Avec un style bien à lui et une plume aux multiples talents, l’écrivain Serge Brussolo est un artiste qui nous surprend à chaque nouveau roman. Ce qui constitue un exploit remarquable, lorsqu’on sait que sa bibliographie compte plus de 150 romans à ce jour. Et apparemment, il ne compte pas s’arrêter de si tôt ! Alors empruntez avec moi les sentiers fertiles de l’imaginaire brussolien…
Khimaira : Avec plus de 150 romans et nouvelles à votre actif, vous êtes un touche-à-tout particulièrement prolifique et inventif, jonglant avec les genres (SF, fantasy, thriller, polar…) et écrivant aussi bien pour les adultes que pour la jeunesse. Comment décririez-vous votre propre carrière ?
Serge Brussolo : Je me suis donné les moyens d’assurer ma liberté de création. C’est à dire que je me suis toujours débrouillé pour n’en faire qu’à ma tête. J’ai systématiquement refusé les commandes, les ordres, les obligations. Dès qu’un éditeur essayait de prendre le contrôle, je m’en allais ailleurs. Cela m’a valu beaucoup d’inimitiés, mais peu importe, seule comptait ma liberté, écrire ce que j’avais envie d’écrire et pas ce qu’on tentait de m’imposer. Dans l’ensemble, je suis assez content du résultat. En choisissant le fantastique, je savais d’emblée que je serais un marginal, mais c’était ce que je voulais faire, et je n’ai pas dévié de la ligne que je m’étais fixée à 12 ans.
K : Peggy Sue et les fantômes (tome 10) est sorti en mars dernier chez Plon, Les Prisonniers de l’Arc-en-ciel, la réédition du tome 2 des Territoires Interdits, est paru chez Bayard en juin, et deux autres romans paraissent à l’automne (Peggy Sue et le Cirque Maudit -tome 11- et Le Jardin des Secrets, tome 3 des Territoires Interdits). Avec un tel rythme, on pourrait croire que vous passez votre vie à écrire. Pourriez vous nous décrire une de vos journées type ?
SB : Contrairement à ce qu’on se plait à imaginer, je ne suis pas un forçat de l’écriture. Quand un livre est bien préparé, selon un découpage analogue au scénario d’un film, on peut l’écrire vite. Je commence à écrire à 9 heures du matin, vers 13 heures j’arrête, je fais autre chose, je vais au ciné, je regarde la télé, je dessine. Il faut avoir de la méthode, comme Simenon, bien préparer les trucs. C’est le secret, surtout ne jamais se mettre devant la page blanche en se disant « qu’est-ce que je vais bien pouvoir écrire aujourd’hui ? », ça, c’est l’horreur absolue, le meilleur moyen de se cogner la tête contre les murs.
K : Vous possédez un style bien particulier : vous ne négligez pas les bases classiques de la SF par exemple (planètes hostiles, guerres entre les différents peuples, robots…), mais vous aimez introduire des éléments dérangeants, parfois à la limite du glauque ou de l’horreur, ou encore des détails complètement loufoques dans vos récits (cimetières de robots détraqués, enfants abandonnés à des nounous cybernétiques, des mines de viandes exploitées par des végétariens, des planètes où les nuages sont solides et les sols mous…). D’où vous vient cette tendance ?
SB : Je crois avant tout en l’originalité. J’essaye de trouver des idées neuves, des trucs qu’on n’a pas déjà vus cent fois. Il faut que le lecteur soit surpris, étonné, stupéfié. Pour moi c’est un défi permanent : essayer d’aller toujours plus loin, de repousser le limites de l’imaginaire. Cette tendance me vient de ma mère, qui adorait la peinture fantastique et les contes de fées un peu horribles, les légendes bretonnes, tout ça… J’ai baigné dans ce climat très jeune. Ma famille était très superstitieuse, certaines de mes tantes croyaient aux envoûtements, aux sortilèges, aux malédictions. Je pense que ça m’a beaucoup influencé.
K : Le Jardin des Secrets, paru à la rentrée 2008, est le troisième et dernier tome de la série Territoires Interdits, série rééditée depuis septembre 2007. Surnommée à présent Les Sentinelles du Crépuscule, elle regroupe déjà deux tomes : Le Maître des Nuages, réédité en septembre 2007 chez Bayard, et Les Prisonniers de l’Arc-en-ciel paru en juin dernier. Pouvez-vous nous décrire cette série en quelques lignes ?
SB : Il s’agit des aventures de deux jeunes gens, une fille et un garçon, sur une planète dont l’écosystème saccagé par les industriels a généré des manifestations aberrantes. Les continents ont été submergés par un océan de boue et les nuages sont devenus durs comme de la pierre. Pourtant, les légendes racontent qu’au-delà de la gigantesque muraille qui sépare la planète en deux, existe un paradis merveilleux. Les héros vont tenter de découvrir ce territoire extraordinaire, mais bien des aventures les attendent.
K : Une première publication a été faite sous le nom des Sentinelles d’Almoha en janvier 1981 chez Nathan. Ce fut un échec commercial, alors que le même roman, sous le nom cette fois-ci du Maître des Nuages, a été retenu pour la Sélection Tout Lu-Tout Cru 2000 de la Bibliothèque Municipale de Rennes. La série en elle-même a bien marché par la suite. Comment expliquer ce revirement ?
SB : La première publication est venue trop tôt, chez un éditeur qui, par ailleurs, ne croyait pas à l’avenir de la SF et du fantastique et a très vite sabordé la collection. Il faut se rappeler qu’à cette époque, la plupart des éditeurs jeunesse déclaraient : « Le fantastique n’intéresse pas les jeunes et ne les intéressera jamais, ce qu’ils veulent, ce sont des histoires style Club des 5. » Heureusement, comme bien souvent, ils se trompaient. Mais il a tout de même fallu attendre le succès de la collection Chair de Poule pour que les choses évoluent !
K : Le Jardin des Secrets, épilogue de la série des Territoires Interdits, est attendu par vos lecteurs depuis plus de cinq ans maintenant. Que pouvez-vous nous dire de ce roman qui clôt enfin la série et pourquoi avoir attendu si longtemps ?
SB : L’éditeur et moi n’étions pas sur la même longueur d’onde, nous n’avions pas la même conception de la littérature « jeunesse », alors plutôt que de mutiler le texte, j’ai préféré attendre que mes interlocuteurs changent d’avis et me laissent libre d’écrire ce que j’avais envie d’écrire.
K : La célèbre série de fantasy pour la jeunesse, Peggy Sue, se prolonge avec un onzième tome qui parait cet automne : Peggy Sue et le Cirque Maudit. En quoi cette série a marqué un tournant dans votre carrière ? Quelles différences entre écrire pour la jeunesse ou pour les adultes ?
SB : Personne n’imaginait que je pourrais un jour écrire pour les jeunes. On me voyait comme une espèce de Dracula, utilisant un crâne humain en guise d’encrier, et habitant dans un tombeau. On se faisait de moi une image très gothique. Or, j’avais depuis toujours envie d’écrire des contes de fées. J’ai saisi la perche que me tendait mon éditeur. J’ai adoré écrire cette série, pour moi c’était vraiment des vacances. Peggy Sue a été publié dans trente pays, j’ai reçu du courrier venant du monde entier, c’était très stimulant, même si j’étais incapable de déchiffrer ce qui venait de Chine ou du Japon. Les adultes n’écrivent jamais aux auteurs, les jeunes si… En fait, il n’y a pas tellement de différence entre écrire pour la jeunesse ou pour les adultes. C’est juste une question de dosage. Faire très peur ou pas trop… ce genre de chose. La grande différence, c’est surtout l’humour, la dinguerie. Avec les jeunes on s’amuse davantage, on peut en rajouter dans le farfelu, la drôlerie, le délire. La plupart des jeunes aiment être étonnés, bluffés, les adultes ça les dérange, ils n’apprécient pas trop d’être bousculés dans leurs habitudes. Ils manquent souvent d’enthousiasme. Pas les jeunes, c’est très appréciable pour un auteur. On n’a plus l’impression d’écrire pour des fantômes !
K : Vous avez connu des débuts difficiles, les éditeurs de l’époque et les milieux de la SF vous accordaient alors bien peu de crédit. Aujourd’hui, vous poursuivez une carrière hors du commun. Qu’auriez vous à dire à ces personnes qui ont autrefois méprisé votre style, parce qu’il n’entrait dans aucune catégorie définie de l’époque ?
SB : Ces gens-là ont disparu pour la plupart, ils n’avaient rien compris à ce qui allait se passer, aux changements à venir. Leurs conceptions de la littérature d’imagination étaient dépassées. A l’époque, quelqu’un avait écrit : « Brussolo, on l’aura oublié dans trois mois ! ». Cette année, il y aura trente ans que je publie des romans… ça se passe de commentaire.
K : Vos œuvres ont été traduites dans plusieurs langues, dont l’allemand, l’italien, l’espagnol, le brésilien, le japonais, le chinois, le russe, le roumain ou encore le bulgare. Mais pour les anglo-saxons, vous restez ce que l’on pourrait appeler « un illustre inconnu » au regard du grand nombre de romans parus ? Pourquoi d’après vous ?
SB : Il est très difficile de pénétrer le marché anglo-saxon qui achète très peu de textes français. En général, les anglo-saxons ont tendance à considérer qu’ils ont inventé le fantastique et la SF, et n’ont donc rien à apprendre des petits Français. Ça ne me traumatise pas. De toute manière, être traduit aux USA ne m’apparaîtrait pas comme une consécration, je ne suis pas très fan de littérature américaine. Je suis beaucoup plus fasciné par le Japon et sa culture, ses légendes, son mode de vie.
K : Votre imagination fourmille sans cesse de nouveaux projets : sous quel signe sera placée l’année 2009 ?
 
SB : En janvier 2009 paraîtra chez Plon un thriller fantastique intitulé « L’enfant qui n’existait pas », c’est l’histoire d’une jeune femme qui enquête à l’intérieur d’une secte dont le chef se prend pour le dernier survivant de l’Atlantide.
C’est le premier volume d’une série dont le tome 2 devrait sortir pour l’été.
C’est tout pour le moment, ce sont de gros bouquins, et ça me prend pas mal de temps.