Lors des secondes Rencontres de l’Imaginaire qui ont eu lieu à Sèvres le 10 Décembre dernier, Khimaira a rencontré pour vous Manchu, illustrateur reconnu s’il en est, et dont vous pourrez retrouver certaines œuvres compilées dans l’opus Science-Fiction de la collection Série B aux éditions Delcourt. Vous le découvrirez lecteur et artiste tout à la fois, astronaute de vocation donnant corps à plusieurs articles de la revue Ciel et Espace. Plongez immédiatement dans l’univers de celui qui apporte de la couleur à vos lectures, une image à l’Imaginaire qu’il illustre avec rigueur et talent.
 
Khimaira : Quelle est votre formation ?
 
Manchu : J’ai un CAP dessin publicitaire. Je voulais être astronaute donc j’ai cherché à me lancer dans des métiers où il y avait pas mal de maths, mais je n’étais pas assez balaise pour être astrophysicien, alors je me suis passionné pour la technique ce qui se ressent dans les dessins que je fais.
En ce moment je travaille avec l’association Planète Mars, avec des techniciens qui étudient l’exploration de Mars. Je m’amuse à concevoir des rovers pressurisés, non-pressurisés et j’ai immédiatement le retour des ingénieurs. J’apprends des trucs ! J’apprends plein de chose tout le temps et j’adapte à ma façon de représenter, en fonction des nouvelles technologies. J’essaye de suivre.
L’éveil à l’art ne faisait pas partie de ma formation, si ce n’est savoir dessiner parfaitement une colonne ionique, une colonne corinthienne. Ceci dit quand on me demande d’en réaliser une maintenant, je la réussit sans problème ! (rires) L’école tenait beaucoup à ce que l’on sache impeccablement dessiner une lettre et mine de rien, quand on en a une à dessiner sur un volume, c’est extrêmement utile.
 
K : Vous avez commencé votre carrière en travaillant sur la série Ulysse 31; quel y a été votre rôle et qu’est-ce qui vous a amené à partir ?
 
M : Je m’occupais de créer le design de tous les vaisseaux, notamment celui d’Ulysse avec l’œil au milieu. Mais je n’étais pas satisfait du rendu à l’écran, la qualité des dessins étant largement appauvrie à cause, en partie, de la systématisation du travail.
 
K : Pensez-vous que cela soit inhérent à l’animation ou bien est-il possible que les choses se passent mieux ?
 
M : Non, c’est une question de personnalité, mais moi ce n’est pas le genre de travail qui me convient. Ce que j’apprécie c’est l’aspect minutieux, le soin apporté aux détails. C’est pour cela que je me suis tourné vers l’illustration ! Dans le milieu de l’animation, ton dessin repasse entre les mains de plusieurs personnes, le font est changé… finalement on ressent une certaine désappropriation de son travail.
 
K : Quelle est votre démarche pour créer une couverture ? êtes-vous en contact avec l’auteur ? Quelle différence y a-t-il dans la démarche de réalisation entre une illustration de SF et une pour Ciel et Espace ?
 
M : Je lis le roman qui m’a été envoyé, généralement dans on intégrité et rarement en diagonale.
Cela m’arrive, d’être en relation avec l’auteur mais ce n’est pas systématique. Je travaille sur la collection Mango jeunesse, et là j’essaye de prendre contact avec les auteurs car c’est toujours intéressant d’avoir leur vision de la couverture et de leur demander un peu ce qu’ils attendent. Ce qui ne veut pas dire que je vais suivre à la lettre, mais c’est toujours intéressant. Avec les auteurs anglo-saxons, ça n’arrive jamais pour des raisons matérielles. En revanche l’éditeur donne assez fréquemment sa vision, propose des idées pour les couvertures et c’est souvent assez bien vu. Je suis toujours preneur d’une bonne idée, et sinon cela fait une base de réflexion. Ensuite, en fonction de l’inspiration, je soumets une ou plusieurs peintures. Cela dépend aussi de l’exigence du directeur artistique. Par exemple Gérard Klein est très méticuleux.
Ensuite j’envoie à l’éditeur qui va s’occuper de numériser la planche en espérant que ça ne se perde pas en chemin et que ce ne soit pas plié.
Concernant les approches, il n’y a pas spécialement de différence car Ciel et Espace, qui est une revue de vulgarisation scientifique, porte souvent sur des thèmes qu’on n’a jamais vus. Je me fie surtout à la description des journalistes scientifiques et j’essaye de rendre la chose assez sympa. Pour un trou noir par exemple, personne n’en a jamais vu et n’en verra jamais et ma représentation, si elle est assez naïve, je pense qu’elle reste assez jolie. J’essaye de faire qu’on s’y croit. Dans les deux cas, j’essaye de m’imaginer ce que ça donnerait si j’avais pris une photo.
 
K : Vous travaillez sur des BD maintenant, avec Amenophis IV et Golden Cup. Quelle y est votre tâche ?
 
M : Là encore, je suis designer. Je travaille en amont avec le scénariste à chaque fois qu’il y a, par exemple, une voiture à faire, un élément technique à dessiner… je m’occupe de tout ça et ensuite je transmets l’ensemble au dessinateur et ça en reste là. Du coup, c’est un rapport très différent car, au final, mon travail n’est pas du tout représenté, la BD est réinterprétée avec soin et bien dessinée. C’est un boulot vraiment très intéressant et c’est vraiment un plaisir.
Je n’aimerais pas personnellement être dessinateur de Bande Dessinée. Je n’aime pas être confiné dans des petites cases, je ne me sens pas à l’aise dans la représentation de personnages ; alors le reproduire pendant 40 pages… ! (rires)
 
K : Ce travail vous laisse-t-il le temps de lire autre chose ? de la BD peut-être ?
 
M : Cela ne me laisse en effet pas tellement de temps, mais je ne suis de toute façon pas vraiment lecteur de BD. En revanche, depuis que je suis chez Delcourt, je suis impliqué dans des couvertures d’album. C’est un travail vraiment différent de la réalisation de l’album lui-même, qui fait appel à des techniques presque opposées, et il se trouve que ce n’est pas toujours le dessinateur qui le fait. C’est un exercice très particulier la couverture. Ca a été le cas sur Arcane. Je ne suis là pas en contact avec le dessinateur mais avec le directeur artistique. Ce dernier laisse une bonne part de création quand même.
 
K : Quelles sont vos inspirations ?
 
M : Christopher Foss, c’est évident. Sinon des illustrateurs comme Mc Call de la Nasa, Sid Mead qui a travaillé sur Blade Runner. Sinon les peintres du XIXème pour la lumière comme Messonier, Gérôme et dernièrement l’expo sur l’art russe à Orsay. Le XXème siècle ne m’a pas tellement marqué.
 
K : Quel intérêt portez-vous à l’outil informatique ?
 
M : Ca me tente de manipuler ce truc là, mais il faut avoir le temps et les conseils. Je pense que je resterai de toute manière fidèle au traditionnel, mais la possibilité de pouvoir modéliser en 3D – ce qui prendrait évidemment beaucoup trop de temps – afin de pouvoir changer de point de vue à loisir sans avoir à refaire l’illustration entière m’intéresse bien. Le contact avec la peinture me manquerait trop pour la mise en couleur. Et puis ça pose le problème de l’original. Quand on veut vendre quelque chose, les gens veulent avoir quelque chose que l’on a vraiment touché. Du point de vue l’édition ça faciliterait les choses car il n’y aurait pas à numériser.
 
K : On vous voit assez peu souvent en dédicace, une raison à cela ?
 
M : C’est vrai mais il n’y a pas de raison particulière. Déjà je ne suis pas invité sur des salons de BD, seulement sur des salons de SF ; ça réduit déjà le champ.
 
K : Vous êtes-vous déjà intéressé à un autre domaine de création ?
 
M : Pas spécialement. La sculpture de vaisseaux un peu et à petite échelle, mais je me suis pas trop lance car je sens que ça va vite m’énerver ; je vais vouloir faire la structure intérieure et ce genre de détails prend un temps fou et est difficile à exécuter. J’aimerai bien, comme Messonier faire des modèles pour voir de quelles manières tombent mes ombres et ainsi de suite, mais je n’ai que huit jours pour faire une illustration. Je travaille à l’acrylique pour des problèmes de temps ; j’aimerais bien travailler à l’huile et, si j’avais le temps, faire des tableaux pour travailler sur des formats encore plus grands.
 
K : C’est une grande contrainte ?
 
M : Oui. Et encore, j’ai l’occasion d’en faire pas mal donc le problème financier se pause moins.