Au sein de cette communauté trop restreinte qui fait vivre la fantasy made in France, il existe un auteur incontournable lorsque l’on se dit amateur de fantasy locale : Pierre Pevel. Avec douze romans à son actif, dont onze ont été publiés, cet auteur à l’imagination débordante est devenu l’un des acteurs les plus en vogue sur la scène française des genres imaginaires.
A l’occasion de la sortie de son prochain roman, le tome 2 des Lames du Cardinal (dont la date de publication n’est pas encore connue pour l’instant), Khimaira vous invite à découvrir cet auteur au talent indéniable…
Les débuts de Pierre Pevel ont été marqués par l’univers rôliste. Après un parcours universitaire en Hypokhâgne et Khâgne, il se lance dans la création d’univers pour le jeu de rôle, notamment avec l’élaboration du monde de Nightprowler pour Siroz Production, sous la direction de Croc, le pionnier du jeu de rôle francophone. Les premiers romans de Pierre Pevel, écrits sous le pseudonyme de Pierre Jacq, se déroulent d’ailleurs dans cet univers.
Puis, il délaisse la fantasy et fait une petite incursion dans le steampunk avec Viktoria 91 (retenu d’abord par Fleuve Noir, mais finalement publié par Imaginaires sans Frontières en 2002). En 2001, le premier tome de sa fameuse série « Wielstadt » est édité chez Fleuve Noir. Les Ombres de Wielstadt remporte le Grand Prix de l’Imaginaire en 2002. S’en suivent les tomes 2 et 3 avec Les Masques de Wielstadt (2002) et Le Chevalier de Wielstadt (2004). Cette trilogie nous dépeint les aventures du Chevalier Kantz, fin connaisseur des engeances démoniaques, sur fond de guerre de Trente Ans.
Parallèlement, Pierre Pevel fait publier une autre série à succès, en deux tomes cette fois-ci : Les Enchantements d’Ambremer (2003) et L’Elixir de l’Oubli (2004) aux éditions du Pré-aux-Clercs, qui obtient le Prix Imaginales en 2005. Ces romans de fantasy urbaine mettent en scène Louis Denizart Hippolyte Griffont, mage du Cercle Cyan, qui mène des enquêtes au cœur d’un Paris imaginaire et féerique.
En octobre 2007, Les Lames du Cardinal parait aux éditions Bragelonne. Dans ce roman, le penchant de Pierre Pevel pour le XVIIe siècle et pour les romans de capes et d’épées se fait tout particulièrement ressentir. Hommage évident aux Trois Mousquetaires et à son auteur, Alexandre Dumas, Les Lames du Cardinal va même jusqu’à faire apparaître des personnages échappés de ce chef d’œuvre historique : Athos et Rochefort, par exemple. Au départ des Lames du Cardinal, il y a cet élément déclencheur : Pierre Pevel découvre un livre historique qui relate les aventures d’un espion anglais retrouvé par des agents du Cardinal de Richelieu à l’étranger. A partir de là, l’écrivain a su développer une intrigue passionnante, mélange d’histoire (six mois de travaux de recherche) et de magie.
Aujourd’hui, Pierre Pevel se consacre entièrement à l’écriture, mais il évite autant que possible de se laisser influencer par les autres auteurs de fantasy : cela fait longtemps qu’il ne lit plus de romans de ce genre (autrefois du Moorcock, du Zelazny ou du Howard) à part peut-être Terry Pratchett et Tolkien. Ses auteurs favoris sont Donald Westlake, James Lee Burke, Goscinny ou encore Flaubert et Maupassant. Sans oublier Alexandre Dumas, bien évidemment.
Pour finir, il faut dire que Pierre Pevel a réussi là où tous les autres auteurs de son genre ont échoué face au féroce marché anglophone : Les Lames du Cardinal est tout de même le premier roman de fantasy française adulte a être traduit en anglais ! Gollancz, l’une des maisons d’éditions du grand groupe Orion va publier cette œuvre en mai 2009 sous le titre de The Cardinal’s Blades. Les droits ont également été achetés par l’Allemagne, la Hollande, l’Espagne, la Russie et la République Tchèque.
Avec tout ce succès, on ne s’avancera pas trop en disant que la littérature de l’imaginaire n’a pas fini d’entendre parler de Pierre Pevel…

 

Depuis ses débuts dans l’univers du jeu de rôle, Pierre Pevel a connu un parcours riche en expériences. Afin de mieux comprendre le personnage qu’il est aujourd’hui et sa position au sein de la fantasy française, il a accepté de répondre aux questions de Khimaira, pour le plus grand plaisir de ses nombreux lecteurs…

Khimaira : Fantasy urbaine, steampunk, uchronie, fantastique : Vous aimez mélanger les genres, l’Histoire et la magie, les créatures classiques de la fantasy (fées, gargouilles, dragons…) et des détails historiques qui sont souvent d’une grande précision. Comment en êtes-vous arrivé à ce cocktail détonnant, et incroyablement efficace ?

Pierre Pevel : A l’époque, quand ce qui allait devenir la trilogie de Wielstadt n’était encore qu’un vague projet, j’ai longtemps hésité entre écrire un roman de cape et d’épée et un roman de fantasy. Ce sont deux genres que j’adore. Puis, après avoir beaucoup tergiversé, je me suis frappé le front (ou presque) en me disant que je n’avais qu’à faire les deux en même temps !
En fait le cocktail dont vous parlez est le résultat de la réunion de deux de mes centres d’intérêt : la fantasy et l’Histoire, et plus particulièrement la première moitié du XVIIe siècle. J’écrirai des choses sans doute très différentes si j’étais passionné par la philatélie.

K : Vos premiers romans se situent dans l’univers du jeu de rôle Nightprowler. Pourquoi avoir d’abord choisi d’écrire ces histoires sous le pseudonyme de Pierre Jacq ?

P : L’idée me semblait bonne, alors. J’avais tort… Mais ce n’est pas du tout parce que j’avais honte de ces bouquins. Peut-être une forme de timidité… Je suis bien en peine de vous répondre et je réalise à quel point cette période me paraît lointaine. Le premier roman Nightprowler a paru en 96, je crois. Il y a 12 ans donc. J’ai l’impression qu’il s’agit d’une autre vie…

K : De vos premiers romans dans les univers du jeu de rôle jusqu’aux Lames du Cardinal aujourd’hui, vos œuvres ont toujours été étroitement liées avec la fantasy et l’imaginaire. Avez-vous déjà eu envie d’écrire dans un tout autre genre ? Peut-être un policier vu votre goût pour les enquêtes et l’élucidation de meurtres ?

P : Il y a quelques temps, je me suis mis à réfléchir à l’intrigue d’un polar contemporain. Et je vous jure qu’au bout de quatre chapitres, la maison du crime était hantée !… Je n’y peux rien. Je suis comme ça. Mon imaginaire est ainsi fait que le merveilleux, le fantastique ou l’horreur finissent toujours par montrer le bout de leur nez dans l’intrigue. J’avais dix ans quand j’ai découvert Star Wars au cinéma. Après, il y a eu Conan, Excalibur, Indianna Jones. Ceci explique peut-être un peu cela.

K : Lorsqu’on lit des œuvres comme Les Lames du Cardinal ou la trilogie de Wielstadt, on comprend rapidement que vous avez un goût prononcé pour le XVIIe siècle et pour les romans de capes et d’épée : expliquez nous votre fascination pour cette époque en particulier ?

P : Vous pourriez aussi bien me demander d’expliquer pourquoi j’aime les profiteroles au chocolat ! Je n’en sais vraiment rien. C’est comme ça. Il me suffit de voir un type habillé en mousquetaire, rapière au poing et bottes aux pieds, donner trois coups d’épée, pour que ça me transporte. J’adore les duels, les cavalcades, les complots, les trahisons, bref, tout ce qui fait le genre cape et épée. Je collectionne les films et les romans qui appartiennent à ce genre. Et je me suis découvert, au fil de mes recherches, une passion pour la France et le Paris de Louis XIII. Tout ça grâce à Alexandre Dumas et à la trilogie des mousquetaires. Mais aussi grâce aux travaux de quelques historiens.

K : Des dragons à l’apparence humaine dans les Lames du Cardinal, des dragons ancestraux et auréolés de mystères dans l’Elixir d’Oubli ou encore la ville de Wielstadt qui bénéficie de la protection de l’une de ces créatures mystiques… Les dragons et autres créatures apparentées tiennent une place toute particulière au sein de vos romans : ces êtres légendaires vous fascinent à quel point et pour quelles raisons ?

P : D’abord, un dragon, ça a de la gueule. Ensuite, le dragon est LA créature de fantasy : il suffit d’ailleurs d’en coller un sur la couverture d’un livre pour savoir à quoi on a affaire. C’est donc que le dragon est particulièrement emblématique. Enfin, le dragon est polymorphe. Il peut aussi bien être une créature brutale qu’un être raffiné et cultivé, une puissance maléfique qu’une puissance bénéfique. Tout dépend de l’auteur qui reprend cette fabuleuse créature à son compte.

K : Lorsque vous vous attelez à l’écriture d’un roman, vous avez déjà une idée précise du découpage de votre intrigue : pouvez-vous nous en dire plus sur la façon dont vous faites naître vos histoires et sur vos habitudes d’écriture ?

P : Je commence par réfléchir à l’univers. Je me documente sur la période historique et je développe les aspects imaginaires de l’univers. Quand j’ai une idée assez précise du contexte, je réfléchis à l’histoire et aux personnages. Après, je réalise un scénario assez détaillé, avec un découpage en scènes ou chapitres. Et enfin j’attaque l’écriture. Il est rare que je revienne sur des aspects fondamentaux de l’univers. Mais je peux remanier le script en cours d’écriture, quitte à jeter beaucoup, pour le mieux j’espère. Chez moi, le temps de la création de l’intrigue est aussi long que celui de l’écriture. Je considère d’ailleurs que j’ai deux métiers : celui de scénariste et celui de romancier. Je change de métier à mi-parcours.

K : Aujourd’hui, vous vous consacrez entièrement à l’écriture de romans, une chance qui est donnée à bien peu d’auteurs. Cette carrière d’écrivain est-elle un aboutissement en soi ou êtes-vous « tombé » dans l’écriture un peu par hasard ?

P : J’ai commencé à travailler dans le jeu de rôle. C’est à cette époque que j’ai eu l’occasion d’écrire des romans situés dans l’univers de Nightprowler, un univers que j’avais développé en collaboration. J’ai pris goût à l’exercice. Et quand j’ai compris que j’étais allé aussi loin que je le pouvais dans le JdR, je me suis tourné vers la seule autre chose que je savais plus ou moins faire.

K : Entre l’Elixir de l’Oubli (2004) et Les Lames du Cardinal (2007), il s’est écoulé trois ans. Pourquoi une si longue attente une si longue attente entre ces deux œuvres ?

P : J’ai traversé une mauvaise passe. Et j’ai développé deux projets qui n’ont pas abouti… Mais je n’ai pas totalement renoncé au premier et le second a fait, indirectement, que je suis désormais le traducteur des James Bond de Fleming chez Bragelonne, donc ces années difficiles n’ont pas été vaines…

K : Vous travaillez actuellement à l’écriture de la suite des Lames du Cardinal. Que pouvez-vous nous dire de ce second tome et s’agira t-il d’une trilogie ?

P : Je ne peux rien vous dire ou presque sur le tome 2 des Lames. Un peu par superstition. Mais surtout parce que le roman peut encore évoluer dans des directions encore imprévues… Il y aura un tome 3. Après, je ne sais pas. Si mon envie persiste, on peut concevoir des tomes 4, 5 et 6. Avec les mêmes personnages. Ou avec d’autres, mais dans le même univers. On verra. Un des plaisirs de romanciers est justement la liberté qu’il apporte.

K : Les Lames du Cardinal sera le tout premier roman de fantasy française adulte à être publié en anglais en mai 2009 par la maison d’édition Gollancz (groupe Orion), ce qui constitue une brillante réussite aux vues de l’élitisme du marché anglais : que ressentez-vous exactement face à cet évènement qui pourrait bien devenir un véritable tremplin pour la fantasy française ?

P : Je ne suis pas certain que le marché anglo-saxon de la fantasy soit élitiste. Après tout, il y a des daubes qui paraissent là-bas comme partout ailleurs… Mais il est vrai que les éditeurs anglo-saxons ne sont pas très curieux de ce qui s’écrit en fantasy dans une autre langue que l’anglais… D’un autre côté, est-ce que les éditeurs français les assiégeaient vraiment ? Les choses ne se font pas par hasard. Il faut que des liens s’établissent entre les personnes. Que des relations de confiance et d’estime professionnelle se développent. Certes, les anglo-saxons ont peut-être tendance à regarder la fantasy européenne d’un œil légèrement condescendant. Mais si les Français attendaient qu’on vienne les chercher, ils pouvaient attendre longtemps, et c’est exactement ce qui s’est passé…
Pour ma part, je suis ravi de ce qui m’arrive. J’espère que la qualité de mon bouquin y est pour quelque chose, mais je suis convaincu que je bénéficie du travail accompli au fil des années par Stéphane Marsan et Alain Nevant auprès des éditeurs étrangers en général et anglais en particuliers. Et je souhaite que d’autres Français soient bientôt traduits en anglais. L’expérience est intéressante car les anglo-saxons ont une manière particulière de travailler au niveau éditorial.

K : Vous êtes un acteur majeur des littératures de l’imaginaire en France. En tant que tel, quelle est votre opinion concernant le milieu actuel de la fantasy française ?

P : Je ne suis pas certain d’être un acteur majeur de quoi que ce soit. Ce qui tombe très bien, parce que je n’ai absolument aucune opinion concernant le milieu actuel de la fantasy française. A vrai dire, je ne savais même pas que ce milieu existait avant que vous me posiez la question… Et je plaisante à peine ! S’il y a un milieu, je ne le fréquente guère. Je rencontre mon éditeur et quelques auteurs, mais je ne lis pas mes petits camarades. D’ailleurs, je ne lis pas de fantasy. Ange excepté. Et Pratchett.

K : Le texte que vous avez écrit et qui suit cette interview est une grande avant-première et constitue une prémisse alléchante au second tome des Lames du Cardinal. Pouvez-vous nous parler de ce texte ? En quoi complète t’elle votre roman à venir ?

P : Il s’agit tout simplement du début du tome 2 ! Nous sommes un mois après la fin du tome 1 et, déjà, les Lames sont de nouveau sur la brèche. Cette fois, il va s’agir pour le capitaine La Fargue et les autres de démêler le vrai du faux après les révélations inquiétantes d’une espionne.

K : Avez-vous d’autres projets en tête dont vous pouvez parler aux lecteurs de Khimaira ?

P : Non. Parce que je n’ai pas d’autres projets en tête. Il faut que je finisse l’écriture du tome 2 des Lames. Puis il faudra déjà songer au tome 3. Dans le même temps, je continue à traduire James Bond… Les Lames m’occupent vraiment beaucoup, et je suis loin d’en avoir fini avec elles !

 

Un grand merci à Pierre Pevel pour sa participation active à ce dossier, ainsi qu’aux éditions Bragelonne et Pré-aux-Clercs pour leur précieuse collaboration.

 

Propos recueillis par Mélanie Lafrenière