Quoi de plus terrible pour les monstres qui déambulent dans nos quotidiens que de ne plus attiser la peur ? Tapis dans nos sombres forêts, dans des bourgades reculées et austères, des prés sans fin, des rivières, lacs, mers ou océans sans nom, ils gisent dans un anonymat presqu’angoissant que ne parvient pas à rompre leurs dents acérées, leurs regards terrifiants, leur monstruosité naturelle et leur capacité à envahir l’espace. Les monstres semblent ainsi se flétrir dans un univers qui ne les comprend plus. Malgré les vains essais qu’ils développent pour tenter de justifier de leur état et de leur envie de susciter encore la peur, ils ne trouvent ainsi en écho qu’un inconcevable dédain de la part du genre humain. Comble du sordide, les enfants font même de ces bêtes difformes et gigantesques, quand ils ne sont pas de simples spectres volant au gré des vents, des animaux de compagnie ou de jeu qu’ils attachent solidement de cordes afin de les promener dans des lieux que l’on suppose immunisés à tout effroi ou toute panique face à l’inconnu…

De par ses multiples activités professionnelles pour la TV danoise le jeune dessinateur John Kenn Mortensen n’a plus vraiment le temps de remplir les pages blanches de récits épiques et merveilleux. Il le dit lui-même avec un brin de regret et de nostalgie dans la préface de cet album singulier. Pourtant il lui arrive encore de griffonner rapidement sur des post-it des monstres qu’il tente de rendre effrayants au possible. Parfois il aime à s’amuser de leur état, de leur capacité à surprendre et à épouvanter le tout-venant. Les enfants, immunisés aux pires pensées, les ignorent presque tandis que les vieillards ne les voient plus, habitués qu’ils sont à leur présence ou tout simplement incapables de les discerner vraiment. En quelques soixante-quinze scènes le dessinateur livre un témoignage subtil sur notre perception du monde, sur notre rapport au rêve et notre capacité à domestiquer ces univers peuplés de monstres qui n’ont pas encore totalement perdu l’espoir de nous effrayer…