Le titre Suspiria a de quoi faire bondir et s’esbaubir tous les amateurs d’horreur italienne, alors il faut mettre les choses au point : oui, dans la postface, le critique de cinéma Davide Pullici fait naturellement référence au fameux film éponyme de Dario Argento, cependant pour rappeler la filiation littéraire de ce dernier. En l’occurrence avec le roman Suspiria de Profundis (1845) de Thomas de Quincey, lui-même la véritable source d’inspiration du présent album. Ce n’est donc pas dans une école de danse fribourgeoise que nous emmènent les auteurs, mais dans une contrée non identifiée, à une époque qui ne l’est pas davantage (le milieu du 20e siècle ?). Au village, Ilona s’occupe de sa pauvre mère, une vieille veuve grabataire qui n’a plus toute sa tête. La brune pulpeuse n’est qu’une « traînée » aux yeux des mégères du coin qui, plutôt que médire, feraient mieux de surveiller leurs vicelards de maris : tous défilent chez Ilona pour abuser d’elle, une habitude collective prise il y a déjà longtemps, initiée par le propre père, incestueux, de la jeune femme. Aux yeux de tous ces porcs, Ilona n’est qu’un objet sexuel, et elle n’en peut plus. Le suicide serait-il son unique porte de sortie ?

Le style du dessinateur Andrea Bulgarelli n’est pas sans rappeler celui des grandes signatures de la BD d’horreur américaine, comme Bernie Wrightson. À ceci près que les cases illustrées par Bulgarelli ne donnent pas seulement dans le gore et l’épouvante macabre : ce Suspiria nouveau verse dans un érotisme poussé, qui ne pousse pas vraiment jusqu’à la pornographie mais se plaît à faire évoluer d’une planche à l’autre des anatomies féminines aux courbes affolantes. Ilona, donc, cadrées dans toutes les échelles et sous toutes les coutures, et la mystérieuse Suspiria, alias Mater Sospiriorum, Notre-Dame-des-soupirs, diablesse aux seins lourds, masquée de noir, sortie des enfers pour chuchoter des conseils mortifères à l’oreille de l’héroïne. Elle la tripote également, la léchouille et la pénètre de divers légumes du potager sous les yeux écarquillés du porcher du coin, qui se branle derrière la fenêtre… L’obscénité des tableaux est tempérée par plusieurs passages où les personnages pontifient sur le libre-arbitre et théorisent sur les justifications psychologiques du suicide. En aucun cas les planches les plus bandantes de l’album, c’est entendu, mais rien qui puisse refroidir les sens des philosophes lubriques aimant à voir Éros fricoter avec Thanatos.

En librairie le 6 novembre 2025. La Petite Mort n’est que le premier volume de Suspiria, il y en aura d’autres…