La nouvelle collection SF chez Syros, « Soon », sera destinée aux jeunes adolescents et dirigée d’une main experte par Denis Guiot, anciennement actif au sein des éditions Mango. En attendant ses premiers titres prévus pour mai 2008, Khimaira a braqué ses projecteurs sur un directeur de collection qui a plus d’un tour dans son sac…
Khimaira : Vous êtes directeur de collection depuis plusieurs années. Pouvez-vous nous dire en quoi consiste exactement cette profession ? Existe-il des études particulières pour suivre cette voie ?
Denis Guiot : Diriger une collection consiste à en définir l’identité : à qui s’adresse-t-elle ? quels sont ses buts ? etc. Une collection n’est pas un simple catalogue de titres, c’est une entité littéraire qui est le reflet de la personnalité de son directeur, de ses goûts, de ses aspirations.
Je choisis donc les manuscrits. C’est-à-dire : je lis les textes que l’on m’envoie ; je sollicite des auteurs ou bien ils me contactent ; je discute du synopsis avec les auteurs qui le souhaitent (Christophe Lambert appelle ça du ping-pong) ; je retravaille les manuscrits en collaboration avec les auteurs, de façon à ce que leur œuvre soit la meilleure possible : le directeur de collection apporte un regard extérieur absolument indispensable, car l’auteur est immergé dans sa création et n’a pas la distance nécessaire pour analyser son œuvre. Cette étape de la vie du manuscrit est extrêmement riche, car nourrie d’échanges passionnés.
Pour accompagner le livre dans sa future vie, il faut aussi lui donner les moyens de se faire connaître. Donc, je rédige l’argumentaire destiné aux représentants et aux journalistes, je rencontre les représ, je rédige aussi la 4ème de couverture.
Il n’y a pas d’étude pour être directeur de collection, qui est une activité qui relève essentiellement de la passion. Mais elle s’inscrit, bien sûr, dans les professions liées à l’édition, et donc suivre un cursus « métiers de l’édition » ne peut pas faire de mal.
K : En tant que directeur de collection, vous êtes surtout connu pour avoir créé « Autres Mondes » en octobre 2000, lorsque Mango était encore une maison d’édition indépendante, et l’avoir dirigée pendant 7 ans. Comment avez-vous procédé pour créer et lancer cette collection ?
D.G. Mango (déjà éditeur de la série anglaise de fantasy, Rougemuraille de Brian Jacques) voulait se lancer dans la SF jeunesse, mais ne savait comment s’y prendre. Ils ont fait appel à moi. Comme, en ce début d’année 2000, « Vertige SF » était mise en sommeil (expression pudique pour dire que la collection était arrêtée), j’ai accepté, après avoir demandé et obtenu carte blanche de Hugues de Saint-Vincent, le fondateur-boss de Mango, et de la directrice éditoriale Elisabeth de Lambilly-Bresson. Lorsqu’elle était indépendante, Mango était une boîte qui fonctionnait à la passion, ce qui en faisait tout le charme.
K : Pouvez-vous nous parler de votre parcours éditorial avant « Autres Mondes » ?
D.G. Juste une remarque préalable pour préciser que mon « vrai » métier est enseignant (je quitte d’ailleurs l’Éducation Nationale cette année).
J’ai démarré dans la SF en 1974 en tant que critique littéraire. J’ai travaillé dans la plupart des revues spécialisées, mais aussi dans des magazines comme L’Étudiant, Télérama ou Phosphore (où j’officie toujours d’ailleurs), j’ai dirigé deux dictionnaires et plusieurs anthologies.
Je me suis aussi spécialisé dans le domaine de la SF Jeunesse. Ainsi, j’ai créé en 1982 la catégorie Jeunesse dans le Grand Prix de la SF Française (devenu depuis le Grand Prix de l’Imaginaire)
Mais cela ne me suffisait pas, je voulais être plus en amont de la chaîne du livre, je voulais tâter de l’édition, afin de pouvoir proposer ma vision de la SF Jeunesse.
En 1993, Jacques Goimard me met en contact avec Nathan qui désirait publier de la SF dans leur nouvelle collection généraliste « Pleine Lune ». J’ai donc proposé, en tant que directeur d’ouvrages, quatre romans, dont Les Mange-Forêts de Kim Aldany (pseudonyme de Danielle Martinigol et Alain Grousset) et L’École qui n’existait pas de Gudule.
Puis Gudule m’a présenté à Hachette qui cherchait un directeur de collection spécialisé en SFJ. J’ai donc créé « Vertige SF » en octobre 1996, collection que j’ai dirigée jusqu’à début 2000, date à laquelle elle s’est arrêtée, après 21 titres parus. Pendant cette période, j’ai été aussi directeur d’ouvrages pour Le Livre de Poche Jeunesse sur huit titres (dont Papa j’ai remonté le temps de Raymond Milesi et La Maison brisée de Francis Berthelot).
K: Durant sept ans, vous avez dirigé « Autres Mondes » chez Mango. Pourquoi avez-vous décidé de partir ? Et comment l’opportunité de cette nouvelle aventure chez Syros s’est-elle présentée ?
D.G. Je rappelle que Mango a été racheté en 2003 par Fleurus, qui dépend de Media Participations (leader européen de l’édition du Missel, soit dit en passant).
Un conflit très grave m’a opposé pendant tout le 1er semestre 2007 à ma direction, à propos du roman Les Orphelins de Naja de Nathalie Le Gendre – que j’avais programmé pour mai 2007. Le manuscrit (dont un des thèmes est la pédophilie dans l’Église), a paniqué l’éditrice dès sa réception en janvier (version pourtant provisoire, car destiné à l’illustrateur Benjamin Carré afin qu’il prenne un peu d’avance dans son travail) et inquiété le directeur éditorial au point qu’il me téléphone pour m’annoncer qu’il s’opposait à la publication en l’état du manuscrit car il ne « voulait pas d’emmerdes avec les actionnaires ».
J’ai vécu cela comme un manque total de confiance de la part de ma direction. Les quarante-six romans que j’ai dirigés chez Autres Mondes (dont cinq romans de Nathalie) auraient dû plaider en ma faveur. Mais non….
Une pétition pour nous soutenir, Nathalie et moi, s’est mise en place sur la net, qui a recueilli plus de mille signatures, pour la plupart émanant de professionnels de l’édition. Dans son droit de réponse, la direction de Fleurus a insinué que si les signataires de la pétition avaient pu lire le manuscrit, ils n’auraient pas signé, etc.
En avril, Pierre-Marie Dumont (Directeur général du groupe Fleurus et Président des éditions Mango) demande à voir Nathalie Le Gendre, seule. Me court-circuitant, donc. Les modifications proposées par Mr Dumont à l’auteur sont extrêmement mineures. Nathalie m’en informe aussitôt. Elle procède aux mini-corrections demandées et me les soumet. Je donne mon accord sans problème car, je le répète, ces corrections relèvent du détail. Et je démissionne de Mango le 28 juin, même si, au bout du compte, la publication quasiment en l’état des Orphelins de Naja en janvier (soit huit mois plus tard !) nous donne raison à Nathalie et à moi (et ridiculise Mango). Question de convictions.
J’ai contacté Syros, en la personne de sa directrice Sandrine Mini, et on s’est rapidement mis d’accord sur le principe d’une collection de SF pour la jeunesse, qui serait un peu le pendant SF de ce que fait Syros avec le polar (les collections « Souris noire » et « Rat noir »). Il y avait comme une évidence pour Syros (éditeur très estimé auprès des prescripteurs pour sa politique éditoriale, tout à la fois littéraire et engagée) d’accueillir l’esprit « Autres Mondes ».
K : Considérant votre parcours riche en rebondissements, quels sont les meilleurs aspects du métier de directeur de collection ? Et ses inconvénients ?
D.G. Les meilleurs aspects du métier de directeur de collection ? C’est évident : ce sont les rapports avec les auteurs. Ce lien magique qui unit l’auteur à son directeur de collection. L’auteur fait au dirdecoll une offre inestimable : il l’accueille dans sa création, il lui fait partager ce mystère qu’est l’écriture. Gudule m’avait dit un jour que la relation entre un auteur et son dirdecoll relève de l’amour, du don partagé. J’ai fait mienne cette conception… même si l’amour auteur-dirdecoll n’est pas pour autant un long fleuve tranquille J !
Ses inconvénients : quand l’éditeur – qui est au-dessus du dirdecoll – interfère (par incompétence, par pusillanimité, par manque de confiance ou goût du pouvoir) dans la relation entre l’auteur et le dirdecoll. C’est ce qui s’est passé avec Mango à propos des Orphelins de Naja, avec les conséquences stupides et catastrophiques que l’on connaît ; c’est ce qu’il se passait aussi lors des deux dernières années à « Vertige SF », après l’arrivée d’une nouvelle éditrice (et j’en ai souffert).
K : Vous préconisez la science fiction qui traite de thèmes très forts (comme la manipulation d’esprit avec Mauvais rêve ou les camps de rééducation pour enfants rebelles avec Ados sous contrôle). Utiliser la SF pour dénoncer les abus des hommes, est-ce là votre cheval de bataille ?
D.G. Il ne s’agit pas d’ « utiliser » la science-fiction à des fins militantes, si nobles soient-elles. Ce serait la rabaisser au simple rang de moyen, d’outil, ce serait la considérer comme simple support à un discours.
Mais de par son fonctionnement interne – qui consiste à déplacer un paramètre et mettre en scène les conséquences de cette modification -, de par son esthétique – qui est celle de l’exagération et de la métaphore réaliste -, la science-fiction (à condition de ne pas la concevoir comme de la « fantasy avec des boulons ») aide à la prise de conscience. Elle est un regard lucide sur le monde ; un questionnement très précieux pour l’adolescent qui est en pleine période de construction.
Alors, oui, cette SF-là est – et a toujours été – mon « cheval de bataille », comme vous dites.
K : Parlez-nous de « Soon », votre nouvelle collection chez Syros. Et qu’en est-il de « 15-20 » chez Intervista ?Au final, en quoi toutes ces collections (Mango « Autres Mondes », qui reste sous la direction de Audrey Petit, « Soon » et « 15-20 ») se différencient-elles ?

D.G.
Ma foi, pour faire simple, disons que « Soon » sera dans la continuité d’ « Autres Mondes », mais en grand format. J’y poursuivrai la publication d’une science-fiction permettant de comprendre le monde d’aujourd’hui à partir d’un détour par le futur, d’une science-fiction qui questionne l’Humain et la Réalité (c’est-à-dire qui philosophe), tout en étant passionnante et accessible à tous, même (voire surtout !) aux non fans du genre. Création francophone uniquement. Premiers titres en mai : Apocalypse Maya de Frédérique Lorient et Terre de tempêtes de Johan Heliot. Suivra en octobre Le Veilleur au bord des mondes d’Ange.
Ce que deviendra « Autres Mondes » ? Il faut le demander à Audrey Petit. Elle fera évoluer la collection selon ses propres goûts. Comme je le disais en tout début d’article, une collection est le reflet de son directeur, et ne se réduit certainement pas à son titre, ni à son passé.
« 15-20 » chez Intervista (maison d’édition qui appartient à Luc Besson) relève d’une toute autre démarche éditoriale que « Soon ». Déjà, je ne suis pas seul aux manettes, c’est une direction à quatre mains, très harmonieuse, avec Constance Joly-Girard. Surtout, « 15-20 » ne s’adresse pas à la même tranche d’âge ; elle s’adresse aux young adults (c’est-à-dire aux post-ados, aux 15-20 ans comme l’indique le nom de la collection), ce qui change radicalement la donne. Autres différences : tout en étant une collection axée sur l’imaginaire, elle ne publiera pas que de la SF, et est ouverte aux traductions. Pour conclure, disons que – Luc Besson oblige ! – l’aspect divertissement de qualité est très présent dans la programmation « 15-20 », ce qui ne veut évidemment pas dire que j’ai laissé mes chevaux de bataille à l’écurie, il n’y a qu’à voir les thèmes des premiers titres : environnement, suicide, immigration, banlieues !