Khimaira : Avant d’explorer votre propre œuvre, j’aimerais vous poser deux questions plus générales concernant le genre « Fantasy ». La première est la définition que vous donneriez à ce genre. Votre définition personnelle…..
Mathieu Gaborit : Fantasy ou Heroic Fantasy ? Apparemment, les puristes font la distinction. Je n’ai pas à l’esprit la définition du genre « fantasy ». En revanche, l’heroic fantasy, elle, me semble correspondre à une période de l’Histoire, à une environnement médiéval indiscutable. Peu importe les travestissements, d’ailleurs. L’heroic fantasy suggère un moyen-âge décalé, voilà tout !

K : Deuxième question sur le genre : quel est l’auteur anglophone de Fantasy qui vous a marqué ? Et la même question pour le monde francophone…
M.G. : L’âge aidant, je suis forcé de nuancer. Un temps, Moorcock ou Leiber comptaient parmi mes grandes influences. A dire vrai, je crois que mon auteur fétiche reste Howard et l’héroic fantasy qu’il a développé dans Conan. L’enseignement d’Howard est, à mon sens, primordial pour saisir l’essence de l’heroic fantasy. Il lui manque la complexité mais il est la terre d’origine. Même si, d’un point de vue strictement « critique », Tolkien a posé les bases modernes de l’heroic fantasy, je lui préfère la sincérité d’Howard.
Chez les francophones, mon goût va plutôt à Brussolo, à ces imaginaires touffus et malsains.

K : Parcourons maintenant ensemble quelques aspects des « Chroniques des Crépusculaires ». La première question qui m’est venue à l’esprit en terminant votre livre paru chez Mnémos (1999) concerne l’atmosphère générale. Crépusculaire comme l’état d’esprit de votre héros, Agone, luttant en vain contre son destin, un destin voulu et que l’on peut dire tracé par son propre père, le baron de Rochronde. Ma question sera la suivante : comment expliquez-vous cette atmosphère entre jour et nuit, lumière et ombre ? Les héros semblent tous tiraillés entre le Bien et le Mal et la « bonne » voie ne semble pas être la plus acceptable…

M.G. : J’aime le jeu des ombres, la manière dont on peut être au jour ou à la nuit. On prétend qu’il faut savoir faire le mal pour faire le bien. Sans doute est-ce l’enseignement d’une vie… Dans les Crépusculaires, je me suis efforcé de dresser le portrait d’un homme comme les autres, d’un homme aspiré par le destin et ballotté par les forces Bien/Mal. Je ne crois pas à une bonne voie, je crois à une voie qui serpente d’un extrême à l’autre, une oscillation morale que nous nous efforçons de contraindre vers le Bien ou le Mal.
Agone, parce qu’il est jeune et pétri d’idéaux, devient de l’argile entre les mains des puissants. Ce n’est qu’au fil du roman qu’il parvient à se forger, à imposer ses choix.

K : Toujours dans le même ordre d’idée, Pénombre, l’arme douée de pensée qu’est la rapière d’Agone est féminine. Ce choix est-il dû à ce qu’Agone soit un homme ou à ce que vous lieriez plus facilement une arme à une femme et vice versa ?
M.G. : Non, pas spécialement. A l’origine, je n’avais qu’une seule idée : la manière dont l’arme serait forgée accoucherait d’un caractère bien précis. Pénombre s’est imposée de manière quasi naturelle, à l’image d’une rapière que je conçois fine, élégante et vicieuse.

K : Vous liez la puissance à la souffrance. L’exemple le plus parfait est celui des danseurs, ces créatures qui sont la source de la Magie ? Par là, entendez-vous comme une leçon de morale à l’encontre de notre monde réel ? La Fantasy serait-elle un genre enclin à faire ressortir les idéaux et les faiblesses de ce monde ?
M.G. : Non. Je n’écris jamais avec une volonté consciente de dénoncer tel ou tel aspect du monde qui me déplaît ou m’horrifie. En revanche, je crois que le prisme « fantasy » ne peut pas nier l’auteur, ce qu’il est et ce qu’il pense du monde. Vieux débat, soit, mais même si ma vocation a toujours été de raconter une histoire, il va de soi que l’édification d’un univers « original » porte en lui les frustrations et les désirs de la réalité. On s’y projette, souvent de manière inconsciente. Pour revenir aux Danseurs, je crois pouvoir dire, après coup, qu’ils sont une incarnation de l’innocence, de ce vieux rêve qui hante l’Histoire et qui prétend que l’homme naît bon. Le Danseur est à mi-chemin entre l’homme et l’animal. Peut-être un idéal…

K : La Musique est également une arme dans votre univers. D’où vous est venue l’idée d’associer ces deux choses qui semblent a priori opposées ?

M.G. : A priori, je voulais d’une musique « magique », d’une musique capable d’enchanter le monde au sens propre. Il eut été impensable qu’une magie ne soit pas violente ou plus exactement qu’elle n’ait pas été éprouvée jusqu’à cette extrême. D’autant que la musique, à travers l’Histoire, a prouvé (dans le bon sens ou non) qu’elle pouvait motiver des sentiments aussi contradictoires que la mélancolie ou la violence. Dans l’heroic fantasy, un genre où le fracas des armes est une musique incontournable, il m’a semblé que l’inverse était possible.

K : Dans Les Chroniques des Crépusculaires, ou encore dans « Le Vitrail de Jouvence », nouvelle parue dans le recueil Fantasy (Fleuve Noir, 1998), on ne peut que souligner les nombreuses croyances, les nombreux cultes et même la présence d’une certaine Eglise. Magie et Religion sont-ils, d’après vous, une bonne source d’inspiration pour le genre Fantasy ?

M.G. : Il est étrange que vous me parliez de Religion dans les Crépusculaires. J’entretiens un rapport très particulier à la religion telle qu’on la développe communément dans les romans d’heroic fantasy. D’ordinaire, les auteurs s’emploient à définir une multitude de dieux et de cultes. Je n’aime pas les dieux, je n’aime pas les décrire ou les mettre en scène. Je leur préfère des religions plus humaines, des cultes qui se bâtissent sur le savoir ou l’artisanat.
A mes yeux, l’Eglise est un prétexte, un outil extraordinaire mais jamais un moteur profond de l’histoire. Je me sers d’une croisade mais je ne décris pas un mythe, je ne cherche pas à ancrer le monde dans une histoire mythologique. La mythologie m’ennuie…

K : Dans le recueil « Légendaires » (Mnémos, 1999), votre nouvelle « i » nous présente la jeunesse d’Eyhidiaze, la Chorégraphe dans Les Chroniques des Crépusculaires. Avez-vous l’intention de continuer à explorer cet univers et, en pensant au jeu Agone, à le décliner sur d’autres médias ?

M.G. : Peut-être… Certains éditeurs de jeu vidéo s’intéressent à la licence des Crépusculaires mais de là à ce qu’un jeu vidéo voit le jour…