Pour l’avenir, quel futur aimeriez-vous ? Si vous êtes indécis, il y a possibilité de faire son marché en feuilletant les pages du dernier Métal Hurlant. Utopies et dystopies, c’est en effet le thème choisi par la rédaction pour ce neuvième numéro. Naturellement, on aurait tendance à pencher pour l’utopie, tant qu’à faire, car on n’a pas envie de se retrouver, dans vingt ou trente ans, en plein cauchemar orwellien ou plongé dans un monde à la Soleil vert. On a plutôt envie de se dire qu’on va nager en plein bonheur, débarrassé de tous les maux et tracas de notre quotidien. Pour cela, il faudrait pouvoir voter, par exemple, pour un candidat comme celui élu à la présidentielle de République utopiste, non pas une BD — eh non — mais un récit de trois pages, signé Adrien Mangold, sous la forme d’une série d’interviews entre un journaliste et le nouvel occupant de l’Élysée, candidat du Parti utopiste à qui absolument tout réussit une fois qu’il est installé au pouvoir. Le gars improvise sa politique au jour le jour et il est le premier étonné de voir qu’il tape à chaque fois dans le mille, avec une cote de popularité qui monte, qui monte, tout droit vers les 100 % d’opinions favorables. Une fois tout le monde heureux, que pourrait-il bien se passer de nouveau et d’intéressant ?

Tout cela pour dire que les extrêmes peuvent se rejoindre, et que l’utopie n’est jamais bien loin de la dystopie. Du côté des BD, Un Monde plus lisse de Rurik Sallé, Corbeyran et Nicolas Bègue pousse au maximum les curseurs du politiquement correct pour imaginer une société où l’on se fait châtrer avec le sourire pour être sûr de ne pas se laisser aller à des comportements inconvenants. Poubelle-Dorado (ci-dessus) de Simon Hureau transforme le Sahara en gigantesque décharge à ciel ouvert où le monde entier vient larguer ses détritus. L’endroit devient une nouvelle Terre promise, dotée d’une économie locale florissante, avec même des touristes venant faire de la rando littéralement dans la merde, foulant au pied des insectes mutants. Absurde et hilarant. Et parmi les perles disséminées tout au long du volume, citons encore Mouvement perpétuel (ci-dessous), autre pièce maîtresse où deux types connaissent d’inoubliables moments d’angoisse coincés dans l’habitacle d’une voiture « intelligente » entièrement automatisée — démonstration admirable de haute technologie mortifère. Au sommaire, on tombe aussi sur une interview avec Phil Tippet (l’expert hollywoodien de l’animation en stop-motion, au sujet de son film Mad God), sur une playlist musicale égrenée au fil des pages, sur des invasions extraterrestres et sur une foultitude d’autres choses, à picorer avec gourmandise au gré de ses envies, de préférence dans le désordre le plus total. À noter également, étant donné qu’une réflexion sur l’avenir peut difficilement se faire sans songer à l’écologie, deux entrevues des plus intéressantes et instructives, l’une avec l’écrivain américain Kim Stanley Robinson, l’autre avec la réalisatrice Coline Serreau qui revient, presque trente ans après, sur son film d’anticipation La Belle Verte.

En kiosque et en librairie depuis le 22 novembre 2023.