Introduction
C’est Mircea Eliade qui, selon nous, apporte la meilleure définition du mythe, de la mythologie : « un mythe est une histoire vraie qui s’est passée au commencement du Temps et qui sert de modèle aux comportements des humains. En imitant les actes exemplaires d’un dieu ou d’un héros mythique, ou simplement en racontant leurs aventures, l’homme des sociétés archaïques se détache du temps profane et rejoint magiquement le Grand Temps, le temps sacré » (ELIADE Mircea, Mythes, rêves et mystères, Paris, Gallimard, 1957, p. 22). » Le mythe raconte une histoire sacrée; il relate un événement qui a eu lieu dans le temps primordial, le temps fabuleux des « commencements » (ELIADE Mircea, Aspects du mythe, Paris, Gallimard, coll. « Folio Essais », n°100, 1963, p.15). On le voit le mythe est d’abord une histoire sacrée, une histoire qui explique la vérité du monde, l’origine et la fin des choses…
Si cette définition est tout à fait valable pour les sociétés archaïques, il faut admettre que dans le contexte actuel, la notion de mythe a évoluée. Par « Mythologie moderne », nous entendons donc la modernité des mythes.
C’est cette notion que nous définissons ci-après.
Mythe et évolution
Le caractère de cette tradition sacrée, des modèles exemplaires a évolué. On peut affirmer sans trop nous tromper que le sacré religieux a fait place à un certain sacré profane. L’homme du 20ème siècle recherche moins ses modèles mythiques dans ce que lui donnent à connaître les religions que dans l’ensemble de ce qui lui est donné de voir.
Il faut admettre que de la tradition purement orale, les mythes ont été repris voir transformés, adaptés à d’autres supports comme l’écrit, le film, etc. Une évolution du support mythique, du discours oral à tous types de discours qui a entraîné une certaine transcendance des mythes. Le mythe est partout présent, transcendant le moindre récit.
La mythologie, le discours mythique est constitutif de l’être humain, c’est pourquoi nous retrouvons depuis l’origine de l’homme, les mêmes mythes repris aussi bien dans le système de l’oralité que dans notre univers médiatique actuel : Eros et Thanatos, retour aux origines, mythes eschatologiques, etc.
Mais à côté de ces mythes éternels, se créent d’autres mythes proches de nos besoins socioculturels d’aujourd’hui, reflet de nos valeurs, de nos croyances, de nos espoirs et de nos angoisses. « Si les mythes sont à l’origine de notre culture, ils continuent à la traverser de toute part, non seulement parce que les mythes primitifs sont sans cesse réactualisés, mais aussi parce qu’à tout moment, la société crée de nouveaux mythes ou réactualise les anciens : mythe du personnage historique, mythe du héros de la bande dessinée, mythe de la vedette (sport, cinéma, show-business), sacralisation de l’objet de consommation, telles sont quelques images-forces parmi d’autres qui irriguent le monde contemporain, cristallisées dans la parole mythique » (LITS Marc, YERLES Pierre, Le Mythe, Bruxelles, Didier Hatier, 1989, p. 32.)
Si la mythologie est intemporelle, certaines de ses figures appartiennent plus au champ actuel des valeurs partagées, représentent mieux notre société qui puise ses idéaux dans cette mythologie (elle-même engendrée dans sa forme par notre société).
Les médias, nouveaux véhicules de mythes
Aujourd’hui, dans cette époque hautement médiatisée qui est la nôtre, les contes de l’oralité ont fait place à une multitude de supports de différents genres : romans, images photographiques, séquences audiovisuelles…autant de supports médiatiques qui véhiculent les mythes. Mais les caractéristiques propres à chaque mode de transmission font que les mythes se transforment de par la nature même de ce qui les transporte. Puisant dans les valeurs socioculturelles de l’époque, les médias reflètent ces valeurs, les renforcent, les propagent, les transforment et en apportent d’autres. Les médias se nourrissent aujourd’hui aussi bien du monde qu’ils nourrissent eux-mêmes ce monde.
Porteurs de mythes éternels
Que les médias portent les mythes éternels, c’est-à-dire les mythes qui étaient déjà véhiculés dans les systèmes de l’oralité, cela ne fait aucun doute. Nous ne pensons pas qu’il y ait chose plus importante à nos esprits que l’Amour, la Mort, la Vie (surtout son origine et sa fin), le Bien et le Mal. Ainsi toutes ces valeurs sous quelque figure mythique que ce soit continuent à être véhiculées à travers nos médias. Même si les supports médiatiques d’aujourd’hui introduisent de nouvelles façons de nous les représenter de par leurs propres caractéristiques, contraintes techniques ou de par l’évolution de nos esprits qui appellent d’autres représentations, des nuances non négligeables aux représentations archaïques.
Porteurs du renouveau mythologique
Le renouveau mythologique, répétons-le encore une fois, n’est pas le fait qu’il y ait des nouveaux mythes mais que les mythes perpétuels changent de forme. Les médias ont permis un certain développement des mythes. Les figures mythiques modernes dépendent donc non seulement de représentations sociales partagées mais également de la façon dont les médias les engendrent, les défont ou les façonnent.
En quoi les figures fantastiques sont-elles représentatives d’une mythologie moderne ?
Les figures fantastiques et leurs variations naissent de l’attention que portent leurs créateurs aux préoccupations humaines passées et actuelles. Elles sont l’occasion de mettre en avant nos croyances et nos peurs, nos tabous et nos mythes. Le fantastique, plus que tout autre genre, permet par sa présentation fictionnelle d’aller très loin dans les représentations. La prolifération du genre fantastique aujourd’hui témoigne d’un besoin de divulguer des vérités tout en les voilant dans une irréalité apparente. Aujourd’hui, les récits mettent en scène nos mythes éternels, l’Amour et la Mort, le Bien et le Mal. Mais surtout, ces récits font le point sur nos questions primordiales, celles qu’on n’ose pas toujours débattre publiquement. Ce qui touche notre intimité, notre être véritable. Brisant les tabous, le fantastique pose des questions, dévoile une partie des réponses.
Nous venons de voir un peu plus haut dans cet article que ce sont les médias qui façonnent aujourd’hui nos mythes. L’Amour ou la Mort, Eros et Thanatos, parcourent aussi bien nos faits divers que la publicité (friande de stéréotypes et de mythes!). La bande dessinée n’est pas en reste, ses héros sont bien souvent symboles du Bien ou du Mal et on peut facilement y retrouver des ressemblances frappantes avec les épopées mythiques autrefois récitées… Et que dire encore du cinéma fantastique qui, avec son déploiement d’effets spéciaux nous enveloppe d’un imaginaire quasiment « divin » et nous positionne, nous, spectateurs comme des enfants ébahis devant le merveilleux…Autant d’histoires répétées, autant de sentiments, de frayeurs, enfouis en nous qui se dévoilent à nos yeux, autant de mythes revécus par nous à chaque lecture, à chaque regard ou vision…
Dans le développement médiatique que connaît notre époque, le fantastique montre un nouveau visage. Avec un support de plus en plus visuel, il entre dans nos mœurs et quelque part contribue à accepter les différences en démontrant souvent que nous pouvons être les monstres et que ceux que nous jugeons comme des monstres souffrent et ne sont pas si différents de nous. Intégrées dans notre imaginaire collectif, les figures fantastiques deviennent des références non négligeables, elles sont considérées alors comme figures représentatives d’une mythologie que nous avons qualifiée de moderne.