retrouve, d’ailleurs des bribes de l’animation dans les effets spéciaux liés aux décors et surtout dans le générique qui suit l’ouverture interprétée par les grandes orgues tonitruantes sur le logo de la Warner. On reconnait dans cette nouvelle production la mise en scène caractéristique de Maître Burton. Dès le début, il montre qu’il sait manier avec dextérité la caméra dont les mouvements parfois amples nous invitent à l’ivresse de la folie vengeresse de Todd. On notera, par ailleurs, une belle référence à une autre comédie musicale, Moulin rouge! (Baz Luhrmann, 2001), lors de la traversée elliptique de Londres jusqu’à l’échope rappelant la scène d’ouverture du film australien. Le réalisateur reprend également une esthétique quasi bichromatique – déjà présente dans Edward aux mains d’argent (1990) et charactéristique de Sleepy Hollow, le cavalier sans tête (1999) et Ed Wood (1994) – propice à décrire la misère économique de la ville anglaise et morale des personnages (les couleurs « gothiques » étant réservées aux moments de bonheurs passés et à venir). Ce sont les effluves sanguines qui viennent teinter ce film mais dans certaines scène – et c’est là que Burton n’a pas complètement réussi son adaptation – ce trop plein sanguinolent fait pencher l’oeuvre vers la série B grand-guignolesque. Mais attention, ne nous trompons pas, il s’agit bien d’un film d’horreur dans toute sa splendeur que la prude Albion et la puritaine Amérique ont interdit aux spectateurs mineurs.

Johnny Razorhands et compagnie
Ce long métrage de 1h55 (alors que la pièce originale dure 2h10) est servie par un distribution de choix. Pour sa sixième collaboration avec le réalisateur de Batman, Johnny Depp incarne l’homme à « la peau blême et au regard étrange » avec à ses côtés Helena Bonham Carter. L’actrice, compagne de Tim Burton, prête ses traits à Mrs Lovett, voisine amoureuse du vengeur non masqué. Tous deux se révèlent à la hauteur de la partition aux accents mineurs et parfois a-mélodiques, même si Bonham Carter n’égale en rien celles qui l’ont précédée dans le rôle. Tout droit sortis des épisodes de Harry Potter, Alan Rickman (le juge Turpin) et Timothy Spall (le Bailli Bamford) y interprètent des personnages pervers des plus crédibles aux côtés de Sacha Baron Cohen dans le rôle d’un barbier fantasque adversaire de Sweeney. Parmi ce casting on retrouve Laura Michelle Kelly, seule chanteuse professionelle et star du West End londonien, dans le rôle de la mendiante. Notons quand même les premiers pas de Jamie Campbell Bower (Anthony Hope), de Jayne Wisener (Johanna) et surtout d’un très jeune acteur dont on risque beaucoup d’entendre parler : Ed Sanders (Toby).

Food for thought
La force intellectuelle de cette adaptation très libre du conte des frères Grimm Hänsel et Gretel réside dans l’épilogue qui ne laissera, je pense, aucun spectateur indifférent. Sweeney Todd ne ressemble en rien à tous les serials killers du type Jack l’Eventreur ou John Christie. Sa vengeance, bien que condamnable, est légitime et compréhensible. On oscille donc entre la morale dictée par notre société et notre indignation face aux souffrances de Mr T. De ce point de vue, le film laisse un sentiment d’inachevé.

Je ne peux que conseiller ce film, somme toute, très réussi et qui, au contraire d’Evita (Alan Parker, 1996), ne ressemble pas à une sorte de clip musical très long et hyper chorégraphié.

(1) Rue située dans le quartier judiciaire et journalistique de la capitale anglaise.
(2) Selon Ciné Live.
(3) On peut voir dans ce patronyme une forme nominalisée de « Love it » (aime ça).