Italia bella, où les œdipes douloureux se liquident à la hache, où d’effrayantes silhouettes gantées de cuir trouvent un exutoire à leurs névroses dans la lame du rasoir ou celle du couteau…

Du sang sur la dentelle

"La mort d’une jolie femme est sans conteste le sujet le plus poétique qui soit". Cette pensée d’Edgar Allan Poe pourrait résumer à elle seule tout l’art du "giallo". Visionner un film du genre implique, en effet, de voir de belles victimes subir sous la lame les affres du trépas, souvent de la main d’un maniaque au lourd vécu psychiatrique. Il en est ainsi des jeunes mariées d’Une Hache pour la lune de miel (1969) de Mario Bava. De son propre aveu, le personnage central, créateur de mode trentenaire au look de latin lover, avoue être "complètement fou", et sa démence le pousse à massacrer de jolies fiancées parées de leur robe de noces. À la différence de La Fille qui en savait trop (1962) et de Six Femmes pour l’assassin (1964), aux intrigues purement policières, ce troisième giallo de Bava investit les méandres de l’esprit du tueur, qui, au fil des meurtres, s’efforce de rassembler les bribes du souvenir d’un lointain trauma. Visions récurrentes d’un garçonnet mutique, flash-backs obsessionnels aux images distordues, décors et accessoires chargés de symboles… Bava varie ses choix de mise en scène et signe une œuvre sophistiquée, cinglée de traits d’humour cruels et vouée tout entière à la peinture de la folie meurtrière.

 
        
 

Arrivederci ragazze, ciao !

Victimes féminines obligent, les cinéastes ont souvent situé leurs gialli dans des cadres à forte population de ragazze. D’où nombre de fous homicides rôdant dans les parages des internats. C’est le cas dans Mais qu’avez-vous fait à Solange ? (1971), une des grandes réussites de ces "gialli au pensionnat". Riche d’une excellente partition d’Ennio Morricone, le film narre les méfaits, dans une école de jeunes filles, d’un tueur énigmatique dont le mode opératoire sordide laisse penser qu’il est aussi fou que pervers. Professeur d’italien, le bel Enrico décide de mener son enquête: suite à de malheureuses coïncidences, la police le soupçonne et s’intéresse par ailleurs de près à une élève de terminale, à la fois témoin d’un meurtre et maîtresse secrète du séduisant héros ! Ajoutons là que le mystère criminel, au demeurant captivant, ne constitue pas le seul intérêt de ce chef-d’œuvre de Massimo Dallamano. Également co-scénariste, le cinéaste fait de son décor de lycée catholique le théâtre de turpitudes sexuelles pas piquées des vers, et, scènes de douches à l’appui, embrume la pellicule de vapeurs sacrilèges, indignes d’un Italiano per bene ! Qu’on se le dise: les gialli se jouent des limites de la bienséance, et l’on y brise tous les tabous !

 
        
 

Profondo nero

"Il pazzo del rasoio", le "fou du rasoir", sévit à Rome et peut se vanter d’un joli tableau de chasse: une brune kleptomane repérée dans une librairie, un couple de lesbiennes aux rapports sado-maso… Sans oublier cette adolescente en mini-jupe, qu’un doberman surexcité a poussée à se réfugier — pas de chance — dans la demeure de l’assassin ! Vous l’aurez compris: la tension sexuelle est au cœur de Ténèbres (1982), film dans lequel Dario Argento, suivant le modèle de Mario Bava cité plus haut, relate au moyen de flash-backs hallucinés un épisode fatal, en l’occurrence l’épreuve d’une humiliation castratrice impossible à effacer. Et rien de tel, pour exorciser la frustration, que quelques coups de lame sauvagement infligés… En témoignent les nombreuses mises à mort du film, notamment celle, lors du final paroxystique, de la comédienne Veronica Lario qui, se retrouvant amputée d’un bras, "repeint" pour ainsi dire toute la surface d’un mur blanc avant de recevoir l’estocade ! Assurément le métrage le plus sanglant tourné par Argento, mais aussi l’un des plus fascinants, tant par les envolées exubérantes de sa mise en scène que par les noires profondeurs psychanalytiques de son scénario.