Quant nous avons rencontré Serena Gentilhomme pour la première fois, c’était à l’occasion d’une foire en Belgique, très exactement le 30 janvier 2000, où celle-ci nous a gentiment offert un exemplaire dédicacé des Nuits étrusques. La dédicace conviait  » la joyeuse équipe de Khimaira à un plongeon dans les nuits étrusques tant ils déjoueront les glauques ténèbres grâce à leur sagacité et à leur habitude des zones interdites « . Et il faut avouer que depuis que notre joyeuse équipe a effectué ce plongeon, le contact avec Serena est resté. Ce numéro spécial féminin est une occasion de plus de rencontrer notre ténébreuse amie… Serena est née à Florence et enseigne à la Faculté des Lettres de Besançon depuis 27 ans. Sa spécialité est le cinéma italien, avec une prédilection pour le fantastique et l’horreur. A son actif de romancière, elle compte deux romans: « Villa Bini » (L’Harmattan, 1997) et « Les Nuits étrusques » (Naturellement, 1999). Plus quelques nouvelles parues en anthologies, dont ses préférées sont « Paradis d’enfer » (Forces Obscures 2,chez Naturellement) et « Racine de 2h sur g » (Phénix n°53).

 

Khimaira : Comment vous sentez-vous en tant qu’auteur féminin de fantastique ?
Serena Gentilhomme : Très bien, merci, et vous?

K : Pensez-vous que la femme apporte quelque chose d’original au fantastique ?
SG : Il n’y a pas d’écriture féminine ou masculine: juste de bons ou de mauvais textes. Certaines femmes apportent quelque chose d’original au fantastique, d’autres non.
Il en va de même pour les hommes.

K : Quels sont les auteurs féminins que vous admirez ?
SG : Une anglophone disparue: Shirley Jackson. Deux auteures vivantes, la francophones nne « Gudule » Duguël et l’anglophone Lisa Tuttle. Trois jeunes francophones qui ne tarderont pas à être reconnues comme de grandes dames du fantastique: Mélanie Fazi et Béatrice Nicodème pour la France, Natasha Beaulieu pour le Québec.

K : Dans l’interview qu’il a accordée à Khimaira (n°6), Thomas Owen avait souligné que  » la femme est l’inconnu pour l’homme et lui fait peur « . Pensez-vous que l’homme est réellement peur de la femme et que cette peur puisse lui inspirer une image de la femme liée au fantastique ?
SG : N’aimant pas les généralisations, je dirai que certains hommes, auteurs de fantastique, ont peur de certaines femmes, d’autres non et réciproquement: l’inspiration est plutôt tributaire du sentiment ancestral de peur tout court, du moins à mon avis.

K : Que pensez-vous de l’image féminine de la mort ?
SG : À mon tour de poser une question: dans quelle civilisation? Si le substantif « mort » est du féminin en français, en italien et en espagnol (entre autres), il est du masculin en allemand et dans les langues scandinaves. Qu’on songe au « Septième sceau », où le cinéaste Ingmar Bergman représente la mort sous l’aspect d’un moine.

K : Dans les romans ou dans les films, les femmes apparaissent tantôt comme victimes tantôt comme prédatrices. Comment décririez-vous ces images ?
SG : Très proches de la réalité, en certains cas.

K : Je profite de rencontrer une spécialiste du fantastique italien pour lui poser la question suivante : Comment définiriez-vous le statut de la femme, sa représentation, dans le film fantastique italien ?
SG : Là aussi, la généralisation est impossible: la représentation de la femme varie d’un cinéaste à l’autre. Entre une pin-up de Bava et une androgyne argentienne, il y a un abîme.
À mon avis, seul un pavé de mille pages pourrait faire le tour de la question ­ et encore.

K : Pour en venir à un de vos romans, les Nuits étrusques, les différents personnages féminins se posent tantôt comme victimes, tantôt comme prédatrices, est-ce-là une réelle image de la femme comme vous la voyez, victime et prédatrice ?
SG : Il est des femmes victimes et/ou prédatrices, tout comme il est des hommes victimes et/ou prédateurs. Dans mon roman comme dans la vie.

K : Vous allez très loin dans l’érotisme (sadomasochisme, inceste). Pensez-vous qu’une femme écrivain puisse se permettre des descriptions plus poussées ou aborde-t-elle cela d’une façon différente qu’un auteur masculin ?
SG : Aucune idée, n’ayant jamais été un homme et n’aspirant pas à en devenir un.

K : Toujours à propos de femme et d’érotisme. Pour vous, les deux sont-ils irrémédiablement lié dans le genre fantastique ?
SG : Pas « irrémédiablement », mais « volontiers », ça, oui.

K : Parlez-nous de la prêtresse Tanaquil au centre de votre roman les  » Nuits étrusques « . Qu’est-elle censée représenter pour nous aujourd’hui ?
SG : Rien du tout. C’est une prêtresse, une sorte de prostituée sacrée. Une Tanaquil, dont nous parle Tite-Live a effectivement vécu au VII siècle avant notre ère: c’était la femme de Tarquin dit Priscus, ou l’ancien, mais elle n’avait rien d’une prostituée ni sacrée, ni profane: surnommée la « faiseuse de rois » à cause de son ambition, cette femme pieuse et autoritaire était tout ce qu’il y a de plus sérieux: une emmerdeuse, quoi!

K : Qu’ajouter à propos de vos principales héroïnes, Ilaria Parodi et Fosca Fonte ?
SG : Ce sont deux garces finies.

K : La première liée à la mort, semblerait confirmer le lien entre la femme et la mort. La seconde affiche une personnalité double, considérez-vous la femme comme double ?
SG : Pas « la » femme, « certaines » femmes. Certains hommes itou.

K : Les dames Gestri nous rappellent les Moires. Comme les divinités, elles tissent un même fil, entraînant par là l’idée du destin. Attilia est une grand-mère, Lavinia, une mère et Clotilde, la fille. Ces trois âges de la femme ont-ils pour vous une signification particulière ?
SG : Non, sauf que j’ai calqué, en effet, ces personnages sur les Moires: Atropos, Lachésis, Clotho, dont les initiales sont gardées dans les prénoms des Gestri.