« Il bondit peureusement sous le divan au moment où quelqu’un ouvrait la porte… ».

Tout lecteur intéressé aura certainement reconnu la dernière phrase de la nouvelle La Boule noire (in La Truie, 1972). Une nouvelle parmi des centaines d’autres écrites par cet auteur prolifique qu’est Thomas Owen. L’homme aux trois visages. Le premier, officiel, porte le nom de Gérald Bertot, né en 1910 à Louvain (Belgique). Etudes de droit jusqu’au doctorat en 1933 et une spécialisation en criminologie dans le domaine des délinquants malades mentaux.

Dans sa vie professionnelle, Gérald Bertot deviendra un grand industriel. Second visage: Stéphane Rey. Critique d’art aux 20.000 articles disséminés dans une douzaine de journaux et magazines différents. Auteur de romans policiers comme entre autres Ce soir, huit heures (1941), encore connu sous le titre de Les Invités de Hu t Heures. C’est dans ce livre que se trouve l’origine du nom que portera le troisième visage : Thomas Owen (nom du commissaire dans le roman). Thomas Owen est la signature imposée à une multitude de nouvelles invraisemblables et à quelques romans. Pour vous donner le choix, voici quelques titres bien alléchants: L’initiation à la peur (1942), Les Chemins étranges (1943), Le Livre Interdit (1944), La Cave aux crapauds (1945), Le Jeu Secret (1950), Pitié pour les Ombres (1962), Cérémonial nocturne (1966),La Truie (1972), le Rat Kavar (1975), Le Livre noir des merveilles (1980), anthologie de trente des meilleures nouvelles d’Owen, Le Tétrastome (1988), Caria Hurla (1990), Elégie urbaine (1991), La Ténèbre (1994).

Mais pourquoi diable cet auteur est-il si éblouissant en quantité et en qualité dans ses nouvelles ? D’abord car c’est un genre bref, où la sensation de l’étrange peut facilement être amenée et laisser un sentiment d’incertitude et d’angoisse au lecteur qui en parcourt très vite les pages. Ensuite, et surtout, car la nouvelle peut être écrite rapidement, ce qui arrangeait bien Thomas Owen ou plutôt Gérald Bertot, très occupé par ses activités industrielles. Mais le choix de la nouvelle fut tout à notre avantage. Le texte court permet un effet fantastique des plus sublimes.

Thomas Owen, en ses récits, procure cette sensation montante d’angoisse, de mystère insoutenable pour souvent dans les dernières lignes produire une chute à vous couper le souffle. Mêlant adroitement les figures de mort aux figures de sensualité, ses histoires se savourent comme autant de plaisirs sans cesse renouvelés. Ne délaissant pas une certaine pointe d’humour (Le petit fantôme, in Cérémonial Nocturne), il nous invite surtout à entrer dans un monde d’effroi au décor horriblement réel. Ces contes commencent toujours ou presque par une mise en situation troublante de réalité, des récits en « je » qui renforce ce sentiment de lecture d’histoire véridique et une description minutieuse du cadre. La situation posée, la rencontre avec vampires, ombres, revenants se glisse imperceptiblement et nous entraîne vers des conclusions généralement incomplètes, laissant au lecteur la suite de l’intrigue ou le devenir des personnages. Ainsi dans La Cave aux Crapauds (1945), on lira des histoires insolites comme celle d’un père qui, tout en maudissant sa fille lors d’un voyage en train, causera la perte de celle-ci en portant sa colère sur une étrange chienne. Dans Cérémonial nocturne (1966) on fera la connaissance d’un adorable petit garçon, extrêmement beau mais qui se révélera être le diable en personne, dérobant les âmes de ses petits compagnons. Dans le même recueil nous assisterons au jeu malicieux d’une chasse croisée vampire-tueur de vampire.

Dans La Truie (1972), la Beauté se fera ravir par une mystérieuse vieille femme, la victime d’un meurtre aidera à élucider celui-ci. Dans Pitié pour les Ombres (1962) se mélangeront rêves (mais sont-ce bien des rêves ?) d’assassinat, rencontre de sorcières et métamorphoses …

Chaque recueil de nouvelles de Thomas Owen contient sa part de secrets, d’ombres mystérieuses, peu importe lequel choisir, tous vous garantiront d’en ressortir (p)heureux. En dehors de la maîtrise parfaite de l’étrange dont fait preuve Thomas Owen en ses récits, une certaine poésie transparaît également. Des réflexions sur la vie, la mort, l’amour, le temps. Des phrases qui nous marquent, par leur simplicité et par leur profondeur.

Le style de Thomas Owen a quelque chose que les textes d’autres auteurs n’ont pas. Sa façon à lui de raconter, de mêler réalité et rêve, angoisse et douceur, amour et mort… Des thèmes reviennent souvent au travers de ses oeuvres, comme celui de l’enfant. Cet être qui est encore plongé dans un imaginaire auquel il croit et qui s’étonne moins de l’extraordinaire (Le petit fantôme, Le Voyageur, Un beau petit garçon … ). Il y a là comme un message délivré aux lecteurs de fantastique, qui restent bien souvent attirés par ce même imaginaire. D’autres thèmes comme la mort et l’amour sont chers à Thomas Owen, car ce sont des mots puissants, sources inépuisables d’imaginaire, de mystère. Enfin, le hasard joue un rôle prépondérant dans les récits d’Owen. Parsemés de coïncidences et de rencontres fortuites, ses contes nous font réfléchir sur la construction rigide ou éphémère, calculée ou fragile de notre vie.

Mais il est temps de terminer notre présentation de I’oeuvre gigantesque de cet auteur belge bien connu, la place nous manque pour en explorer davantage. Et comme nous avons commencé cet article par la dernière phrase d’une des nouvelles du recueil La Truie, c’est par la première phrase d’une autre des nouvelles rassemblées en ce même recueil que nous terminerons notre voyage à travers les oeuvres de Thomas Owen, Maître ès Etrange, vous donnant l’occasion de suivre une de ses obscures ‘recettes »:  » Tu lèches ton bras, comme ça … puis tu sèches la peau en frottant avec le dos de la main … Sens ! C’est ça, l’odeur de la mort » (Le Visiteur, in La Truie, 1972).