Pierre Grimbert a été la révélation fantasy française des années 90 avant de se tourner vers la littérature jeunesse pour le bonheur des plus jeunes. Il revient maintenant sur le cycle qui l’a fait connaître et dont le tome 4 de la première édition laissait présager la suite. Mais il a en même temps coiffé la casquette d’éditeur puisqu’il édite ces deux nouveaux volumes Les enfants de Ji et La veuve barbare ainsi que le roman d’érotic fantasy de son épouse. Il est en outre présent dans Lanfeust mag avec Bazardoz, une B.D de gags en une page dans un univers de fantasy. Khimaira a été à la rencontre de ce brillant touche à tout pour vous dévoiler ses motivations et ses projets. Extraits :
 
K : Le cycle de Ji, ton premier roman, révèle déjà une maîtrise des ressorts et de la dynamique de l’intrigue, le lecteur a assez peu le temps de souffler et, même une fois le secret de l’île de Ji révélé, de nouvelles interrogations se bousculent. S’agit-il là de ton coup d’essai ou bien avais-tu déjà écrit d’autres romans refusés ?
 
PG : Tout d’abord, merci pour tous ces compliments ! « le Secret de Ji » est bien mon premier roman, mais j’étais, en revanche, déjà auteur du scénario de deux albums BD… qui n’ont jamais vu le jour. Depuis, j’ai allégrement pillé les idées de ces premiers récits complets pour habiller l’un ou l’autre texte.
 
K : Dans le cycle de Ji, les personnages de Yan et de Leti sont d’un certain côté poussés à grandir de façon accélérée, et d’un autre renvoyés vers la petite enfance par l’irruption du merveilleux dans leur quotidien. Est-ce pour toi un nécessaire équilibre ou bien déjà l’expression d’un attachement envers un public plutôt jeune ?
 
PG : Très sincèrement, je ne me suis pas posé ces questions lors de l’écriture. On entre donc dans le domaine de l’inconscient… Que répondre ? Par ailleurs, dans le cas de Yan et Léti, j’aurais tendance à dire que l’irruption du fantastique dans leurs vies les pousse plutôt vers l’âge adulte. Ils découvrent un tas de choses qu’ils n’avaient jamais soupçonnées, et les assimiler au plus vite est pour eux une question de vie ou de mort…
 
 
 
K : Leti dans le cycle de Ji ou Lucia dans la Malerune sont de jeunes et jolies jeunes femmes, et pourtant des guerrières, est-ce par peur du cliché ou bien l’expression d’une égalité des sexes dans un genre réputé plutôt machiste ?
 
PG : C’est vrai que cette image de la belle esclave/princesse/prêtresse accrochée au mollet de son sauveur bardé de muscles, je l’ai trop vue. Mais si j’aime les personnages de guerrières, c’est davantage pour leur caractère forcément complexe. Et il me reste encore beaucoup de choses à écrire sur ce thème !
 
K : Dans le cycle de Ji, alors que de nombreuses contrées sont traversées, peu de créatures extraordinaires sont décrites, et même aucune n’est consciente, mis à part humains et dieux. A l’inverse, dans le premier tome de la Malerune, alors que l’action se déroule dans un espace relativement restreint, les créatures fantastiques et intelligentes pullulent. Pourquoi cette évolution dans ta façon d’aborder la Fantasy ?
 
PG : Tout simplement : après avoir décrit plusieurs civilisations humaines dans Ji, je voulais explorer autre chose. Et comme « la Malerune » aurait dû être une série jeunesse, j’avais imaginé ce monde foisonnant, prétexte à de nombreuses intrigues… Avec le recul, je me sens plus à l’aise dans des univers abritant peu d’espèces intelligentes. Car les interractions entre des peuples si différents sont riches de tant de possibilités, qu’un récit peut en devenir difficile à mener jusqu’au bout avec cohérence et vraisemblance…
 
K : Le motif de la caverne, de la grotte est le lieu de mystères, de peur moites et sombres dans le cycle de Ji comme dans la Malerune, c’est un élément qui t’inspire ?
 
PG : La caverne, le passage secret, les souterrains… l’essence même de l’aventure mystérieuse ! Comment ne pas s’en inspirer ? Qui n’a jamais eu peur de descendre à la cave, dans ses jeunes années ?
 
 
K : Pourquoi avoir écrit si peu de nouvelles ? Est-ce un format qui ne t’attire pas ?
 
PG : À mes yeux, une nouvelle n’est intéressante que si sa fin est surprenante. Mais je baigne dans la fantasy qui ne se prête pas particulièrement à l’exercice… En revanche, je travaille (entre-deux !) à un recueil de nouvelles pour la jeunesse, dans le genre « horreur ». La démarche n’est pas originale pour un sou, mais comme j’ai quelques idées et que c’est très amusant à faire, j’irai jusqu’au bout !
 
K : Pour Jacques Goimard, l’écrivain conçoit son texte sans le destiner à un public précis. Il est toutefois certain qu’il est nécessaire d’adapter son écriture lorsque l’on sait écrire pour un public plus jeune. L’idée même de l’histoire est-elle ainsi ciblée, ou bien n’est-ce que dans son traitement que tu l’adaptes au lectorat ?
 
PG : Pour « les Aventuriers de l’Irréel », chez Degliame, où il est question d’une sorte de console de jeu vidéo magique, les intrigues fantastiques sont clairement destinées aux plus jeunes. Les histoires du monde de « Dragonia », chez Bayard, auraient pu prendre la forme de romans adultes… Il n’est d’ailleurs pas impossible que je reprenne l’un ou l’autre de ces héros, un jour, pour un récit plus long et plus fouillé. Dans mon cas et jusqu’alors, en ce qui concerne la fantasy, le passage d’un public à un autre est surtout une question de format et de niveau de lisibilité.
 
K : Pourquoi t’être tourné, pendant un temps du moins, presque exclusivement vers la littérature jeunesse ?
 
PG : Je désirais en faire depuis longtemps ; « la Malerune » était d’ailleurs conçue, à l’origine, comme une série jeunesse. Il s’est trouvé deux éditeurs pour me proposer une place dans leurs collections (Degliame et Bayard), pratiquement à la même époque. Et leurs offres tombaient bien puisque, ayant quitté mon emploi pour me lancer dans l’écriture, j’étais avidement en quête de contrats ! Bref, les choses se sont faites assez naturellement et m’ont occupé quelques années.
 
K : Comment s’est déroulé ta collaboration avec Michel Robert sur la Malerune ? N’as-tu jamais eu l’envie de reprendre le cycle ?
 
PG : Tout cela s’est fait très simplement. Nous avions déjà évoqué avec Mnémos la possibilité de faire reprendre le cycle par un autre auteur. Un jour, l’éditeur m’a annoncé qu’ils avaient trouvé quelqu’un qui correspondait à leurs attentes. Je n’avais plus qu’à me décider, une fois pour toutes : écrire la suite, ou laisser quelqu’un d’autre s’en charger ? Comme j’étais occupé sur autre chose, j’ai donné mon accord et Michel s’est mis au travail avec beaucoup d’énergie. Je lui ai confié les quelques notes en ma possession, nous avons beaucoup discuté de mes idées d’origine et de ses propres apports, souvent géniaux, puis il est passé à la rédaction et je n’ai plus eu alors qu’à découvrir les chapitres en avant-première !
 
K : Trouves-tu que le scénario de bande dessinée est un art plus complexe que le roman ? Le passage à la bande dessinée relève-t-il d’une frustration quant à l’expression graphique alors que ton écriture est très « visuelle » ?
 
PG : J’ai maintenant plus de facilité à écrire un roman qu’un 46 planches de BD, mais ça ne signifie pas que l’un ou l’autre art soit plus complexe. J’imagine que c’est une question d’habitude et de travail… Par ailleurs, avec « Bazardoz » publié dans « Lanfeust magazine », je ne fais que des gags en une planche, et on ne peut pas vraiment comparer ça avec un récit complet nécessitant des semaines d’écriture.
Ma collaboration avec le talentueux Philippe Fenech se passe au mieux ; rien à dire ou à regretter là-dessus ! Quant à la frustration, et bien… je suis probablement jaloux de tous ces illustrateurs, d’accord, j’avoue !
 
K : Tu te lances aujourd’hui dans l’édition avec les éditions d’Octobre, quels sont tes objectifs ? Ne crains-tu pas que l’éditeur n’empiète sur l’écrivain ?
 
PG : La création d’Octobre a été imaginée il y a deux ans environ ; elle est la suite logique de deux parcours (le mien et celui de ma compagne Audrey Françaix) dans l’univers du livre. Par-dessus tout, nous désirions aller plus loin encore dans le processus de création, en participant davantage à la naissance de l’objet-livre. Nos objectifs sont modestes ; notre esprit est plus celui de l’artisan que du capitaine d’industrie. Si nous pouvions simplement vivre de quelques parutions par an, avec cette grande liberté de manœuvre qui va de pair, ce serait parfait !
Le travail de l’éditeur n’empiètera pas sur ma nature d’écrivain. Il la complète, plutôt… C’est très plaisant de pouvoir changer d’activité de temps en temps ; je suis incapable d’écrire roman sur roman, douze mois de l’année.
 
K : Ton épouse est aussi ta collaboratrice aux éditions d’Octobre et elle est également écrivain, quelles influences pouvez-vous avoir l’un sur l’autre d’un point de vue littéraire ?
 
PG : Nous baignons dans les mêmes rêves, mais nous avons chacun nos propres univers, bien sûr… aussi, nous pouvons très facilement échanger des idées, quand nous pensons qu’elles seront mieux utilisées sous une autre plume. Discuter ensemble de nos intrigues permet souvent de les enrichir, également. Enfin, nous sommes nos relecteurs et correcteurs respectifs. Bref, Audrey m’est très précieuse, et j’espère l’être moitié autant à ses yeux !