Richard Ely et Olivier Ruol sont deux auteurs belges, spécialisés dans la culture populaire et plus particulièrement dans le domaine des créatures fantastiques.
Ensemble, ils ont réalisé « Les Elfes dans la Pop Culture », un ouvrage qui explore les différentes représentations des elfes à travers les médias et la culture populaire. De la littérature fantasy aux jeux vidéo, en passant par le cinéma et les séries télévisées, ils examinent comment ces créatures mythiques ont évolué et se sont adaptées aux différents supports médiatiques. Cette analyse approfondie permet de mieux comprendre l’importance des elfes dans notre imaginaire collectif et leur impact sur la culture populaire contemporaine.
Merci à eux de nous avoir accordé cette interview.

Khimaira : Qu’est-ce qui vous a inspiré à écrire un livre sur les elfes dans la pop culture? 
Richard : Au départ, cela vient d’une demande des éditions Hachette Heroes. J’ai été contacté pour ce sujet autour des elfes. Comme ma spécialité tire plus du côté du folklore que du cinéma par exemple, j’ai proposé de m’associer à Olivier dont les connaissances côté écrans, jeux, musique et sa passion partagée pour la fantasy en faisait le coauteur idéal.

Khimaira : De quelle manière avez-vous travaillé ensemble ?
Richard : Nous avons d’abord rassemblé un maximum de sources dans un large panel de médias. Ensuite, chacun de son côté, nous avons travaillé nos domaines de prédilection avant de relire et refondre nos styles pour gagner en unité. Nous avons été accompagnés de près par l’équipe éditoriale d’Hachette Heroes afin d’affiner les sujets, pousser toujours plus loin la réflexion. C’était un travail titanesque à effectuer dans un laps de temps assez court. EN tout, le livre a pris environ six mois avant d’arriver à ce résultat. Six mois à quatre mains et deux cerveaux, c’est l’équivalent d’un an de travail.

Khimaira : Quel a été votre principale difficulté ?
Richard : Pour moi ce fut la surprise de constater qu’il n’y avait quasiment rien sur le sujet. De rares portraits dans des études universitaires élargies à d’autres figures de la fantasy ou de la mythologie, très peu de livres s’attardant à l’archétype ou à l’image des elfes hormis le langage elfique élaboré par Tolkien… et que dire de notre sujet principal, l’elfe dans la pop culture ? Quasiment un désert de documentation. Du coup, on a un peu l’impression d’avoir ouvert une brèche… il est rare qu’une figure archétypale ne soit pas étudiée et je crois bien que ce sera le cas dans un avenir plutôt proche.
Olivier : C’est vrai que le manque de références fut une découverte étrange. Les créatures du genre horrifique sont bien plus étudiées que celles de la Fantasy. Si notre ouvrage peut initier une véritable réflexion sur l’elfe via de futures études, ce sera une belle fierté !

Khimaira : Comment décririez-vous l’influence des elfes dans la pop culture moderne ?
Richard : On peut parler d’une explosion elfique depuis que le Seigneur des Anneaux a été porté sur grand écran par Peter Jackson. L’elfe est devenu une figure mythique qui monte et qui dépassera sans aucun doute celle du vampire par exemple. Son symbolisme correspond à des questions actuelles de société. Comme mentionné plus haut, il passe un peu entre les mailles des filets universitaires, des analyses médiatiques et anthropologiques, mais sa richesse grandissante devrait changer bientôt la donne.

Khimaira : Quels sont quelques exemples de représentations d’elfes que l’on trouve dans les films, les séries télévisées ou les jeux vidéo actuels ?
Olivier : au cinéma, les trilogies du Seigneur des Anneaux et du Hobbit restent les références intemporelles pour avoir mis l’elfe au-devant de la scène. Mais avant Peter Jackson, Jim Henson avait déjà fait de l’elfe une créature centrale de son magnifique et poétique Dark Crystal. Sans oublier Hellboy 2, Thor 2 et bien d’autres. En matière de séries télé, la référence reste Les chroniques de Shannara où l’on retrouve le peuple elfe en plein chaos (peuple dont le roi est interprété par John Rhys-Davies, Monsieur Gimli en personne !). On peut encore citer The Witcher, Désenchantée du papa des Simpsons et, bien évidemment, Les Anneaux de Pouvoirs. Vouloir citer tous les jeux vidéo qui représentent des elfes est utopique mais on pense immédiatement à Zelda, Final Fantasy, Warcraft, Elder Scrolls et toutes les adaptations de l’univers de Tolkien.

Khimaira : Quelles sont les caractéristiques les plus courantes attribuées aux elfes dans la pop culture ?
Richard : le côté androgyne bien sûr, sa sagesse, son lien avec la Nature et la Terre, sa puissance guerrière bien sûr…
Olivier : sa lumière dans laquelle il baigne et qu’il recherche souvent, son amitié indétrônable et… ses oreilles pointues !

Khimaira : Quel impact les représentations d’elfes ont-elles sur la perception du public de ces créatures mythiques ?
Richard : la question semble simple, mais elle est très complexe dû au fait qu’il n’y a pas d’origine aux elfes, du moins pas d’éléments nous permettant de les définir au départ comme nous l’expliquons largement dans la première partie du livre. Il y a donc eu par le passé une image plurielle, mais encore assez de flou pour que le mythe puisse se construire dans une vision moderne, dans notre culture populaire qui semble vouloir s’accaparer cette créature pour en faire la figure de proue d’un idéal pour demain. On l’entrevoit clairement dans la littérature jeunesse : l’elfe est de plus en plus humain, attaché aux questions écologiques, véganes même autant qu’à un questionnement sur l’identité de genre. C’est en cela qu’on peut dire que l’archétype de l’elfe est en pleine reconstruction. On dépasse avec lui ce que nous avons connu pour le vampire avec Rice et les auteurs, scénaristes, artistes des années 70 qui allaient rejeter sa monstruosité, son altérité pour en faire un hérault des questions de mort, d’amour, de différence…

Khimaira : Y a-t-il des œuvres plus emblématiques que d’autres ? Tous médias confondus, vous retenez laquelle ?
Richard : Tolkien semble toujours incontournable. J’ai beaucoup aimé « La vie des elfes » de Muriel Barbery, pour avoir pu utiliser les codes elfiques dans une écriture plus contemporaine. La bande dessinée, notamment la série Elfes menée par Istin, en offrant un large panel de scénaristes et de dessinateurs, permet d’explorer plein de facettes, c’est intéressant, tout comme le Manga qui propose des elfes ne reposant pas sur un substrat culturel nippon. Du coup, ça dévie et l’elfe y devient une figure de fuite de notre société ou un objet sexuel… Mais pour moi, c’est la musique qui développe le plus l’influence des elfes dans la pop culture. Une mise en scène, une culture accompagne les notes et les textes. Tout s’y retrouve : l’écologie, une humanité idéalisée, le genre…
Olivier : Difficile de ne pas répéter Tolkien au cinéma tant il a donné aux elfes leurs lettres de noblesse, même si Dark Crystal permettra à cette créature du petit peuple de sauver un monde en perdition. Mais au travers de l’histoire des films « elfiques », c’est vraiment la recherche d’un idéal qui est exprimé, ce qui fait de chaque œuvre un jalon important dans cette quête humaine et humaniste.

Khimaira : En quoi la présence d’elfes dans la pop culture reflète-t-elle notre fascination pour le monde fantastique ?
Richard : La fantasy se différencie du fantastique car elle nous présente un monde totalement différent de notre réalité. Le fantastique est ancré dans la réalité, sans cela, pas d’effet fantastique. Ces dernières décennies, les genres s’entrecroisent, les limites s’estompent. Mais l’autre nous fascinera toujours. La Pop culture se nourrit de ces images, de ces héros différents tout en étant porteurs de nos questions humaines. La culture populaire n’est rien d’autre que le folklore contemporain, un ensemble de « croyances du peuple ». Ainsi les elfes nous fascinent car ils sont porteurs de thématiques sociétales ou se font porteurs de ces thématiques via les créateurs de contenu médiatique.

Khimaira : Existe-t-il des tendances récurrentes dans la façon dont les elfes sont représentés dans la pop culture ?
Olivier : On reconnaît très souvent dans les elfes les défenseurs de la nature, qui est un être à part entière pour eux. N’aimant pas le combat rapproché sauf s’ils y sont obligés, ils chercheront toujours une solution pacifique à tout conflit. Calme, respectueux et respecté, ils prêtent main-forte quand le besoin s’en fait ressentir, mais préfèrent rester entre eux, dans leurs lieux naturels. D’une sagesse ancestrale, ils sont souvent vus par d’autres races comme des êtres supérieurs, parfois suffisants. Mais imbattables lorsqu’il s’agit de décocher une flèche avec une précision hors du commun.

Khimaira : En quoi les représentations modernes d’elfes diffèrent-elles des représentations traditionnelles de ces créatures mythiques ?
Richard : Oulah, la question demanderait quelques pages pour y répondre. Cela tombe bien, la réponse se trouve dans le livre. En résumé, l’elfe mythique des origines semblerait être un dieu nordique, une race de dieux agraires. L’elfe moyenâgeux allemand sera lui un être malfaisant assimilé au cauchemar. Ce n’est donc ni vraiment l’un, et certainement pas l’autre, que Tolkien proposera dans le Seigneur des Anneaux et ses elfes à lui s’imposeront dans la pop culture qui en oublierait presque les autres. Un elfe angélique, un guerrier, un sage, un être attaché à la Terre. Et dans un monde où le défi écologique est devenu une question de survie pour notre espèce, l’elfe a toute sa place dans notre imaginaire.

Khimaira : Comment le choix des illustrateurs s’est-il fait ?
Olivier : Au départ, le livre était prévu sous un format plus petit et sans illustration. Au fur et à mesure de son évolution, notre éditrice, Mona Chardin et son équipe ont eu cette idée d’en faire aussi un Beau Livre illustré. Ils ont contacté neuf illustrateurs, une belle façon d’également inscrire l’ouvrage dans la pop culture puisque l’image en fait entièrement partie.

Khimaira : Dernière question, avez-vous l’intention de poursuivre cette écriture à quatre mains chez Hachette ?
Richard : Oui, si ce premier livre rencontre l’intérêt des lecteurs, nous aimerions poursuivre le travail autour des figures mythiques de la fantasy et leur présence au sein de notre pop culture.