- « Tous les contes d’Edgar Poe sont pour ainsi dire biographiques. »
Cette citation de Baudelaire pourrait parfaitement servir de sous-titre à Mystère Poe, la création de la compagnie du Volcan Bleu, programmée au théâtre de l’Atalante, dans le 18ème. La mise en scène est signée Paul Golub, ainsi que l’adaptation textuelle. En effet, le spectacle reprend plusieurs nouvelles- le texte originel est conservé- et retrace la vie du romancier Edgar Allan Poe.
Ecrivain américain du début du XVIIIème siècle, il est considéré comme le père fondateur du roman noir et l’inspirateur des littératures de l’imaginaire moderne, en particulier le fantastique. On ne manque pas de nous le rappeler, un peu naïvement certes, dés le commencement du spectacle: « Poe, qui inspira Jules Vernes et Maupassant ». L’univers du roman noir est bel et bien présent. Eclairage à la bougie, chandelier lugubre, grimoires éparpillés sur le sol, nuit d’orage et éclairs tonitruants…là où l’on peut s’attendre à un spectacle riche en personnages, comme autant de fantômes qui peuplent les nouvelles du romancier, la pièce n’est jouée que par deux comédiens, Marc Jeacourt et Rainer Sievert. Une dualité légèrement décevante si l’on s’attend à côtoyer le panel des personnages inventés par Poe…Mais non moins justifiée.
Ces Dupont et Dupont, enquêteurs à la petite semaine sur Poe au début de la pièce, endossent successivement les rôles… et n’en jouent qu’un seul. Comment? Un seul rôle et plusieurs en même temps? L’unique vrai personnage dans la pièce est Edgar Poe. C’est du moins, le seul personnage que l’on tient à ce qu’on identifie, ce qui a pour effet d’augmenter l’étrangeté de la pièce. Ce qui n’est , évidemment, pas anodin quand on parle de l’auteur de Ligeia et du Chat noir.
La première nouvelle est amenée très justement. Le jeune Edgar est à l’université, nous dit-on, et peine à boucler les fins de mois. Son énervement croît, jusqu’à ce qu’il nous raconte la raison de sa décrépitude. Commence alors l’histoire de William Wilson, poursuivi, toute sa vie durant, par son double homonyme jusqu’à sa mort. Alors qu’est-ce que cet épisode? Un épisode biographique ou une fiction? L’hésitation est le maitre mot du fantastique. Eh bien on hésite bel et bien tout le long de la pièce, comme on hésite à la lecture des œuvres de Poe. Ce double est il le fruit d’un esprit dérangé? Ou est il réel?
On ne se contente pas de nous raconter la vie d’Edgar Poe. La dernière nouvelle, Eléonora, dans laquelle le narrateur promet à sa femme mourante de ne jamais la remplacer, mais finit par rompre cette promesse en se remariant et, à sa grande surprise, reçoit la visite de la défunte pour lui apporter son approbation quant à sa nouvelle vie, sert de tremplin à la conclusion du spectacle, qui expose la base idéologique de Poe. Les morts, les fantômes sont omniprésents chez les vivants. Ils sont la peur, et l’angoisse, la face cachée caché du conscient, qui empêche au sujet de vivre pleinement. Le fantôme, le double, sont les différents reflets d’une même face, celle du narrateur en proie avec ses pulsions et ses délires. Au moment où il érige cette théorie, il sent déjà poindre les prémices de la schizophrénie qui aura raison de lui, en 1849.
Exposé littéraire, philosophique d’un côté, incarnation plus vraie que nature de l’écrivain de l’autre… Le public ne sait pas à qui il a à faire. Les deux personnages du début sont-ils de simples « passionnés »qui, pendant une heure, s’enflamment pour leur idole, allant jusqu’à jouer l’auteur du Corbeau? Peu probable…Ou Est-ce Poe qui , à la manière d’un fantôme, témoigne de son existence, et revient sur des épisodes passés en observant et commentant les actes de son double? Ce double appartient alors à une « autre dimension », un passé qui revit sur scène le temps de la pièce, et , dans ce cas, le Poe qui s’adresse au public, ne peut-être qu’une seule chose…Un fantôme. Le double, encore est toujours, présent jusqu‘au parti pris de mise en scène. Les deux comédiens, vêtus à l’identique, s’affrontent et se consolent, se parlent et se disputent, s’agressent et se rassurent. Deux comédiens pour un personnage duel, tourmenté tel que Poe. Le choix n’est certes pas très original mais fonctionne.
Si la mise en scène, le jeu est parfois un peu jeune, un peu primaire, il est important de souligner l’audace du théâtre du Volcan bleu et de l’Atalante. Poe, est certes un auteur reconnu aujourd’hui -bien que cela ne fut pas le cas à son époque- mais en aucun cas un auteur de théâtre. Le fantastique n’a pas sa place sur les scènes des grands théâtre, considérés comme un genre mineur par le monde universitaire et artistique. Or, Mystère Poe, relève le défis de parler de ces genres renégats sur les planches d‘un petit théâtre de quartier, et, par extension, nous parle du théâtre.
On sent poindre cette volonté méta théâtrale , quand les comédiens, à la fin, éteignent eux-mêmes les bougies du décors, ou se change à vue, mais, et c’est dommage, le dispositif n’est pas mené jusqu’au bout. La volonté d’intégrer le théâtre aux nouvelles jouée sur scène passe également par le passage de marionnette, pour jouer lionnerie et le « traité de nosologie« , un court récit potache qui ne manque pas de fait rire le public. On peine à comprendre le lien avec le parti pris du spectacle, à savoir amalgamer les nouvelles de Poe et sa vie, mais on salue la performance des deux acteurs en matière de marionnettistes. Quoiqu’il en soit, on adhère à cette démarche de parler de théâtre à travers un sujet qui ne semble absolument pas propice à ce genre d‘exercice.
Le théâtre n’est il pas double, par essence? N’est-ce pas un subtil mélange entre réalité et fiction, comme le récit fantastique? La convention théâtrale, qui implique que nous acceptions de « croire »à ce qu’il se passe sur scène, n’est-elle pas, peu ou prou la même que pour le lecteur qui ouvre un recueil de Poe pour y trouver fantômes et doubles maléfiques? A méditer…