Petite fille non désirée, puis jeune femme effacée, Janice Klein est si mal dans sa peau qu’elle s’adresse à un psychanalyste. Quinze ans plus tard on retrouve ce psychanalyste, Raoul Alcan, alors qu’il quitte l’hôpital psychiatrique où l’a conduit sa rencontre avec la jeune femme. Quinze ans qui semblent ne pas avoir existé, tant sa tête n’est pleine que d’Elle! Car Janice était « autre chose », une faiseuse de mirages, et entrer dans son imaginaire a été toucher à une fantasmagorie bien plus troublante, enivrante, et paradoxalement bien plus substantielle que la réalité de Raoul.
Il y a quelques images magnifiques, comme ce vieux chaperon rouge perdu dans la neige, cette créature qui en se désagrégeant devient une construction de mots et de lettres, ou encore les créations de Janice/Miel, qui offrent des visions empreintes d’un parfum d’orient, peuplées de créatures dont les descriptions éveillent pratiquement tous les sens, faites pour le plaisir, leur propre plaisir. Et c’est surtout un hommage à la féminité, une féminité qui n’est au service de rien ni de personne, ce qui la rend d’autant plus splendide.
Mais ni Janice ni Miel n’ont besoin d’être sauvées. C’est une des grandes réussites de ce livre, qui raconte surtout une histoire inexplicable, à laquelle des scientifiques vont choisir de croire car elle bouleverse toutes leurs certitudes, et donne à leurs vies une saveur et une intensité qu’elles n’avaient pas jusque là. D’ailleurs, après Miel, il n’y aura que la folie ou la mort…
Inexplicable, car même si l’auteur donne à la fin un semblant d’explication, on peut choisir de l’ignorer tant elle reste hypothétique. Et c’est une des grandes qualités de ce livre, ce constant vacillement entre la folie et le fantastique, sans vraiment choisir lequel est le plus enviable. Mais en ce qui concerne le plus désirable, le choix est évident, et Janice disparue corps et biens dans les rêves de Miel n’est certainement pas une victime.
Ce livre est très surprenant, et ça n’est pas si courant. L’auteur sait parfaitement mêler sa double casquette de psychanalyste et de peintre, et le mélange est une belle expérience de lecture.