Il est des réalisateurs dont on peut aller voir les films presque les yeux fermés et Martin Scorsese fait partie de ceux-là. Ce producteur, scénariste, metteur en scène et réalisateur qui fait partie des Grands du cinéma américain – lauréat de la Palme d’Or à Cannes pour Taxi Driver (1976) et par deux fois oscarisé – nous gratifie d’un film presque tous les ans toujours avec la même intensité.
Tout au long de sa carrière, ce fervent défenseur du cinéma d’auteur n’aura eu de cesse d’explorer quelques grands genres du cinéma comme le film musical (New York, New York – 1977), le film de gangsters (Les affranchis – 1990), le biopic (Raging Bull – 1980), le road-movie (Alice n’est plus ici – 1974), le film d’époque (Le temps de l’innocence – 1993), le thriller (Les nerfs à vif – 1991), ou encore la comédie (After Hours – 1985). Avec Shutter Island, l’heureux touche-à-tout adapte le roman mystérieux de l’Américain Dennis Lehane, plus connu pour son précédent livre Mystic River adapté au cinéma par Clint Eastwood en 2003. C’est donc l’occasion, pour Scorsese, de visiter le thriller psychologique sous les hospices du genre fantastique.
Il plonge le spectateur en 1954, dans les méandres psychologiques de Teddy Daniel (Leonardo Di Caprio), jeune US Marshal qui a perdu son épouse bien-aimée dans l’incendie de leur appartement. Il est invité avec son collègue, Chuck Aule (Mark Ruffalo), sur une île pénitentiaire de très haute sécurité accueillant des malades mentaux dangereux, afin d’enquêter sur la disparition d’une détenue – Rachel Solando (Emily Mortimer), coupable d’avoir noyé ses trois enfants – qui s’est échappée de manière inexplicable d’une cellule verrouillée de l’extérieur. Les deux hommes se retrouvent vite confrontés à l’hostilité des médecins et des gardiens du lieu ce qui ralentit leurs investigations. Une tempête s’abat alors sur Shutter Island, condamnant les deux protagonistes à rester sur l’île…
Martin Scorsese parvient à cristalliser tous les ingrédients pour faire de ce huis clos (shutter, en anglais, évoque le confinement) un feu d’artifice fantastique. Il dote son long métrage d’une esthétique ultra gothique où tout est bruit et fureur dans une ambiance orageuse de clair-obscur magnifique où s’abattent la tempête et ses éclairs (comme il avait pu le faire auparavant dans Les nerfs à vif). Toute cette atmosphère vient, d’ailleurs, faire écho au désordre psychologique des personnages.
Dans ce film, Di Caprio (dont c’est la quatrième collaboration avec le réalisateur d’Aviator) nous prouve qu’il a laissé tombé une fois pour toute (espérons-le, du moins) les rôles de minets pour endosser ici un personnage dont la palette émotionnelle et psychologique est très travaillée. En cela, on ne peut s’empêcher de le comparer à Robert de Niro, autre acteur fétiche du Maître Scorsese. On notera, en outre, la superbe distribution des seconds rôles (notamment Ben Kingsley et Patricia Clarkson) qui donnent au film tout son relief grâce à une direction d’acteurs excellente. Scorsese fait même un beau clin d’œil à l’histoire du cinéma fantastique mondial en confiant un rôle de personnage d’ancien Nazi, devenu professeur en psychiatrie des plus énigmatiques, au père Lancaster Merrin de L’Exorciste (1973), j’ai nommé Max Von Sydow (Le septième sceau, 1957).
On aurait pu craindre que les 138 minutes du film ne soient jonchées de quelques longueurs, mais il n’en est rien. Le scénario n’en finit pas de rebondir, plongeant le spectateur dans une soif de découvrir les véritables intentions des personnages qui viennent émailler le point de vue subjectif de Teddy. Le spectateur doit alors assumer un rôle actif dans la réception de ce film à l’instar de quelques belles pièces et chefs d’œuvre du cinéma de genre comme Rosemary’s Baby (1968), Shining (1980), ou Swimming Pool (2003). Il permettra à chacun de se confronter à ses certitudes en montrant qu’il ne faut pas toujours croire ce que l’on nous montre et que c’est souvent dans les détails (de la mise en scène) que la vérité se fait jour.
Il est à parier que la sortie de son nouvel opus sera, une fois encore, l’occasion pour Scorsese de rencontrer des succès tous azimuts.