C’est par cette formule signifiant « autrefois, autrefois », équivalent de notre il était une fois, que commencent les contes au Japon. Et si les petits japonais connaissent désormais les plus grands classiques occidentaux, ce phénomène ne s’est nullement fait au détriment des contes locaux, qui restent très vivaces et appréciés et dont on peut retrouver l’influence dans bien des domaines, en particulier celui des mangas.
De fameux personnages
De nombreux contes commencent avec un grand-père et une grand-mère. Ils sont les personnages principaux de diverses histoires, mais leur rôle consiste aussi souvent à mettre le héros en valeur. C’est le cas pour Momotaro, trouvé bébé dans une pêche géante descendant une rivière et adopté par le couple. Devenu enfant, il les quitte pour aller se battre contre les démons sur leur île en compagnie d’un chien, d’un singe et d’un faisan avec lesquels il sympathise en partageant sa nourriture avec eux. C’est certainement le personnage le plus emblématique des contes nippons, et il a inspiré un grand nombre de héros astucieux et généreux. Il est à noter que la version moderne de ce conte a été édulcorée, car à l’origine, la pêche, mangée par le couple, a un effet rajeunissant qui les rend capables de concevoir un enfant, qu’ils nomment donc Momotaro.
Une autre enfant tout aussi illustre est Kaguya hime (princesse Kaguya) que le grand-père trouve dans un bambou. Elle devient une belle jeune femme, mais refuse tout mariage, même avec l’empereur, car il s’avère ensuite qu’elle est la princesse de la lune, envoyée sur terre par punition, et que les siens reviennent la chercher, l’arrachant à l’affection de ceux qui l’ont aimée. Kaguya hime a de nombreux avatars dans les mangas, qui reprennent sa nature sélénite, son nom ou les deux. Certains en donnant une version assez éloignée, tel Gosho Aoyama qui la transforme en vampire tyrannique dans Yaiba.
Une autre princesse, Mushimezuru himegimi (la princesse qui aime les insectes) a connu un regain de popularité après avoir inspiré Hayao Miyazaki pour créer son personnage de Nausicäa.
Curieusement, bien que son nom et son image soient encore très connus et utilisés, l’histoire de Kintaro, un autre petit garçon accompagné d’animaux, est beaucoup moins racontée. Ses traits caractéristiques sont une force surhumaine et une détermination inébranlable qui lui permettent de battre divers monstres et démons.
Des créatures fantastiques
On croise plusieurs sortes de démons, dont les principaux sont les oni, vêtus de peaux de tigre, avec un nombre variable de cornes sur la tête et traditionnellement armés d’une massue. Ce sont eux qui sont battus par Momotaro, ou par d’autres comme Issun-boshi, le Tom Pouce nippon. Si les tengu paraissent moins frustres, ils n’en sont pas moins effrayants, avec leur couleur rouge ou bleu et leur nez extraordinairement long. Mais ils ne se cantonnent pas toujours dans des rôles de méchants de service, et apportent aussi leur aide aux héros.
Vient ensuite toute une procession d’innombrables fantômes et revenants appelés obake: ils ont particulièrement hanté Shigeru Mizuki, auteur de Hakaba no Kitaro, qui en avait une connaissance quasi-encyclopédique, au point de faire revivre des obake d’histoires parfois presque oubliées et s’amusant à brouiller les pistes en inventant quelques-uns d’entre eux.
Démone, fantôme ou autre, la nature de Yuki-Onna demeure un mystère. C’est la femme des neiges, dont la beauté glaciale traverse plusieurs histoires, où elle piège des hommes, le plus souvent dans des tempêtes de neige, pour les tuer ou les vampiriser. Cette créature fascinante a inspiré nombre de mangakas, et Clamp en a fait le personnage principal des trois histoires de Shirahime-sho.
Les kappas ont une apparence humanoïde agrémentée de traits empruntés à la grenouille et à la tortue, comme la carapace de cette dernière. Aquatiques, ils habitent les mares et les rivières. Ils sont eux aussi le plus souvent mal disposés envers les humains, allant jusqu’à manger leurs enfants. Mais en rusant, et exploitant leurs points faibles, comme leur goût immodéré pour les concombres, on peut les obliger à rendre des services, qui sont très appréciables, car leurs connaissances sont grandes, particulièrement lorsqu’il s’agit de soigner.
Un bestiaire varié
Les animaux ne se contentent pas d’accompagner les héros, ils sont aussi les protagonistes de différents contes. Les singes y sont courants, sans doute sous l’influence des contes chinois et du plus célèbre d’entre eux: Songoku, le Roi Singe, qui a servi de modèle au personnage du même nom d’Akira Toriyama dans Dragon Ball. Toujours astucieux, voire roublard, le singe n’est pas forcément héroïque. Ainsi, dans Sarukani gassen (le combat du singe et du crabe), le singe jouant un mauvais tour qui coûte la vie au crabe, est puni par le fils de ce dernier, aidé d’une châtaigne et d’un frelon.
La grue, oiseau emblème du Japon, est évidemment à l’honneur, particulièrement dans Tsuru no ongaeshi (la dette de la grue), où transformée en femme, elle accepte de se marier à la condition que son mari n’essaie jamais de la voir lorsqu’elle tisse, moment où elle reprend sa véritable apparence. Evidemment, le mari désobéit et la grue s’envole à jamais. Il est à noter que ce conte a beaucoup de variantes, parfois plus sinistres, où la femme est en réalité une renarde, une araignée ou un serpent.
Les renards et les tanuki (chiens viverrins) sont fréquents, grâce à leur faculté de prendre apparence humaine… ou autre. Dans Bunbuku chagama, pour remercier un vieil homme, le tanuki se transforme en bouilloire pour être vendu. Mais dans d’autres histoires, le tanuki n’est pas aussi bien disposé envers les humains.
Les animaux du zodiaque sont les protagonistes d’un conte d’origine chinoise très connu, où l’on apprend que le chat n’est pas parmi les douze signes à cause d’une entourloupe de la souris. C’est cette histoire qui sert de base à Fruits Basket, de Natsuki Takaya.
Des lieux magiques
Insularité du Japon oblige, le monde sous-marin est très présent dans les contes. Il est possible de s’y rendre, et le voyage le plus célèbre est celui du pêcheur Urashima Taro. En épargnant une tortue, qui se trouve être la fille du Dieu des Mers, il est emmené dans la demeure de ce dernier, le palais du Dragon. Le ciel également abrite d’autres mondes, et leurs habitants en descendent parfois, sous forme d’oiseau. Ainsi, dans Hagoromo (robe de plume), un homme épouse une jeune fille céleste en lui prenant sa robe de plume alors qu’elle se baigne. Lorsqu’elle parvient à retrouver l’habit, elle remonte au Ciel et y fait monter son mari peu après. Ce dernier commet une transgression, et les amants sont transformés en étoiles. Cette histoire a donné son nom aux récits hagoromo-mono, qui mettent donc tous en scène ces jeunes filles célestes. Ce thème de la jeune fille venant d’ailleurs est récurrent dans bien des mangas.
Dans Gengoro Buna (la carpe Gengoro), c’est au contraire un homme nommé Gengoro qui monte aux Cieux et devient l’assistant du Dieu du tonnerre. Mais il tombe dans un lac où il se transforme en carpe qui porte désormais son nom.
Autrefois… et maintenant
Si les contes ne sont que rarement adaptés tels quels en mangas, ils n’en demeurent pas moins une formidable source d’inspiration et de références. En général, les emprunts se situent entre parodie et hommage, et à ce titre, le travail de Rumiko Takahashi est représentatif. Parodique dans Urusei Yatsura, où Lamu, l’héroïne, fait partie d’une famille d’extraterrestres qui empruntent leurs traits à ceux des oni, et où les personnages secondaires viennent pour la plupart de contes. Mais dans Inuyasha, où les créatures en sont également issues ou inspirées, le traitement est beaucoup plus sérieux.
En se référant aux contes, les mangas contribuent donc largement à les perpétuer. Ce maintien de la tradition nous permet de conclure à leur manière: medetashi, medetashi (tout est bien qui finit bien).