Du rose, de l’orange, du sexe et de la religion. Une palette de couleurs et de thèmes osés pour une série qui ne recule devant aucun tabou. Depuis son apparition fin 2000, l’univers développé par Barbara Canepa et Allessandro Barbucci n’a eu de cesse de grandir en puissance. Certains voyaient en leur graphisme une influence manga, d’autres y reconnaissaient leur passé Disney, d’autres encore saluaient ces auteurs attentifs à la mode, à ce qui se passait en-dehors de la BD et qui y apportaient cette nouvelle richesse. Qu’on soit sensibles à leur scénario, à la séduisante héroïne de l’histoire ou à leur graphisme coloré, Sky Doll ne peut laisser indifférent.
Khimaira revient sur cette série incontournable et vous livre les propos de ses créateurs.
 
 
L’histoire
Noa est une poupée synthétique de dernière génération. Sa vie est rythmée par un cycle de trente-trois heures commandé par une clef ; celui qui la possède détient son existence complète.
Parmi tous les androïdes de même fabrication, seule Noa est capable de rêver. Ce qu’elle ignore, c’est qu’elle n’est pas seulement un jouet technologique.
Cette histoire débute à Joanna, communément appelée “La Ville Jaune” ; une des douze cités de la planète Papathéa, dominée par un schisme religieux: d’un côté, c’est le règne de la Papesse Ludovique où tout est marketing et publicité, symbole psychotique de l’aspect sensuel du culte officiel, porté à outrance. De l’autre, c’est celui d’Agape, véritable représentante des valeurs spirituelles apparues dans des circonstances étranges.
Noa travaille au “Heaven Spaceship Wash”, comme laveuse de vaisseaux spaciaux. Elle décide de s’enfuir à la recherche de ses origines et commence un voyage à travers l’univers, accompagnée de Roy et Jahu, tous deux émissaires papaux.
Sky Doll est une saga animalière à la fois dramatique et humoristique qui mêle de façon très personnelle science-fiction, “cyber culture”, design des années 60 et concepts religieux.
 
 
 

Les auteurs…

Allessandro Barbucci – Né à Gênes en 1973, il débute au sein de Walt Disney Italie où il travaille pour plusieurs magazines avant de bosser sur la mise en scène, le design et le story board de séries animées.
Barbara Canepa – Née en 1969 à Gênes, Barbara suivra des études à l’université d’architecture de Gênes avant de rejoindre les rangs de Disney. Il y croisera la route d’Allessandro. Ils collaboreront sur le développement d’un nouveau magazine (Witch) pendant un an, avant de quitter Mickey et de se lancer dans la grande aventure de la BD franco-belge.
A leur actif, outre la série Sky Doll, on compte une autre série, Monster Allergy, pour les plus jeunes et qui nous conte les aventures d’un petit garçons qui est seul à voir les monstres, pourtant présents partout!
 
Khimaira: Les poupées de Sky Doll ont été conçues pour servir l’homme. Ce sont des esclaves sexuelles. Pour vous, un robot ne peut être pensé que comme un serviteur ?
Alessandro Barbucci: J’ai toujours vu ma mère en prise avec son robot ménager… En effet, pourquoi créer quelque chose qui ne nous obéirait pas? Un outil qu’on ne pourrait pas contrôler ?
 
Barbara Canepa: Il serait stupide de penser le contraire… Vous imaginez créer quelque chose qui se rebellerait par la suite ou qui n’obéirait pas aux ordres que vous lui donneriez alors que vous vous êtes cassé le cul à le construire? Si c’est pour en arriver là, on a déjà nos enfants. (rires)
 
K: Comment avez-vous conçu de tels personnages?
AB & BC: Les protagonistes de l’histoire étaient au départ Roy et Jahu. On parle ici de 1997 et d’une BD manga très différente de l’actuel Sky Doll. Comme les deux émissaires papaux devaient passer beaucoup de temps sur leur astronef-camper, il fallait bien quelqu’un qui cuisine et qui fasse la vaisselle. C’est pourquoi nous avions pensé à introduire un personnage féminin. (rires)
Et comme c’est souvent le cas dans la vie réelle, la tata Noa a commencé à prendre peu à peu tout l’espace disponible devenant l’héroïne de l’histoire. Le reste n’a été qu’une question de «garniture».
 
K: Noa a une conscience bien aboutie. Vous entrez dans le débat qui pose la question de l’âme pour le robot. Un objet peut-il avoir une âme ?
AB: Ah bon? Il existe un tel débat? Je l’ignorais… J’imagine que les robots ont été amenés à donner leur point de vue étant donné qu’ils étaient les premiers concernés? (rires)
BC: Etant agnostique, je ne crois pas à l’âme. Encore moins sur un objet scientifiquement non-vivant. Mais nous avons mis sur le tapis cet argument dans Sky Doll, car ce point de vue est intéressant. Quelle différence y a-t-il entre un être vivant déclaré tel (humain, animal ou végétal) et un être, tel le robot qui vit comme un tel? Un androïde est vivant d’une certaine façon… La limite en fait est très subtile… La thématique de l’âme est seulement une excuse pour parler de conscience.
 
K: Votre série critique les religions dans leur extrémisme. Est-il facile de faire passer un message grave dans des albums à l’ambiance plutôt détendue, où l’humour est bien présent?
AB & BC: Sky Doll prend pour cible toutes les religions en général. Mais plutôt qu’une critique, nous préférons le terme de réflexion. L’ironie est obligatoire lorsqu’on aborde ce sujet. Si nous abordions ce sujet sérieusement, nous serions automatiquement du côté de ceux qui prennent la religion au sérieux. Ce n’est pas notre cas. Nous ne faisons pas partie de ces crétins qui sont en train de rendre la planète invivable.
 
K: Autre grosse critique, la télévision et son show perpétuel. Alors, la télé est-elle la religion du XXIe siècle, le nouvel “opium du peuple” ?
AB & BC: Ah bon, quelqu’un ne s’en était pas encore rendu compte? le marketing télévisuel et ces religions, c’est idem. Surtout en cette période où la télévision est le média privilégié des religions, de ces chefs religieux parmi les plus excentriques et les plus fous. Ils brouillent les cerveaux avec des théories improbables. Il en va de même avec notre cher pape allemand…
 
K: Votre série tourne autour d’une société très érotique, où même la religion autorise, voire encourage cette direction…
AB: Tout ce qui apparaît dans Sky Doll est une pure parodie de notre société…
BC: Avez-vous déjà bien observé nos églises? Où les chambres du Vatican. On y trouve des représentations de Cupidon et Psyché… Avez-vous jamais lu la Bible et les évangiles? Et le paradis d’une autre religion n’a-t-il pas comme promesse d’y être accueilli par 77 vierges? Que pensez-vous qu’il fera le malheureux avec 77 vierges? Les mettre sur une commode pour les regarder? (rires). Il suffit d’ouvrir les yeux, de lire l’Histoire et de regarder l’Art pour voir ce lien étroit entre religion et érotisme.
 
K: D’où vient l’aspect animal (rayures, queue…) de vos personnages? Est-ce pour créer malgré tout une distance avec les êtres humains ou pour démontrer que l’homme est un animal ?
AB & BC: Surtout parce que nous avons passé dix ans à dessiner des canards et des personnages de films où il y a des animaux qui parlent à chaque minute. De tout cela, quelque chose est resté. De plus, il y a eu un choix symbolique par rapport à Sky Doll pour parodier la société actuelle justement.
 
K: Le succès de Sky Doll est dû en partie aux couleurs acidulées que vous avez choisies. D’où vient un tel choix?
BC: Tout simplement parce que je déteste ces couleurs. Je ne les porte jamais. Je pense que j’ai été traumatisée par Barbie lorsque j’étais petite. J’ai du transformer mon traumatisme en cet univers que j’étais en train de créer au niveau des couleurs. De plus, je voulais donner une atmosphère différente à la traditionnelle science-fiction. Nous différencier des traditionnels bleus, gris métallisé… de tous les Star War, etc. Je voulais me rapprocher de la SF des années 60 et 70. De Barbarella d’un côté, et des designers de cette époque qui nous inondaient de ces couleurs acidulées.
 
K: De votre point de vue, comment avez-vous ressenti le succès de cette série?
AB & BC: En réalité, nous nous attendions à beaucoup plus (rires)… Nous sommes très fiers d’avoir pu séduire le public franco-belge. Que les lecteurs se soient passionnés pour quelque chose qui rompt avec la BD classique. Mais cela n’a pas été évident. (rires)
 
K: Pensez-vous continuer longtemps à développer l’univers de Sky Doll ? Mettre en place des séries parallèles, des one-shots?
AB & BC: Oui, bien sûr. Nous sommes occupés à travailler sur un premier collectif, Sky Doll Spaceship Compilation, qui sortira début 2007. Y ont participé des artistes internationaux incroyables! Nous nous sommes beaucoup amusés et cela a été une expérience extrêmement intéressante que d’écrire des scénarios pour des auteurs très divers et répartis partout dans le monde, depuis l’Espagne, l’Italie, la France et jusqu’en Australie!
Dans le même temps, nous travaillons sur un projet de long-métrage pour le cinéma. Ce n’était pas un objectif au départ, mais nous sommes emballés! Et puis, il y a le quatrième tome de Sky Doll bien sûr!
 
K: Que pensez-vous de la forte progression du manga dans la BD franco-belge? Croyez-vous que le renouveau de la bande dessinée passe par un mélange des genres BD, comics, manga ?
A: Beaucoup de mes séries préférées sont des Manga. Et puis, je figure parmi les coupables de leur importation ici. Cependant, je trouve désolant de voir le nombre de merdes importées par les éditeurs. Personne n’a demandé autant de déchets, les éditeurs sont donc seuls responsables de cette dérive. Cela manque de sélection dans les choix de traductions.
Pour répondre à la deuxième partie de la question, je ne crois absolument pas à l’avenir du mélange des genres. Le Manga pour moi demeure un genre en plus. Le pire, c’est quand on sent que le travail n’est pas naturel, pas issu des auteurs mais qu’on devine une demande commerciale…
 
BC: Je suis entièrement d’accord avec les propos d’Alessandro. J’ajouterais seulement un conseil à donner aux éditeurs. Il faut vous assurer que vos collaborateurs s’y connaissent. La plupart ne semblent pas vraiment passionnés de manga et ne semblent pas pouvoir distinguer une pomme d’une poire. Commencer par les licencier et vous verrez peut-être quelque chose de meilleur sur le marché français. Enfin, j’applaudis le travail du label Sakka dont le catalogue reflète de très bons choix.
 
K: Vous qui êtes italiens, quelle est la situation de la bande dessinée en Italie?
AB & BC: La situation est très complexe et profondément différente de celle en France. Le kiosque, qui a toujours été le point d’appui du marché de la BD italienne, est en crise. Il y a un rapport déséquilibré entre les coûts de production élevés et le prix, traditionnellement assez bas. La BD de style franco-belge n’occupe qu’une niche. Même si elle est en expansion. Les lecteurs italiens se passionnent plus aujourd’hui pour les graphic novels et l’underground est en train de reprendre sa place dans les revues à la mode ainsi que le street art.
 
AB: Je crois que tout cela modifiera bientôt le marché. Nous sommes curieux de voir qui sera le génie qui créera la pierre milliaire de ce virage. J’espère que ce sera un italien et non un produit d’importation. À vrai dire, j’espère que ce sera moi! (rires)
 
K: De quels univers imaginaires, de science-fiction ou autre, êtes-vous fans ?
AB: Je ne suis pas fan d’un univers en particulier. Celui dans lequel nous vivons est suffisamment riche et vaste. La nature humaine est suffisamment complexe pour occuper tout le temps à disposition. Il me plairait d’approfondir des études d’anthropologie des religions… Là est la véritable science-fiction!
 
BC: Dans la BD, il n’y a pas vraiment quelque chose qui se distingue. En réalité, je suis une vraie passionnée de science-fiction. Une vraie mordue. Je lis les Urania (NDLR: Célèbre collection Italienne d’ouvrages de Science-Fiction. C’est également le nom du prix le plus prestigieux pour les œuvres d’Imaginaire en Italie, équivalent à nos Grand prix de l’Imaginaire en France) et ce genre d’œuvres depuis que j’ai commencé à comprendre les lettres de l’alphabet. Tout cela, à cause de ma mère, une vraie fan des univers parallèles. Un Asimov, un P. Dick, un Douglas Adams et tant d’autres, ont déjà tout dit. En BD, nous ne faisons que répéter leurs écrits sans pouvoir les égaler. Certains auteurs de BD font un peu trop la vedette à mon goût, tout simplement parce que la majorité de leurs lecteurs n’ont jamais lu de SF… Par contre, il existe de vraies petites perles dans certaines anthologies regroupant des écrivains mineurs. Une magnifique réserve d’idées!
 
K: Quels sont vos projets à venir ?
BC: Il y en a beaucoup! Nous les ferons tous, nous ne sommes pas pressés. Dans l’immédiat, une nouvelle série, End, avec une Italienne, Anna Merli. Je m’occupe du scénario et des couleurs.
Un projet gothico-noir entre «une Isabelle Allende et un Tim Burton». Celui-ci devrait sortir fin 2007, début 2008…
Et comme nous l’avons dit, nous bossons sur le synopsis du film Sky Doll ; au quatrième tome et à un deuxième collectif SpaceShip Compilations.
Enfin, nous avons créé depuis de nombreux mois, mais cela ne sera annoncé qu’en début 2006, un nouveau label au sein des éditions Soleil: VENUSDEA. Alessandro et moi en serons les directeurs éditoriaux. Nous ne pouvons rien dévoiler à part qu’il n’existe rien de semblable dans toute l’Europe. Des artistes n’appartenant pas au monde de la BD ont déjà été programmés, de véritables gourous dans leurs univers. Vous verrez… et vous en mourrez! (rires)